Ciel, mon mari !...le triangle infernal mari, femme, amant ne date pas du théâtre de boulevard. La tradition populaire, contes et chansons, a déjà utilisé tous les ressorts comiques des situations qui en dérivent. Le retour inopiné du cocu qu'on croyait parti plus longtemps ; l'amant caché dans la penderie ; l'intervention inopportune d'un élément extérieur (ici l'enfant) ; Tout est déjà contenu dans cette chanson qui est loin d'être la seule basée sur ce scénario. Les trois coups sont frappés : la représentation peut commencer.
Pour écouter la chanson et lire la suite:
Nous l'avons déjà dit il y a peu, la présence d'un meunier dans une chanson est la garantie d'un sujet leste, voire grivois. C'est rarement pour ses qualités d'artisan que le personnage apparaît. Sa réputation n'est plus à faire et l'amant de Mme Christophe est donc recruté dans cette corporation.
Dans les situations « Courtelinesques » c'est l'armoire ou la penderie qui servent de refuge au galant surpris avec la dame. Notre histoire étant plus ancienne, le meunier se cache dans le coffre qui en tenait lieu avant l'invention du meuble en kit et du dressing en pin scandinave. Élément essentiel de la plupart des ménages, le coffre devait être de dimensions généreuses pour contenir tantôt les hardes de la famille, tantôt les ustensiles du quotidien. Dans bien des milieux l'apparition des vaisseliers et autres armoires est plus récente. Vendre son coffre signifiait donc vraiment être réduit à la dernière extrémité. Pourtant, la femme semble avoir d'autres « joyaux »(1) à mettre au clou pour sauver la situation financière du ménage et, accessoirement, celle de son amant. Le meunier aurait-il déjà flairé quelque chose de louche ? Ce n'est qu'après sa décision que l'enfant qui ne sait pas tenir sa langue, confie au père le secret du contenu. Comme dans d'autres chansons (2), l'enfant qui personnifie l'innocence prend le parti du trompé en dénonçant les trompeurs.
Arrive alors l'épisode de la vente au marché : Christophe prétend en obtenir 18 francs. Il ne semble pas plus adroit que pour « brocanter » son beurre et son fromage et n'en tire finalement que 15, après marchandage. La formule :
Je vous en donn’ quinze francs, il est payé le double...
résume imparfaitement le coté cocasse de la situation. Pour le saisir il faut se référer à d'autres versions de la chanson (3) où l'on apprend qu'en fait c'est le meunier lui-même, du fond du coffre, qui fait une offre à l'acheteur pour se tirer d'affaire :
Au
premier qui l'a marchandé
Le meunier s'est mis à parler
Achetez
vous aurez le double
Surprise finale : le dernier couplet change de style narratif. Ce n'est plus une histoire racontée à la troisième personne mais une aventure vécue par l'auteur de la chanson lui même. Cette fin qui n'est pas la plus courante n’apparaît que dans quelques versions dont la notre. Elle a été notée au 19è siècle à Guérande par Gustave Clétiez, dont les manuscrits ont été repris et publiés par Fernand Guériff.
Pour retrouver une situation similaire, vous pouvez aussi vous reporter à la chanson n°252 de juin 2018 : la culotte de velours.
notes
1 – ces joyaux sont parfois des « anneaux », qui se transforment en « agneaux » dans certaines versions.
2 – on pense à l'histoire de la « Dame Lombarde » ou le père est prévenu de la tentative d'empoisonnement par son enfant encore au berceau !
2 – par exemple celle publié dans Vieilles chansons savoyardes, de Claudius Servettaz, (1910, réédité en 1978)
interprète : Roland Guillou
source : Le Trésor des chants populaires folkloriques du pays de Guérande, Fernand Guériff, tome 1, page 157 - collecte de Gustave Clétiez vers 1860
catalogue P. Coirault : Le meunier dans le coffre (5923 – maris trompés)
catalogue C. Laforte : II, O-65 - Christophe
Chantons un tour bien plaisant , arrivé nouvellement (bis)
Christoph’ est un bon enfant, la chose est véritable
Sa femme avait pour amant, un meunier bien aimable
Christoph’ s‘en va au marché, c’est pour vendre et acheter (bis)
Il n’a pas pu brocanter son beurre et son fromage
Christophe était dératé, oh ! le triste voyage
Sa femm' voit venir de loin, son mari plein de chagrin (bis)
Ell' dit au meunier badin : J'y vois venir Christophe,
Et pour qu'il ne vous voit point, cachez-vous dans le coffre
Christophe dit en entrant, ma femme il fait mauvais temps (bis)
Je m’en reviens du marché , sans avoir aucun’offre
Vous m’y voyez désolé, je vais vendre mon coffre
Sa femme lui répondit, tu m’as l’air bien étourdi (bis)
Où mettrons-nous nos habits, nos chemises Christophe
Il faut vendre nos joyaux, et guitter (garder?) notre coffre
Le plus petit d’ses enfants dit papa l’meunier est d’dans (bis)
Vai, vai, vai, mon p’tit enfant, n’en dis pas davantage
Je vais vendre sur le champ, l’oiseau avec la cage
Christoph’ s’en va t’en criant : argent de mon coffre, argent (bis)
Je n'en veux que dix-huit francs, il est bon-z-et valable
Je n’sais ce qu’il y a dedans, il pèse comm’ le diable
Un gros garçon boulanger, vraiment lui a acheté (bis)
Je vous en donn’ quinze francs, il est payé le double
Le meunier qui est dedans la cervelle lui trouble
Entre-vous meuniers badins, qui allez voir une catin (bis)
Ne faites pas les malins, n’allez pas chez Christophe
De craint’ d’être comme moi, enfermé dans le coffre.
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