Une bergère, un chat, un fromage...et
ri et ron petit patapon. Que de souvenirs d'enfance nous reviennent
avec cette contine ! Mais est-ce bien une chanson enfantine ?
Plusieurs interprètes en ont souligné son caractère grivois (1).
Le double sens est toujours présent dans ce type de chansons. Mais
ce n'est pas son seul intérêt.
Si, d'une version à l'autre,
l'histoire se déroule souvent d'une manière analogue, sa conclusion
et ses refrains font preuve d'une grande diversité. Pour en savoir
plus, partons donc sur les chemins et de bon matin, à bicyclette.
Pour écouter la chanson et lire la
suite:
Certains d'entre vous font comme une
espèce d'allergie aux chansons de bergères. Ils les jugent
passéistes, représentant les souvenirs lointains d'une France pastorale, archaïque et rétrograde. Ceci, bien sur, à condition de
tout prendre au premier degré et de ne pas chercher plus loin que le
bout de son nez. Reste que la bergère, héroïne de bien des
chansons traditionnelles, est un symbole de la classe sociale la plus
défavorisée. Emploi tenu par de (très) jeunes filles dont la seule
distraction était de rêver au prince charmant. Est-ce que cette
attitude a bien changé ou serait-elle encore d'actualité ?
Bref, ce qui a bien changé c'est la
fabrication du fromage. Il n'est plus guère produit à la maison.
C'est du domaine d'un petit agriculteur bio du canton, ou d'une grosse
laiterie, propriété d'un consortium multinational, selon vos goûts
ou vos habitudes ! Le fromage n'est cependant pas l'ingrédient
principal de toutes les versions de cette chanson. Nous en avons
trouvé un certain nombre qui débutent par:
Il était une bonne femme,
Qui faisait de la bouillie,
Dans un vieux chaudron
Comme d'habitude avec les chansons
tombées dans le domaine enfantin, la littérature spécialisée a
imposé le seul refrain avec lequel nous avons entamé cet article:
petit patapon! Ce refrain est certes bien connu et bien implanté. La
version répertoriée en 1860 par Armand Guéraud est bâtie sur cet
air et ce refrain. Mais ce n'est pas le seul, loin de là. Parmi ceux
qu'on retrouve le plus souvent dans nos contrées de l'ouest de la
France en voici quelques uns:
falaridaine, falaridon ou
la faridondaine, la faridondon
Lariti tonton lariton ou la
riponpon lurette, finalement pas
si éloignés du petit patapon,
Ma petit' mominette... mon petit
mominon;
Dans la baratte... dans le baraton
Petits bonnets, grands bonnets tout
ronds;
Vive l'amour ma brunette
...que nous avons rencontrés à
plusieurs reprises.
Plus original est ce refrain qui nous entraîne à bicyclette, bien avant que Montand n'aille par les
chemins avec Paulette. Ce refrain est témoin d'une évolution plus
moderne de la chanson. Dans son ouvrage “la danse traditionnelle en
France”, Yves Guilcher a bien souligné l'influence de ce moyen de
transport individuel sur l'évolution des traditions (2). C'est
l'instrument de la modernité et de la libération des contraintes de
la société rurale renfermée sur la vie du village, du hameau. Ce
qui est valable pour la danse se traduit aussi jusque dans les
paroles de la chanson. C'est une célébration du progrès, sur un
air de la tradition !
Ce refrain vélocipédique a été
collecté plusieurs fois dans le même secteur par Hervé Dréan,
Raphael Garcia, Albert Poulain...ainsi qu'ailleurs en Haute-Bretagne,
comme vous le constaterez en recherchant sur la base Dastumedia.
Enfin, au risque de nous fâcher avec
les défenseurs des animaux, il faut bien évoquer les mésaventures
du chat et sa triste fin. Vraiment coléreuse la fermière qui tue
son chat pour une simple broutille. Sauf si cet acte sauvage nous
cache autre chose ? Docteur Freud, si vous nous lisez, on attend vos
explications ! Et encore, notre chanson se contente de mentionner le
décès du chat quand d'autres versions vont bien plus loin. Il est
souvent question d'utiliser la peau du chat pour s'en faire des
vêtements:
De la peau des chatons,
Elle fit un manchon,
Elle fit un manchon,
Puis des gants tout blancs,
Et aussi un plastron
Une version québécoise propose
également de faire des cordes de violon avec les tripes du chaton !
Il est aussi parfois envisagé de
boulotter minet:
Pour votre pénitence
Vous mangerez votre chaton,
A la sauce piquante,
Au poivre et aux oignons
Voilà qui nous rappelle qu'une autre
chanson traditionnelle fait déguster, à un curé, un pâté dans
lequel il retrouve des poils de chat ! (3)
Mais la conclusion nous entraîne dans
un tout autre domaine que celui de la chanson pour enfants. Nous
voici encore en présence d'un confesseur qui abuse de la situation.
La réputation des ecclésiastiques n'est plus à faire, en tous cas
pas dans les chansons. Embrassons nous ma chère et si ça vous plait
recommençons. A défaut de prince charmant, n'est-ce pas !!!
Sauf que plusieurs versions font tout
pour conserver un semblant de morale:
Je n'embrasse point les moines
J' n'embrasse que mon mignon
Avec cette histoire on en a vraiment
pour tous les goûts.
Notes
1 – voyez par exemple Colette Renard
– chansons gaillardes (disques Vogue – LD 615.30, 1959)
réédité en CD
2 – Y. Guilcher cite en particulier
l'étude de Daniel Halévy : Visites aux paysans du Centre
(Grasset-1934) - “Mais quels sont les nouveaux plaisirs ? La
bicyclette. Tout jeune homme veut avoir la sienne; le dimanche il va
chercher au loin les bals. Il y danse, il y fait le coquet”.
3 - Le meunier qui met son chat en pâté (référence du catalogue Coirault 00307) sous la forme de notre
chanson n°162 “Martin s'en revient du marché” (juillet 2016)
interprète: Dominique Juteau –
réponses: Jean-Louis Auneau et Francis Boissard
source: enregistrement d'un
groupe de chanteurs de Nivillac (56) par Hervé Dréan en octobre
1977 – publié dans “Instants de mémoire” éd. Musique Sauvage
(2011) volume 3, page 101
catalogue P. Coirault: la bonne
femme qui a tué son chaton (satiriques et plaisantes – 11325)
catalogue C. Laforte: Il était
une bergère (I, J-04)
Il était une bergère, à
bicyclette
Il était une bergère, à
bicyclette,
Qui gardait ses moutons,
Entre les deux roues qui tournent,
Qui gardait ses moutons,
Entre la selle et l'guidon.
Elle faisait un fromage
Du lait de ses moutons.
Son chat qui la regarde,
D'un air-e si fripon
Si tu y mets la patte,
Tu auras du bâton,
Il n'a pas mis la patte,
Il a mis le menton,
La bergère en colère
Elle a pris son bâton,
Elle a frappé si fort
Qu'elle a tué son chaton
Elle s'en fut à confesse
Au curé du canton
Mais mon père je m'accuse
D'avoir tué Riton
Ma fille pour pénitence
Nous nous embrasserons
La pénitence est douce
Nous recommencerons.