samedi 25 juin 2022

421 - J'ai tant filé

Faisons un saut dans le temps avec une chanson qui a disparu des collectes les plus récentes et ne se rencontre guère que dans les recueils antérieurs au vingtième siècle. La raison en est toute simple : elle nous parle d'un temps que même les sociétés rurales les plus attardées n'ont pas pu connaître. Nous voici plongés dans cette économie autarcique où non seulement la nourriture mais aussi le vêtement étaient issus de circuits ultra courts. Un processus fort bien décrit par cette chanson

Pour écouter la chanson et lire les commentaires : 

Commençons par un cours d'économie sommaire. Nous ne sommes pas au temps ou les tee-shirts viennent du Bengladesh et les jeans du Maroc. Tout y est fait sur place ; directement du producteur au consommateur, qui sont une seule et même personne ; avec toutefois l'intervention d'un élément extérieur, mais très proche. Pour résumer, la laine des moutons, le chanvre ou le lin qui sont produits sur place, sont transformés en fil. C'est une des activités principales de la main d’œuvre féminine : le filage. Interviennent ici des accessoires aussi ringards que le rouet ou le fuseau. La fusée dont il est question n'a pas grand chose à voir avec Ariane, si ce n'est une histoire de fil. Cette fusée c'est le contenu d'un fuseau, l'accessoire qui sert à enrouler le fil, qu'il soit d'origine animale ou végétale. Elle sert à confectionner les habits de ceux qui l'on produit. Pour la jeune fille de la chanson, c'est son trousseau, c'est à dire ce qu'elle apportera dans son couple lors de son mariage. Le seul élément extérieur de ce processus de fabrication reste le tisserand. Lui seul possède le métier qui permet de passer du fil au tissu. Et voilà résumé en quelques couplets un mécanisme qui a disparu depuis longtemps, probablement même à la période ou ce type de chansons a été recueilli.

Dès lors, comment faut-il comprendre le début de cette chanson ? La jeune fille nous apprend qu'elle s'est contentée d'une fusée en quatorze ans. C'est un peu maigre pour en faire un cotillon. Ce qui ne l'empêche pas de mettre la pression au tisserand. Elle a besoin de son attirail pour des noces qu'elle annonce comme prochaines. Il s'agit bien d'un habit de cérémonie qui va être utilisé trois fois par an, aux principales fêtes, mais surtout pour ces noces qui sont l'objectif final.

Cette chanson a été principalement recueillie dans l'ouest de la France, du Poitou à la Bretagne. Rien d'étonnant donc à ce qu'on en rencontre plusieurs versions chez les collecteurs de notre secteur : Clétiez, Soreau, Guéraud, Guériff. Ces versions sont très proches les unes des autres pour les textes comme pour les mélodies. Tout au plus constate-t-on quelques adaptations locales à propos d'un autre événement qui justifie de bien s'habiller :

A la grande foire de Sérent...

nous dit une version morbihanaise. Dans les Charentes c'est la foire de Marans, plus près de nous celle de Chateaubriant (1).

Le refrain est toujours le même quelle que soit l'origine géographique de la collecte. On le retrouve aussi dans d'autres chansons. Il est typique d'airs à danser. Car cette chanson est évidemment une danse. Les trois compères du trio BHQ (2) ont utilisé la version recueillie par Adolphe Orain à Tresbeuf, en Ille et Vilaine en lui donnant le rythme d'un rond de Saint Vincent. Notre exemplaire, noté dans le Pays de Retz, a bien du servir lui aussi à une danse en rond, sans qu'il soit possible de définir exactement laquelle.

Les méthodes traditionnelles de filage et de tissage sont tombées en désuétude. Les danses et les chansons sont restées, même hors contexte. Alors pourquoi ne pas continuer à les interpréter.


notes

1 - A Châteaubriant, il s'agit de la foire de Béré, dont la première citation remonte à l'an 1050 et existe probablement depuis l'époque mérovingienne.

2 – Roland Brou, Mathieu Hamon et Charles Quimbert – sur le CD « garçons sans souci » (Coop Breizh – CD 940 - 2002)


interprètes : Jeannette Lebastard avec Jade Daslstein-Jidkoff, Christine Dufourmantelle, Christine Gabillard, Isabelle Montoir, Armelle Petit,

source : 80 chansons du Pays de Retz – recueil du violoneux Poiraud à Pornic (44) compilé par Michel Gautier 1

Catalogue P. Coirault : la fileuse au cotillon blanc (306- badines)

Catalogue C. Laforte : I, P-19, Le cotillon blanc


J'ai tant filé dans mon jeune temps ) bis

Brunette allons gaiement                )

Une fusée en quatorze ans

Toujours gai gai, toujours gaiement

Brunette allons gai gai ma mie allons gaiement (bis)


Une fusée en quatorze ans

Je l'ai portée chez l' tisserand


Beau tisserand, beau tisserand

Fais moi ma toile bien promptement

Que je m'en fasse un jupon blanc

je le port'rai que trois fois l'an

A Noël, à Pâques, à la Saint Jean

Et à mes noces quand il sera temps

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