samedi 9 octobre 2021

388 - En passant par un échalier

 Une villageoise et le fils du roi ! Rien de moins que ça ! Un citoyen hors du commun pour une situation assez banale. Mais que fait donc cet important personnage dans un endroit où sa présence est inattendue ?

Manifestement, cette chanson n'est que la transposition dans un cadre bucolique d'une situation ou un « monsieur » a du abuser de sa supériorité pour obtenir les faveurs d'une belle. De nos jours on aurait un dépôt de plainte pour harcèlement. Dans la chanson traditionnelle on exprime tout cela avec des symboles et des métaphores qui rappellent encore une fois que les paroles ne doivent jamais être entendues au premier degré.

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Un échalier est un moyen de franchissement d'une haie qui sépare deux champs. Une sorte d'échelle qui permet le passage des humains et pas celui des animaux. On n'en trouve plus guère en ces temps ou le fil barbelé a remplacé la haie bocagère ; sauf, parfois, sur les chemins de randonnée. Un échalier, symboliquement, c'est le point de passage où le « monsieur » en mal d'aventures guette la jeune fille . Le galant homme qui l'aide à franchir l'obstacle se transforme-t-il en prédateur qui veut assouvir ses pulsions ? De la même manière, le panier de la jeune fille est hautement symbolique. Perdre son panier, quelle que soit la chanson, c'est perdre bien plus, avec ou sans consentement.

Nous nous abstiendrons d'analyser plus longuement une situation qui appellerait des commentaires qui ne sont pas du ressort de ce blog. Intéressons nous plutôt aux avatars de cette chanson dans nos répertoires.

A son propos, Patrice Coirault (1) note que l'air, populaire dès le début du 18è siècle «  s'est fort bien conservé dans les traditions orales des pays d'Ouest, de l'Atlantique à la Manche, ainsi qu'au Canada... A la stabilité musicale n'a correspondu qu'une instabilité verbale ». Une chanson comme celle ci « fait partie des répertoires oraux indispensables aux meneurs et meneuses de rondes. Les mémoires traditionnelles avaient donc beau jeu pour corser et rapiécer les textes verbaux avec des couplets d'emprunt ou des passe-partout ». Et Coirault de postuler que si la mémoire pouvait jouer des tours au chanteurs, certains prenaient aussi un malin plaisir à faire varier les textes « pour surprendre ou faire rire danseurs et auditeurs – à donner soudain aux schémas traditionnels un tour imprévu ».

Passant par un échalier est la parfaite illustration de ce phénomène. Notre version provient d'une informatrice qui nous a déjà fourni de nombreux exemples : Mme Constance Crusson, de La Baule, collectée, entre autres, par Roland Brou. On retrouve au début de ce texte nombre de couplets communs avec d'autres interprètes. Les derniers semblent empruntés à une autre chanson bien connue où la belle se laisse embarquer dans un navire venu livrer du blé (2). Ce qui corrobore, en effet, les observations de Coirault.

Le refrain utilisé par Constance Crusson est, lui aussi, présent dans d'autres chansons. En fait, il est assez rarement associé à celle ci.

Pour illustrer encore plus les observations de Coirault, il suffit, en effet, de naviguer dans les différents répertoires où on trouve cette chanson. Le refrain le plus fréquemment rencontré est :

Vous m'amuserez toujours

Je n'irai plus seulette au bois

J'ai trop grand peur du loup

Aller au bois, avoir peur du loup...on retrouve, bien sur, toutes ces métaphores d'une aventure occasionnelle. Ce refrain est déjà présent dans la chanson publiée en 1724 par Ballard (3). Un autre refrain assez souvent associé au passage de l'échalier est :

Il faut connaître avant d'aimer

Voilà pour les refrains. Les couplets nous offrent bien plus de variantes. Le panier de la jeune fille donne souvent lieu à une sorte de marchandage contre « un doux baiser ». A partir de là deux tendances se dessinent. Soit la belle accepte

je vous le rendrai pour un baiser / prenez en deux et me quittez

mais s'inquiète pour sa réputation mise à mal par les cancanages des oiseaux des bois, en latin ou en français. Un thème qui apparaît dans bien d'autres chansons, avec les considérations habituelles sur les qualités et défauts de hommes et des femmes.

Soit la belle refuse en prenant prétexte de l'attitude de son mari, ou de son amant jaloux. Ce qui nous donne des expressions du genre :

Non car mon mari le saurait

Il est jaloux vous le savez

Je voudrais tous ces jaloux noyés (ou brulés, ou crevés...)

Sans compter sur les versions où les deux protagonistes se félicitent de faire cocu le jaloux en question ni celles où la fille se vante de pouvoir épouser le fils du roi.

Bref, le scénario connaît de multiples développements qui empruntent souvent leur inspiration à d'autres textes de tradition.

Enfin, si l'aspect rural de l'échalier vous rebute, nous avons aussi trouvé plusieurs interprétations où la scène débute par :

En descendant un escalier

Une façon assurément plus citadine d'envisager l'affaire ; et plus proche de situations coutumières du théâtre de boulevard !


notes

1 – Formation de nos chansons folkloriques – Patrice Coirault – éditions du scarabée () pages 354 à 358

2 – cf chansons n° 39 (janvier 2014) et 271 (novembre 2018)

3 - Les rondes, chansons à danser...J.B.C. Ballard (1724) tome 1 page 56


interprètes : Annick Mousset et Isabelle Maillocheau

source : Constance Crusson, de La Baule, enregistrée en 1988 par Roland Brou

catalogue P. Coirault : En passant par un échalier (Amourettes - N° 01811)

catalogue C. Laforte : I, E-15 – le panier ramassé


En passant par un échalier, En passant par un échalier

J’ai laissé tomber mon panier, si j’étais fille

Ah quel plaisir charmant que d’être fille à 18 ans


J’ai laissé tomber mon panier, J’ai laissé tomber mon panier

Le fils du roi l’a ramassé si j’étais fille

Ah quel plaisir charmant que d’être fille à 18 ans


Le fils du roi l’a ramassé, Le fils du roi l’a ramassé

Sire rendez-moi mon panier si j’étais fille

Ah quel plaisir charmant que d’être fille à 18 ans


Sire rendez-moi mon panier, Sire rendez-moi mon panier

Car J’entends ma mère m’appeler si j’étais fille

Ah quel plaisir charmant que d’être fille à 18 ans


Car J’entends ma mère m’appeler, Car J’entends ma mère m’appeler

Tous mes petits enfants pleurer si j’étais fille

Ah quel plaisir charmant que d’être fille à 18 ans


Tous mes petits enfants pleurer, Tous mes petits enfants pleurer,

Taisez-vous la belle vous mentez si j’étais fille

Ah quel plaisir charmant que d’être fille à 18 ans


Taisez-vous la belle vous mentez si j’étais fille

Jamais d’enfants n’avez porté si j’étais fille

Ah quel plaisir charmant que d’être fille à 18 ans


Jamais d’enfants vous n’avez porté si j’étais fille

Ça sera-moi si vous l’voulez si j’étais fille

Ah quel plaisir charmant que d’être fille à 18 ans


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