L'âne et son compère le loup ont un numéro de duettistes très au point dans les chansons traditionnelles. Pour cette fois, le baudet tient la vedette à lui tout seul ; une sorte de « one âne show » ! Cette chanson est souvent traitée sous forme de randonnée ; c'est à dire qu'elle récapitule après chaque couplet tous les éléments en y ajoutant le nouveau. Ce qui n'est pas le cas dans l'interprétation que nous avons choisie. Elle met en avant les soins apportés à un animal qui pour être réputé stupide et borné, n'en est pas moins d'une grande utilité.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
L'âne est un personnage qui mérite une certaine considération. Ils est donc important qu'il soit en bonne santé. Loin de l'image du bourricot rétif qu'on en donne trop souvent, il est, dans bien des endroits, un élément essentiel de la vie rurale. Il assure le transport des charges et des personnes. Il faudra attendre les années 50 et la 2 CV Citroën pour retrouver un équivalent. Même si dans l'ouest de la France son importance fut peut-être moindre, cette polyvalence lui vaut d'être le héros d'un nombre important de chansons (et de contes). N'oublions pas non plus qu'il doit sa notoriété à des références bibliques. Il est présent dans la crèche où il accompagne les premières heures de l'enfant Jésus. C'est encore lui qui transporte Marie, sa mère, et l'enfant dans la fuite en Égypte devant les persécutions d'Hérode.
Bref, ce n'est pas n'importe qui. Il est soigné comme un humain. Ce qui peut nous paraître exagéré mérite de s'attarder un instant sur l'attention portée au cheptel dans ce milieu rural des siècles passés. Les soins apportés aux animaux n'y sont pas si différents de ceux prodigués aux humains. C'est que, d'abord, le capital représenté par ces bêtes est essentiel pour l'activité économique. Ensuite, il faut bien être conscient que l'état des connaissances médicales ne favorise guère les uns par rapport aux autres. Ni médecins, ni vétérinaires mais des personnes d'expérience qui utilisent une médecine empirique. Pour s'en convaincre, l'analyse des almanachs et autres petits fascicules diffusés depuis le 17è siècle par la « bibliothèque bleue » montre que les ouvrages consacrés aux animaux sont aussi nombreux que ceux énumérant les remèdes pour humains. Mieux : ces remèdes sont souvent les mêmes, potions, onguents et autres traitements à base d'herbes. (1)
Les soins décrits dans la chanson ne sont certes pas à prendre au premier degré. C'est l'intention qui compte. Dans certaines versions l'âne a même droit à un verre de liqueur ou une tasse de chocolat. Deux parties de l'animal requièrent une attention particulière : les pieds et la tête. Pour celle-ci il a droit à une couette. Voilà qui nous éloigne du bonnet d'âne si péjoratif pour les écoliers en difficultés. Mais, en regardant de plus près d'autres collectes de cette chanson, on s'aperçoit que le quadrupède peut être affublé d'un « bonnet d’archevêque » et de « souliers lilas ». On voit poindre ici un soupçon d'anticléricalisme, absent de la chanson recueillie par le chanoine Abel Soreau ; mais est-ce bien surprenant ? D'autres chansons impliquant l'âne sont utilisées comme moqueries. Voyez celle où l'ânesse rédige son testament (2), peu flatteuse pour les notaires. Dans le même ordre d'idées, voyez comment sa commère la bique sert à brocarder les gens de justice (2).
Nous avons donc ici une chanson qui pourrait passer pour enfantine et dont l'usage a renforcé ce caractère. Mais derrière cette énumération sans doute appréciée des chères têtes blondes, n'y aurait-il pas eu à quelque moment d'autres intentions de la part des chanteurs ?
Sous nos latitudes, l'âne a cessé d'être exploité comme ouvrier agricole, mais reste encore souvent employé pour promener des enfants. Pas de danger qu'il disparaisse du folklore enfantin ou autre.
notes
1 – à lire sur ce sujet : De la culture populaire aux 17è et 18è siècle, de Robert Mandrou (Stock – 1975) et la bibliothèque bleue..., de Geneviève Bollème (Seuil – 1971)
2 - chansons n° 243 d'avril 2018, le testament de l'âne, et 287 de mars 2019, la bique au parlement
interprète : Barberine Blaise
source : fonds Abel Soreau, document n° 131 – chanté le 3 mars 1895 par Alphonse Rolland au Dresny (Plessé - 44)
catalogue Patrice Coirault : Les maux de l'âne (Randonnées diverses - N° 10303)
catalogue Conrad Laforte : Les remèdes à Madame (IV, Fb-05) Les remèdes au bonhomme (IV, Fb-08)
Madame, madame, notre âne
A grand mal à ses pieds
Madame, faudrait lui mettre
De beaux petits souliers
De beaux petits souliers, daridon madondaine
Pour lui mettre à ses pieds, daridon madondé
Madame, madame, notre âne
A grand mal à ses jambes
Madame, faudrait lui mettre
De belles petites chausses blanches
De belles petites chausses blanches, daridon madondaine
Pour lui mettre à ses jambes, daridon madondé
Madame, madame, notre âne
A grand mal à ses genoux
Madame, faudrait lui mettre
Deux p'tits coussins de velours
Deux p'tits coussins de velours , daridon madondaine
Pour lui mettre à ses genoux, daridon madondé
Madame, madame, notre âne
A grand mal à son ventre
Madame, faudrait lui mettre
Une belle petite sangle
Une belle petite sangle, daridon madondaine
Pour lui mettre à son ventre, daridon madondé
Madame, madame, notre âne
A grand mal à son dos
Madame, faudrait lui mettre
Un beau petit panneau
Un beau petit panneau, daridon madondaine
Pour lui mettre à son dos, daridon madondé
Madame, madame, notre âne
A grand mal à son cou
Madame, faudrait lui mettre
Un beau petit licou
Un beau petit licou, daridon madondaine
Pour lui mettre à son cou, daridon madondé
Madame, madame, notre âne
A grand mal à sa tête
Madame, faudrait lui mettre
Une belle petite couette
Une belle petite couette, daridon madondaine
Pour lui mettre à sa tête, daridon madondé
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