Nous
avons entendu à plusieurs reprises cette version du « galant
qui voit mourir sa mie », dans le pays de Guérande. Elle
représente une évolution de ce thème ou l'amant court chercher le
médecin qui ne pourra sauver sa belle. Ce mélodrame inclut
habituellement un passage où
Elle
a tiré sa blanche main du lit
Pour
dire adieu à son ami
Le
galant, inconsolable, à qui ont fait remarquer :
N'y
a-t-il pas d'autres filles en Nantes
N'y
a-t-il pas la fille du président
qui
a de l'or et de l'argent
répond
invariablement :
J'aimerais
mieux ma mie nue en chemise...
Notre
version locale a un peu simplifié le scénario et y ajoute des
expressions parodiques qui prêtent plus à sourire qu'à pleurer. En
plus, une question demeure sans réponse : mais qui est donc ce
médecin de Nantes, si présent dans les chansons traditionnelles ?
pour écouter la chanson et lire la suite
« C'était
par un beau soir ». Dans une majorité des autres versions de
cette chanson c'est le matin que le galant s'est levé, plus matin
que la lune. Dans nos contrées, les visites aux jeunes filles se
font plutôt le soir (après le turbin) que le matin à la fraîche.
Mais là n'est pas la seule différence d'une version ou d'une région
à l'autre. Dans l'ouest on va chercher le médecin de Nantes ou de
Paris. En fonction de l'origine des informateurs le médecin appelé
peut se trouver à Rennes, à Josselin, à Fontenay (le Comte –
85). Ailleurs, ce n'est pas toujours Paris ou Nantes qui ont la
préférence. Dans les Alpes, suisses ou françaises, on va chercher
celui de Rome. Au Canada, si celui de Nantes n'est pas disponible
c'est son confrère de Londres qui est sollicité (Y'avait pas plus
près?).
Cette
chanson type n'est pas la seule où le « grand médecin de
Nantes » vient au chevet de la belle. Il y a toutes ces
histoires où elle se casse la jambe soit en recevant mal une orange,
soit en allant cueillir des roses blanches. Si Paris ou Nantes sont
souvent des noms commodes pour les rimes ou les assonances, cela
n'explique pas tout. En particulier dans notre chanson.
Qui est donc cet illustre praticien qui
vient au secours des malades ? Un nom vient à l’esprit :
celui de René Laennec qui inventa l’auscultation avec le
stéthoscope.
Oui mais...Laennec est né à Quimper
en 1781. Orphelin très tôt, il a été recueilli par un oncle,
Guillaume Laennec, médecin à Nantes, professeur et directeur de
l'école de médecine, qui semble à l’origine de sa vocation
médicale. Il effectue ses études à Paris où il exerce jusqu’en
1826 où la tuberculose met fin à sa carrière. René Laennec n’a
donc jamais exercé à Nantes. Son oncle Guillaume, si. Aucun autre
médecin nantais ne paraît avoir atteint cette célébrité.
Autre incertitude : toutes ces
chansons semblent d’une facture plus ancienne que le début du
19ème siècle. Si certaines situations pourraient avoir un rapport
avec les méthodes d’auscultation qui ont fait faire d’indéniables
progrès à la médecine, une majorité de textes font référence à
une jambe cassée. On n’est guère plus avancés. La
première grande cueillette de chansons populaires et folkoriques a
eu lieu dans la seconde moitié du 19ème siècle, plutôt vers la
fin. La réputation d’un médecin « nantais » a-t-elle
eu le temps de se greffer sur des textes précédents ?
Si
vous avez une autre explication sur la présence de ce « médecin
de Nantes » dans les chansons et sur son origine, merci de nous
en faire part. Ce ne sera pas remboursé par la sécu, mais pourrait
être utile quand même.
Pour
en revenir à notre chanson, elle n'est sans doute pas le meilleur
modèle du type ni le plus complet. Ecoutez celle interprétée par
Clémentine Jouin sur le CD que Dastum vient de lui consacrer dans la
collection « grands interprètes de Bretagne » ; ou
encore la version de Mélanie Houedry sur le double CD grandes
complaintes de Haute Bretagne ou celle enregistrée sur le CD de
l'association l'Epille consacrée aux répertoires d'Augan et
Campénéac...
Quand
à l'informateur qui a communiqué cette chanson, il enseignait la
bombarde aux jeunes du pays de Guérande. C'est très probablement
« sa » version. Il lui arrivait parfois de remplacer le
terme maîtresse par gonzesse. La rime et l'assonance
n'avaient pas à en souffrir ; la poésie, si.
Interprète :
Roland Guillou
source :
Chanté par Henri Lagadec de Guérande en 1970
catalogues :
Coirault : 1405 – le galant qui voit mourir sa mie -
Laforte : II, A-12 – le galant qui voit mourir s'amie
C’était
par un beau soir, j’allions voir ma maîtresse
J’allions
la voir, croyant m’y réjouir,
Je
la trouvai en train d’périr
Arrivé
d’vant sa porte, trois petits coups je frappe
Ouvrez,
ouvrez, la belle si vous m’aimez,
C’est
vot’n’amant qu’est arrivé
N’amant,
mon pauv’ n’amant, comment veux-tu que j’t’ouvre
Je
suis ici, cloutée dessur mon lit
Je
suis ici en train d’périr
Fallut
aller chercher un médecin à Nantes
Bonjour,
bonjour, monsieur le médecin,
Y
a ma maîtresse qui va pas bien
N’amant,
mon pauv’ n’amant, t’en trouveras bien d’autres
Là
qui auront des ors et des argents
Peut-être
aussi des diamants
Je
ne veux point d’ces ors ni d’ces argenteries
Ce
que je veux, monsieur le médecin
C’est
ma maîtresse qui va pas bien.
Même version, presqu'île de Rhuys, 1972 ("périr" remplacé par "crevir"):
RépondreSupprimerAu premier jour de l’an, j’allions vouër mon gonzè-esse. (bis)
J’allions la vouër croyant me réjou-ir,
Voilà qu’j’la trouve prête à crevir. (bis)
Tra la la la lo, la la lo, la la lé lo na,
Tra la la la lo, la la lo, la lé no. (bis le refrain)
Arrivé chez ma belle, j’frappions de cont’ son po-orte. (bis)
Ouvrez ouvrez la belle si vous m’aimez,
C’est votre amant qu’est arrivé. (bis)
Amant mon pauvr’ amant, comment veux-tu que j’t’ou-ouvre. (bis)
Je suis t’ici cloutée de cont’ mon lit,
Je suis t’ici prête à crevir. (bis)
Il faut aller quérir la médecin de Nan-antes. (bis)
Venez venez Monsieur la médecin,
Y a mon gonzesse qui va pas bien. (bis)
La médecin arrive, ô [= avec] tout son attira-aille. (bis)
Je voué je voué ce qui y a là dedans,
C’est son boyau qui fout le camp. (bis)
Amant mon pauvr’ amant, t’en trouv’ra une plus ri-iche. (bis)
Une qui aura des ors et des argents,
Et maintenant je vais crevir. (bis)
Je ne veux point des ors ni des argenteri-i-es. (bis)
Ce que je veux, ce que j’veux maintenant,
C’est mon gonzesse que j’aime tant. (bis)
(Le refrain joyeux, bas-breton, a été donné par des scouts antillais qui utilisaient cette version ainsi contrastée "triste-joyeuse", "lente-rythmée", et rapporté par un jeune animateur Malien, aujourd'hui professeur au Mali)