Pour une fois nous serons en accord
avec le calendrier. Voilà qui nous change un peu de nos mauvaises
habitudes de vanter le charme de nos stations balnéaires au mois de
janvier et d'entonner des chants de Noël en plein mois de juillet.
La Saint Alexandre tombe le 22 avril, mais il n'y a pas de saison
pour chanter cette prière très profane. Elle est associée aux
mariages et le plus souvent réservée aux repas de noces; plutôt
vers la fin. Elle semble surtout connue dans l'ouest de la France.
Pour écouter la chanson et lire la
suite:
Le calendrier ne manque pas de saint
patrons. Chaque profession a le sien ou la sienne. Il est aussi des
saints qui étendent leur protection à toute une catégorie sociale.
Le marketing a même fait de Saint Valentin un bienfaiteur des
fleuristes, et accessoirement des amoureux (ou l'inverse). Dans ce
domaine, il a damé le pion à Sainte Agnès, dont la clientèle se
limite aux fiancé(e)s, ou à Saint Amour. Les jeunes filles à
marier restent très attachées à Sainte Catherine. Saint Nicolas,
protecteur multi-cartes (1), compte dans son portefeuille les vieux
garçons. Rien d'officiel, en revanche, pour les vieilles filles. Il
reste, bien sur, la possibilité d'aller brûler des cierges ou piquer
des épingles dans le pied de la statue de tel ou telle élu(e) à la renommée locale, dans l'obscurité rassurante d'une chapelle.
La chanson de Saint Alexandre aborde le
sujet sous un tout autre aspect: celui de la moquerie. Pourquoi Saint
Alexandre ? Officiellement celui ci n'a aucune profession sous sa
coupe. Si l'on en croit certains, c'est peut être dans l'étymologie
qu'il faudrait rechercher. Alexandre a une origine grecque basée sur
Andros: homme et Alexein, avec un double sens: qui protège ou qui
repousse. Alexandre qui repousse les hommes ? Est ce la raison de son
invocation dans la chanson ?
Nous n'avons pas trouvé beaucoup de
traces de celle ci dans les collectes. Elle est absente des recueils
anciens, y compris ceux consacrés au folklore du mariage. Mais elle
a été notée en 1968 par Louisette Radioyes à Saint Congard (2)
sous une forme identique à celle que nous vous proposons. Elle a
aussi été entendue à plusieurs reprises dans le pays d'Ancenis
(voir texte joint) ainsi qu'à la limite nord du département de
Vendée.
Dans la tradition, plusieurs chansons
donnent la vedette aux “vieilles filles”, soit pour regretter
d'avoir trop fait la difficile et refusé des propositions, soit pour
railler le comportement de cougar en recherche de chair fraîche.
Apparemment, cette supplique à Saint Alexandre aurait une origine
plus récente. Mais ce que nous appelons “tradition orale” n'est
pas un bloc monolithique. Elle est faite de composantes issues
d'âges, de milieux, d'histoires, de sociétés...à la fois
complémentaires et différentes. Que ces sources variées se
retrouvent aujourd'hui amalgamées dans nos archives pourrait nous
faire croire à l'existence d'une tradition uniforme que d'aucuns
qualifient un peu vite de “bon vieux temps”. Il n'en est rien.
C'est ce qui nous permet de passer d'une semaine à l'autre de
complaintes très anciennes à des expressions beaucoup plus
modernes. Rien n'est figé dans notre patrimoine immatériel et tout
évolue dans le temps. C'est très bien comme ça et ce n'est pas
fini !
Après la fête, adieu le saint. La
semaine prochaine nous aborderons donc un tout autre sujet.
notes
1 – nous en avons déjà parlé avec
la légende de St Nicolas (chanson n° 276 en décembre 2018) –
Nicolas s'occupe aussi, entre autres, des bouchers, des marins, des
voyageurs, des écoliers, des étudiants, des kinés ou des marchands
de vin...!
2 – Traditions et chansons de
haute-Bretagne, tome 2 – Louisette Radioyes (GCBPV 1997) –
chanson 132, page 171
interprète: Jean Ruaud
source: version chantée par
Félix Ruaud, de Guenrouet (44)
non reprise dans les catalogues
Refrain:
Saint Alexandre,
Priez pour nous
Nous n'pouvons plus attendre
Donnez nous des époux
1.
Ayez pitié de tant de vieilles filles,
Qui sous le fard cachent leur vieille
peau
Elles ont été beaucoup trop
difficiles
Et maintenant elles sont sur le carreau
2.
Depuis le temps qu'elles font la
vaisselle
Elles voudraient bien embrasser un mari
Sécher des couches sur deux rangs de
ficelle
Y-a pas de bébé pour y faire pipi
Seront-elles donc des tantes à
héritage
Pour imiter ces dames aux chapeaux
verts
Et puis toujours attendant le partage
Elles traîneront le chien-chien à sa
mémère
Une autre version, chantée en
janvier 2000 par Marie-Louise Fourrier, de Riaillé
(Loire-Atlantique) à Elisabeth Carroget et Marie-Thérèse Renouard
Saint-Alexandre priez pour nous
Nous n’voulons plus attendre,
donnez-nous des époux (bis)
Pitié, mon dieu, pour tant de vieilles
filles
Qui sous leurs fronts, cachent de
vieilles peaux
Elles ont sans doute été trop
difficiles
Et les voilà restées sur le carreau
Qu’il s’appelle Jules, Oscar ou
Honoré
Qu’il soit barbu, joufflu ou édenté
Qu’il soit ministre, maçon ou
chiffonnier
Tel qu’il sera, je saurai bien
l’aimer
Saint-Valentin, faites que demain, il
vienne
Ce cher amour, se mettre à mes genoux
Saint-Valentin, faites que demain matin
Par le courrier, il me soit annoncé
Et que surtout, il ait des qualités
nombreuses
Pour compenser tous mes défauts
charmants
Et que surtout, il rende sa femme
heureuse
Ça vaut bien ça d’puis le temps que
je l’attends
Nous désirons (quand) même, un mari
modèle
Berçant les p’tits, quand ils
pleurent la nuit
Moulant l’café, essuyant la
vaisselle
Cirant l’parquet, préparant la
cuisine.