Nous commençons l'année 2016 comme
nous avions fini 2015 : avec une chanson qui nous renvoie vers
les métiers du bâtiment. Lors d'un épisode précédent le
compagnon quittait précipitamment sa belle pour éviter les
contraintes du mariage. Renversement de situation ici, puisque c'est
la mariée qui trouve à se plaindre. Mais pourquoi épouser un
tailleur de pierre ?
Oui, pourquoi cette version
particulière a-t-elle évincé toutes les autres qui se situent
toujours dans le milieu des vignerons ? Pourquoi cette pauvre
fille va-t-elle casser des cailloux comme les bagnards ?
Pourquoi cette chanson est-elle devenue une rengaine passée par le
chant scolaire, ressassée dans les carnets de chants des mouvements
de jeunesse et serinée dans les noces ?
pour écouter la chanson et lire la suite
Quasiment toutes les autres chansons
qui racontent la même histoire font référence à un « homme
des vignes », un « planteur, planteux, bêcheur ou
tailleur de vignes ». Que ce soit dans l'ouest où elle a été
le plus souvent collectée (vendangée?) ou dans des vignobles plus
éloignés, jusqu'en Champagne ou en Moselle. Ce qui justifie le
changement de décor c'est que l'origine probable de ce texte ci est
une partie de la Haute Bretagne où les carrières sont plus
nombreuses que les vignes. Et pourtant le sieur Decombe (1) en a noté
une, où la fille se marie d'o un tailleur de vignes, dans le
pays de Dinan, secteur où le granit se taille mieux que le cep. Et
pourtant on la chante aussi en Loire-Atlantique, où la plupart des
versions collectées se passent, naturellement, dans les vignes.
Bref, elle a donc trempé son pain dans
le jus de la pierre ; façon poétique d'exprimer qu'elle en
bave avec son époux, et de nous rappeler que, jadis, le statut de la
femme mariée comportait un volet socio-économique aussi important
que la vie de couple, qu'on ait épousé un paysan, un tailleur de
vignes ou de pierre ou un marchand de velours.
Cette évocation est un raccourci des
péripéties détaillées dans d'autres versions. La jeune mariée y
est souvent battue parce qu'elle se repose dans les vignes au lieu de
travailler. Et si elle explique qu'elle est lassée ou malade, voici
la réponse donnée du coté des crus de la Loire (plutôt Sancerre
que Muscadet) :
Le matin sont malades,
Le soir elles sont guéries (2)
Le soir elles sont guéries (2)
et aussi
quand l'ennui les tourmente
Elles ont mal à la tête
Mais au bout de quelque mois
le mal de tête leur passe (3)
Si la mal mariée s'adresse au clergé
local pour y trouver une oreille compatissante, on débouche sur la
morale habituelle :
Des femmes en faire des filles
L’Église ne l'ordonne pas (4)
en ajoutant parfois que :
D'une jeune femme
On peut faire une jeune mère
En guise de consolation : bercez,
bercez, mesdames c'est là votre métier !
Ce tour d'horizon étant effectué,
vous nous ferez remarquer qu'on ne sait toujours pas pourquoi le
tailleur de pierre a supplanté le tailleur de vignes dans le
folklore. Nous pouvons donc juste supposer que la diffusion écrite,
puis enregistrée de cette version en a fait le modèle type. Ce qui
est aussi le cas avec d'autres chansons traditionnelles qui ne sont
plus connues que dans une seule interprétation alors que leur
variantes sont multiples.
Notes :
1 - Lucien Decombe – chansons
populaires recueillies dans le département d'Ille et Vilaine - 1884
2 - Millien, en Nivernais
3 - Barbillat et Touraine, en Berry
4 - Noté par Louisette Radioyes à St
Congard, Morbihan
interprète : Simone
Lalande – réponses : Annick Mousset, Béatrice De Noue,
Isabelle Maillocheau
source : Simone Lalande
d'après la version entendue de son père, Auguste Picaud, de la
Madeleine en Guérande
catalogues :
Coirault 5510, mariée à un tailleur
de vignes
Laforte I, D-26, la mariée aux vignes
Mon père m'a mariée à un tailleur de
pierre (bis)
Le lendemain de mes noces, m'envoie à
la carrière, là !
Déjà mal mariée, déjà
Déjà mal mariée, gué
Le lendemain de mes noces, m'envoie à
la carrière (bis)
Et j'ai trempé mon pain dans le jus
de la pierre, là!
Déjà mal mariée, déjà...
Et j'ai trempé mon pain dans le jus
de la pierre (bis)
Par là vint à passer le curé du
village, là !
Déjà mal mariée, déjà...
Par là vint à passer le curé du
village (bis)
Bonjour monsieur l'curé, j'ai trois
mots à vous dire, là !
Déjà mal mariée, déjà...
Bonjour monsieur l'curé, j'ai trois
mots à vous dire (bis)
Hier m'avez fait femme, aujourd’hui faites-moi fille, là !
Déjà mal mariée, déjà...
Hier m'avez fait femme,
aujourdhui faites-moi fille (bis)
Hélas ma pauvre enfant, la chose est impossible
Déjà mal mariée, déjà...
Hélas ma pauvre enfant, la chose est impossible (bis)
Hélas ma pauvre enfant, la chose est impossible
Déjà mal mariée, déjà...
Hélas ma pauvre enfant, la chose est impossible (bis)
De fille je fais femme, de femme ne fais point fille, là !
Déjà mal mariée, déjà...
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