La complainte du roulier fait partie de
ces textes à caractère religieux qui donnent des leçons de morale
chrétienne appuyées sur des histoires édifiantes. Elle reprend, en
le développant, le thème de « Jésus Christ s'habille en
pauvre », insistant sur la nécessité de faire la charité. Le
Christ prenant les traits d'un humble voyageur vient au secours du
roulier embourbé. Plus tard il se trouve en bute au mépris de
l'hôtesse pour un mendiant. Tout comme dans la chanson de référence,
la méchanceté est punie. Cette fois ce n'est pas l'aubergiste qui
ira brûler en enfer mais sa femme qui est frappée d'une mort
soudaine. La chanson ajoute à la morale religieuse un couplet sur
l'avenir de la France ; ce qui pourrait laisser supposer une
composition dans les périodes de doute et d'inquiétude qui ont
suivi les chutes du premier ou du second empire.
pour écouter la chanson et lire la suite:
Une partie de cette chanson rappelle un
texte de ce bon Jean de la Fontaine : « le chartier
embourbé » (1). on y retrouve l'attitude du roulier qui :
...déteste et jure de son mieux
Pestant en sa fureur extrême
Tantôt contre les trous, puis
contre ses chevaux
Le recours à Dieu – Hercule, dans la
fable – ne donne pas la même fin. Là ou notre moraliste conclut
« aides toi et le ciel t'aidera », la chanson propose une
solution basée sur l'entraide.
Le thème du charretier pris dans une
ornière n'est pourtant pas une invention de La Fontaine qui s'est
inspiré d'Esope, comme l'avait fait avant lui Rabelais (2).
Dans la chanson traditionnelle le
roulier embourbé apparaît aussi dans des textes notés par Achille
Millien en Nivernais et Vincent d'Indy dans le Vivarais, où c'est la
solidarité entre les rouliers qui leur permet de s'en sortir.
Roulier mon camarade, prête moi tes
chevaux
Suis pris dans une ornière et bien
pris comme il faut
A noter que dans la chanson collectée
par D'Indy c'est le roulier de Nantes qui est victime de
l'incident. Mais ceci est une autre histoire.
Le texte de notre chanson a été
collecté à plusieurs reprises en Loire-Atlantique : dans les
pays d'Ancenis et de Chateaubriant, de manière fragmentaire. Albert
Poulain en avait recueilli une version près de Redon, elle aussi
incomplète. Nous devons l'original de cette chanson à Stéphane
Glotin de Campbon, lui même conteur et collecteur. Vous pouvez
l'entendre sur notre double CD « Anthologie du patrimoine oral
de Loire-Atlantique ». Il est plus que probable qu'elle ait été
diffusée sur feuille volante, dans le style de l'imagerie populaire
du 19ème siècle. Toutefois, nous n'avons pas encore mis la main sur
cette source.
Notes
1 - fables de La Fontaine, livre VI,
fable 19 – Fable inspirée d'Esope (« Le Bouvier et Héraklès »).
2 - dans le « Quart Livre » de
Rabelais, chapitre XXI « C' est sottize telle que du charretier,
lequel, sa charrette versée par un retouble, à genoiltz imploroit
l'ayde de Hercule et ne aiguillonnoit ses boeufz, et ne mettoit la
main pour soublever les roues » (source : lafontaine.net)
interprète : Janig Juteau
source : Stéphane Glotin,
de Campbon
catalogue P. Coirault : Le
roulier charitable (Charité – N° 8506)
Approchez pour entendre un fait bien
étonnant
Qui va bien vous surprendre, écoutez
un instant
Vous verrez les merveilles du seigneur
Jésus-Christ
Chrétiens prêtez l’oreille à ce
nouveau récit
La puissance suprême de Dieu notre
sauveur
Apparut sous l’emblème d’un pauvre
voyageur
Qui demandait l’aumône, rencontra un
roulier
Par charité lui donne de quoi le
soulager
Par malheur sa voiture était dans un
bourbier
Il crie, il peste, il jure, il ne peut
avancer
Il frappe avec outrance ses pauvres
animaux
Et loin d’être en avance, rebute ses
chevaux
Le pauvre lui dit : mon frère, je
vais vous secourir
Calmez donc votre colère, à Dieu faut
recourir
Dieu est notre espérance, ne l’oubliez
jamais
Par sa toute puissance nous comble de
bienfaits
La parole achevée, il prit le fouet en
main
La voiture embourbée sort du mauvais
chemin
Le roulier invite le pauvre bon
vieillard
Du souper et du gîte, à venir prendre
part
En arrivant, l’hôtesse leur prépare
à souper
Ne faisant politesse seulement au
roulier
Ma maison n’est point faite pour
loger un mendiant
L’écurie trop honnête pour de
semblables gens
Le roulier dans son âme ressentit du
chagrin
Il dit : allez, madame n’ayez
point de dédain
Les pauvres sont nos frères, point
tant d’air méprisant
Ni mauvaises manières, servez-nous en
payant
Ils se mirent à table et dînèrent
tous deux
D’un air fort agréable, le roulier
curieux
Demanda des nouvelles, des affaires du
temps
En savez-vous de belles, parlez, je
vous entends
Le ciel sera propice au bon peuple
français
Que tous se réjouissent, il aura le
succès
Il règnera en France la paix et
l’union
Ainsi que l’abondance dans toute
nation
A toutes ces paroles, monsieur, ajoutez
foi
Elles ne sont point frivoles, ni
basses, croyez-moi
C’est tout comme l’hôtesse dans sa
chambre en entrant
Allez, cette tigresse est morte
maintenant
Le roulier sort de table pour s’assurer
du fait
Chose très véritable, il resta
stupéfait
Sur le seuil de la porte l’odeur l’en
a saisi
Car l’hôtesse était morte comme il
était prédit
A l’auberge il remonte sans le
moindre retard
Et va t’en rendre compte au pauvre
bon vieillard
(D’une pareille crise, il en est tout
ému)
Et là, double surprise, il avait
disparu
Il trouva sur la table l’image de
Jésus-Christ
Choses très véritable, il y avait
écrit
Soulagez l’indigence des pauvres
malheureux
Vous aurez récompense au royaume des
cieux.
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