Les retours de guerre sont parfois fort déplaisants. On s'imagine retrouver le monde d'avant, mais le monde d'après réserve de désagréables surprises. En particulier, le sort de celles restées au pays est source de plusieurs complaintes qui décrivent les heurs et malheurs de la jeune femme pour qui l'absence du mari guerrier n'a pas eu que des avantages. Passée du statut d'épouse d'un prince à celui de gardienne de troupeau, la « p'tite bergère » nous apitoie sur son sort. Un bon vieux mélo avec une fin à la hauteur du drame !
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Compte tenu de la longueur de l'absence du prince on peut supposer, sans trop de risque d'erreur, que cette complainte daterait de l'époque des croisades. Princes et barons étaient en effet habituer à guerroyer sur des terres proches de leurs domaines. Le motif de sauver le tombeau du Christ les envoya au delà de la mer (Méditerranée) pour des durées bien plus conséquentes. Plusieurs années pour certains, mais le chiffre sept n'est pas à prendre pour une donnée exacte. Dans les chansons traditionnelles ou dans les contes, « sept ans » est simplement un synonyme de « longtemps ». Sept est un chiffre auquel s'attachent des références magiques ou sacrées. Au cas présent, pour la « p'tite bergère » c'est assurément sept ans de malheur.
Les textes de cette chanson recueillis dans le sud est de la France attribuent parfois cette aventure à un certain Guilhem de Beauvoir, sans qu'il soit possible de dire si c'est la relation d'un fait réel ou une fiction utilisant ce nom pour faire plus vrai.
Si l'histoire de la Porcheronne est assez répandue dans le répertoire francophone (langues d'oc et d'oil) la chanson est tout de même assez rare dans nos contrées. Sur le site Dastumedia seulement deux versions en français sont répertoriées ; celle de Constance Crusson et celle, moins complète, de Lucie Rastel enregistrée à quelques kilomètres de là - à St-Lyphard - par Raphael Garcia. Le thème est aussi connu en breton sous le titre « Ar verjelenn » (la bergère) ou encore « Mag c'han me d'an arme » comme la danse fisel enregistrée par Yan-Fanch Kémener et Marcel Guilloux (1). Vinyles, cassettes audio, on vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître...Un enregistrement original de Mme Crusson figure aussi sur la cassette publiée après la Bogue d'or de 1990 (2). Enfin, pour être justes ajoutons que l'ère du disque compact a permis d'en fixer aussi une version bretonnante, chantée par Manu Kerjean et Erik Marchand (3).
Pour ce qui est des versions imprimées, celle recueillie en 1883 à Moncontour et reprise dans Costumes et chants populaires de Haute-Bretagne, de Jean Choleau (1953) est ce qu'il y a de plus récent ! On voit donc tout l'intérêt du collectage effectué par Roland Brou et ses compères auprès de cette grande chanteuse qui résidait à La Baule.
Cette complainte est de la même veine que « par un beau soir Germaine » (chanson n° 333 de mars 2020). Sept ans d'absence et une mère ayant profité de la situation. Si cette chanson précédente ne nous apprenait rien sur le sort de la belle-mère abusive, cette fois le linge sale se lave en famille et sans états d'âme. Le lien de parenté mère – fils n'empêche pas ce dernier de se venger des malheurs endurés par sa jeune épouse.
C'est du mélodrame, mais c'est un genre qui plaît toujours au public. Alors pourquoi s'en priver ! ?
notes :
1 - pour les mateurs de vinyles 33 tours : Kan ha diskan, Jean-François Quémener et Marcel Guilloux – Arion ARN 34702 (1982)
2 – pour vous qui avez encore un lecteur de k7 en état de marche : Bogue d'or 1990 – chanteurs et musiciens de Bretagne n° 7 – Dastum DAS 117 (1991) – face B chanson n°9 « le prince »
3 – Les sources du Barzaz Breiz aujourd'hui – Ar Men / Dastum, SCM 013 (1989)
interprète : Janig Juteau
source : Constance Crusson, de La Baule (Loire-Atlantique), enregistrée le 10 avril 1991 par Roland Brou, Robert Bouthillier, et Pierre Guillard
Catalogue P. Coirault : La porcheronne (Aventures de mariage - N° 05302)
Catalogue C. Laforte : La porcheronne (I-B-21)
C'était un jeune prince voulant se marier
Le lendemain de ses noces à la guerre est allé.
A qui j'donnerai ma femme qui voudrait la garder ?
A qui j'donnerai mon bien, qui voudrait la soigner ?
Allez, mon fils, allez ; moi je vais la garder
Je te jure sur ma foi qu'elle sera bien soignée
Mais au bout des sept ans le prince est revenu,
Il a trouvé sa femme qui marchait les pieds nus.
Dis-moi donc p'tite bergère, comme tu as les pieds blancs,
Oh non mon bon monsieur, n'vous en moquez pas tant.
Voilà ce soir sept ans que je suis mariée,
Et voilà bien autant que j'n'ai pas eu de souliers.
Donne moi donc p'tite bergère un morceau de ton pain
Oh non mon bon monsieur, vous n'en mangeriez point.
Il est cuit sans farine, boulangé sans levain,
Les chiens de ma belle mère vraiment n'en mangeraient pas.
Donne-moi donc p'tite bergère un de tes p'tits agneaux
Oh non mon bon monsieur vous m'en causeriez trop.
Pour le plus petit que le loup m'a mangé
J'ai été trois jours, trois nuits sans oser y rentrer
Il s'en va t'à l'hôtel demander à loger
De la même manière qu'un soldat étranger
O dame bonsoir l’hôtesse pourriez-vous me loger ?
O oui mon bon monsieur, à boire et à manger.
Mais quand il fut à table, à table pour y souper
Une de vos p'tites demoiselles voulez-vous m'la donner ?
Une de mes demoiselles vraiment vous n'aurez point
C'est donc la p'tite bergère si vous la voulez bien.
Dis moi donc, p'tite bergère, vas donc laver tes mains.
Avec ce beau monsieur tu vas prendre un festin.
Oh oui, oh oui madame je vais bien laver mes mains,
Ma soupe elle est bien faite parmi celle de vos chiens
Mais quand il se lève de table pour s'y coucher,
Une de vos p'tites demoiselles, voulez-vous m'la donner
Une de mes demoiselles vraiment vous n'aurez point.
C'est donc la p'tite bergère si vous la voulez bien.
Dis moi donc, p'tite bergère, vas donc laver tes pieds.
Avec ce beau monsieur tu vas coucher.
Oh oui, oh oui madame, j'vais bien laver mes pieds
Ma place elle est bien faite dessous votre escalier
Sortez méchante femme, sortez de ma maison
Vous avez mis ma femme à garder les moutons
Et moi je vais vous mettre à garder les dindons.
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