Quel est le lien de parenté entre ce
Duc du Maine et le sire de Framboisy ? Leur histoire est
identique. C'est celle d'un homme d'âge mur qui épouse une petite
jeunette, puis la délaisse pour vaquer à ses occupations d'homme de
guerre. Pendant son absence, la délaissée se prend du bon temps. Le
retour du mari se passe mal et finit de façon dramatique par la mort
de la jeune femme. On est en plein drame moyenâgeux ; le thème
est familier dans d'autres chansons de cette époque.
Oui mais ; la chanson du sire de
Framboisy a été composée en 1855 par Ernest Bourget(1), l'un des
trois fondateurs de la SACEM. Ce qui relativise le coté moyenâgeux
de l'affaire. On la trouve dans certaines collectes, par exemple en
Loire-Atlantique, dans le pays de Redon. Mais alors pourquoi en
presqu’île Guérandaise est ce le duc du Maine qui est le héros
de cette histoire ?
pour écouter la chanson et lire la suite
La chanson du sire de Framboisy a connu
un certain succès dans la seconde moitié du 19ème siècle ;
sur les planches des cabarets et théâtres parisiens pour commencer.
Elle a aussi été adoptée dans les milieux populaires, au point
qu'on la trouve dans les ouvrages de plusieurs collecteurs de cette
époque.
Son côté dramatique, peut être
hérité d'une légende plus ancienne, s'efface au final derrière
des procédés tragi-comiques du café concert. Le mari :
creuse sa tombe du bout de son
parapluie
sème sur sa tombe de la graine de
persil
ce qui n'empêche pas celui ci de
perpétrer son crime, tantôt en empoisonnant sa femme, tantôt en
lui coupant la tête, parfois à coup de fusil.
Le Sire l'a retrouvée dans un bal,
c'est une constante dans toutes les versions. Parfois elle y danse la
polka ce qui correspond bien à la période de diffusion de cette
danse à la mode depuis son introduction à Paris vers 1840.
La morale des deux derniers vers du
sire de Framboisy est plus sérieuse :
De cette histoire, la morale la
voici
A jeune femme, il faut un jeune mari
Revenons maintenant à notre chanson
Guérandaise. Fernand Guériff en donne deux versions (2). La mélodie
de la seconde, notée à Penestin en 1857, correspond exactement à
celle chantée à Roland Brou par Constance Crusson dans les années
80 ; 1980 cette fois !
Cette chanson est elle une adaptation
de l'histoire de Framboisy ou bien a-t-elle une autre origine ?
Pourquoi sur nos côtes est-il remplacé par le Duc du Maine, comte
de Chambéry ou de Kervoisy selon les sources ? Ce Du Maine
est-il parent avec « la Du Maine » choisie par le fils du
roi dans la chanson « dix filles dans un pré » ?
Avec le grand Duc du Maine dont la mort fit pleurer le roi ? La
chanson d'Ernest Bourget a-t-elle beaucoup emprunté à une autre
plus ancienne (3) ?
Seulement deux ans après sa
publication à Paris, la chanson aurait alors subi un processus de
folklorisation rapide. Des éléments (coupe, assonance) permettent
de suivre la filiation avec la chanson type. Mais d'autres
transformations (personnages, paroles, refrain, mélodie) permettent
d'imaginer un autre processus. Si la chanson de Bourget a utilisé
une base plus ancienne son retour vers la tradition orale ne pouvait
qu'en être facilité.
Sans savoir si cette explication est la
bonne, il nous faut citer les observations d'Edouard Le Héricher,
auteur d'un ouvrage sur la littérature populaire de la Normandie
publié à Avranches en 1884 : « Il n'y a pas de conte qui
n'ait son ancêtre ; pas une chanson qui ne sorte d'une
chanson ; pas d'air qui ne se perpétue indéfiniment...La
chanson de Malborough est la chanson du duc de Guise ; le sire
de Framboisy (impérial), de nos jours est sorti d'un chant ancien
que chantait naguère à son fils une dame qui serait plus que
centenaire aujourd'hui ».
Pour changer des questions sans
réponses, signalons que la mélodie chantée ici est adaptée à une
danse locale, le bal paludier. Le trio Brou – Hamon- Quimbert l'a
enregistrée en 1999 sur son CD « trois petits oiseaux il y
a.. ». Il s'agit de la même version, écourtée par
l'informatrice. Nous vous donnons donc, en complément, les paroles
du second texte noté par Guériff.
notes
1 - paroles de Ernest Bourget, musique
de Laurent de Rillé en 1855
2 - dans le tome 1 du trésor des
chansons populaires folkloriques recueillies au pays de Guérande,
page 136
3 - Ce qui serait un comble pour l'un
des trois fondateurs de la SACEM.
interprète : Béatrice De Noüe,
avec Annick Mousset, Isabelle Maillocheau et Simone Lalande
source : Constance Crusson
de La Baule (Loire-Atlantique) collectage de Roland Brou le 29 juin
1996
catalogue P. Coirault : Le
sire de Framboisy (Crimes passionnels – N° 09907)
catalogue C. Laforte : Le
retour du mari soldat : la femme trop jeune (I, B-22)
Le duc du Maine s’est marié à Paris
(bis)
Il a prit femme, pas guère à ses
loisirs
Le duc du Maine, le comte de Chambéry
Il a pris femme, pas guère a ses
loisirs (bis)
Il l’a pris trop jeune, il va s’en
repentir
Le duc du Maine…
… Partit en guerre combattre
l’ennemi…
… Revient de guerre quand la guerre
fut finie…
… Cherchant sa femme quatre jours et
quatre nuits…
… Il la trouva dans un bal à Paris…
… Petite femme, que faites-vous ici…
… Je ris, je bois, je chante, je me
divertis…
… Petite femme, avez-vous un mari…
… Oh oui, à mon grand repentir…
… Petite femme, vous lui parlez à
lui…
… Grand dieu du ciel, quelle parole
que j’ai dit…
La suite, prise dans la version N°
2 du recueil de F. Guériff
Prenez votre sabre et me tuez ici
Non, non Madame, je n'en ai point souci
La prit, l'embrasse, dans son carrosse
la mit
Hors de la ville la tête il lui
tranchit
Sonnez trompette, hautbois et violon
Ma dame est morte j'en sais bien la
raison
La version de 1855 du sire de
Framboisy
C'était l'histoire du Sire de
Framboisy
Avait pris femme, la plus belle du pays
La pris trop jeune, bientôt s'en
repentit
Partit en guerre afin qu'elle mûrit
Revint de guerre après cinq ans et
demi
Trouva personne de la cave au chenil
Appela la belle trois jours et quatre
nuits
Un grand silence hélas lui répondit
Le pauvre sire a couru tout Paris
Trouva la dame dans un bal à Clichy
Corbleu princesse que faites vous ici ?
Voyez je danse avec nos amis
Dans son carrosse la mène à Framboisy
Il l'empoisonne avec du vert-de-gris
Et sur sa tombe il sema du persil
De cette histoire, la morale, la voici:
A jeune femme, il faut jeune mari !
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