vendredi 1 avril 2016

146 - J’ai perdu ma femme en piquant des choux

Avec pour refrain « verse dans mon verre », on peut être assuré de tenir là une chanson à boire. L'histoire en elle même n'est que prétexte à rire, à chanter et consommer des boissons euphorisantes. Nous ne chercherons pas de signification particulière à cette saynète plus orientée sur la gaudriole que sur la critique sociale.
L'expression piquer des choux n'est pas le reflet d'une vie très exaltante. Mais le buveur est philosophe, c'est bien connu. Son bonheur tient à des choses simples et ses ambitions sont limitées. Sa femme l'a quitté ? Il se consolera avec la servante. D'ailleurs si on la lui ramène au bout de huit jours ce n'était peut être pas une affaire. Tout ceci est bien misogyne, mais c'est souvent le cas des chansons de goguettes et de cabarets, fréquentés par une clientèle essentiellement masculine.
pour écouter la chanson et lire la suite:


Curieusement, les grands spécialistes de la chanson populaire ont voulu voir dans ce texte autre chose qu'une simple plaisanterie. Coirault et Laforte la classent respectivement dans les rubriques « maumariés »  et « enlèvements ». Mais rien ne nous indique vraiment que ce mari jaloux ait fait une mauvaise alliance ni que sa femme ne soit pas partie de son plein gré !
La première apparition de ce thème dans un recueil de chansons remonterait à 1624 (1). Depuis elle a fait son chemin, comme toutes les histoires dont s'est emparé la tradition orale. C'est à dire qu'on la retrouve un peu partout, conservant le même déroulement, avec des mélodies, des rythmes et des refrains variés. Elle a souvent été adaptée à la danse. Ainsi elle est certainement plus connue, avec une autre mélodie, comme support d'une ridée dans le pays gallo.
Pourtant, d'une région à l'autre, c'est la ritournelle « verse dans mon verre » qui demeure la plus constante. Des exceptions ? Une version notée en Wallonie avec un très court « cric, crac, boum » et à l'inverse un refrain plus développé en Bresse :
Arrive qui plante
Je suis matelot
Rien ne m'épouvante
Quand je suis sur l'eau
le département de l'Ain n'étant pas forcément celui où on s'attend à retrouver des chansons de marins.
Notre version, recueillie par l'association la Chouettée de la Madeleine, à Guérande et publiée par Fernand Guériff, est assez semblable à celles collectées ailleurs en Loire-Atlantique et dans les départements voisins. Tout au plus note-t-on ici ou là des détails qui renforcent son coté paillard :
j'ai une servante à cinq sous par jour...
...au bout d'la semaine ça m'y fait trente sous
Et si le dernier couplet ne nous dit pas tout, celui copié par Angelina Duplessix (2) précise :
Je druge avec elle
Ce qui est particulièrement clair... si vous parlez le gallo (3).

notes
1 – d'après P. Coirault : Le trésor et triomphe des chansons amoureuses et récréatives, tant pastorales que musicales, propres pour danser et jouer sur toutes sortes d'instruments par les sieurs S. Amour & S. Etienne, qu'autres beaux esprits de ce temps. Paris, J. Borné 1624
2 - Angélina Duplessix – chansons et contes de haute Bretagne – Dastum / Presses Universitaires de Rennes – 2015
3 - Druger = s'amuser, batifoler, chahuter, flirter, folâtrer, jouer, s'ébattre – d'apès le petit matao, dictionnaire français-gallo compilé par Régis Auffray, rue des scribes éditions

interprète : Roland Guillou
source : Emilienne Rouillé, de Guérande, collectée en 1989 – reproduite page 140 dans le tome 3 du Trésor des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande, de Fernand Guériff
Catalogue Coirault : 5817, la femme perdue en plantant des choux
Catalogue Laforte : I,F-12, la femme perdue



J’ai perdu ma femme,
J’ai perdu ma femme, verse dans mon verre
J’ai perdu ma femme
en piquant des choux

On me la ramène
au bout de huit jours

Tiens, voilà ta femme
bougre de jaloux

J’ai pas besoin d’ma femme
gardez la pour vous

J’ai (t) une servante
qui me sert à tout

Elle fait des callibottes
avec du lait doux

Et elle balaie ma place
et fait mon lit bien doux

Je couche avec elle
la nuit comme le jour

Elle fait bien autre chose
mais j’vous dis pas tout


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