La guerre, encore et toujours la guerre, omniprésente dans les chansons comme dans l'actualité. Pourtant ce n'est pas le fait militaire qui constitue l'argument principal de cette chanson. La vie de garnison et l'engagement de la fille qui prend l'habit de soldat ne sont qu'un décor pour une pièce en trois actes et deux tableaux. Trois épisodes avec un dénouement heureux et deux ambiances qui vont du réalisme le plus sordide de l'abandon d'une fille séduite à la fiction débridée d'un conte pour grands enfants.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
L'aventure de cette fille soldat peut donc se scinder en trois : Un premier temps où le garçon, peu empressé d'être chargé de famille, préfère s'engager comme « bon soldat » ; le second acte voit la fille faire preuve d'un caractère bien trempé en s'organisant pour retrouver son amant ; enfin, le dénouement nous offre son lot de larmes de regrets puis de joie.
Puisqu'on parle d'émotions, Fernand Guériff, qui a noté cette chanson, parlait ainsi de son informateur : « Le père Advenard, ancien tisserand...chantait avec beaucoup d'émotion ; il s'arrêtait à certains couplets pour dire : Çà fait que j'pleure ! ».
Cette histoire privilégie l'émotion et les sentiments à la crédibilité des faits. Si la première partie est assez commune à toutes les chansons qui parlent de filles abandonnées par des séducteurs, la seconde partie nous entraîne dans un univers où une imagination débordante a pris les commandes. Certes, il ne manque pas de chansons où une fille s'engage (ou essaye) dans l'armée pour retrouver un garçon. Mais les détails de l'affaire prennent ici des proportions invraisemblables. C'est la fille qui exige du capitaine de choisir son binôme. Et celui ci accède à ses désirs. Mais bien sur ! C'est tout à fait crédible ! De même qu'il est très vraisemblable que, partageant sa vie durant six ans, il ne l'ait pas reconnue. On sait qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre cette durée : six ou sept ans c'est juste l'expression, dans la tradition, d'une durée longue mais indéterminée. Mais tout de même ; les filles qui s'engagent le font souvent sans dissimuler leur féminité et, quand ce n'est pas le cas, un incident vient opportunément les trahir :
Quand il aperçoit ses seins blancs
Ah ! Jugez quelle surprise (1)
Eh bien, là non ! On a beau préciser qu'il
était facile à connaître
Qu'elle était sa Louison...
il faut attendre le dernier couplet pour qu'un raccourci mette un terme à cette invraisemblable situation. La raison de cet aveuglement tient peut-être dans l'origine de la chanson. Patrice Coirault, dans son répertoire de la chanson française, donne comme source plusieurs carnets de colportage du 18è siècle. On sait, en effet, que cette littérature imprimée dans la bibliothèque bleue ou autres éditions, privilégiait les récits fantastiques, contes et légendes appréciés d'une clientèle moins illettrée que la moyenne, mais avide de sensations.
Fernand Guériff précise que « le timbre est celui de la bataille de Steinkerque, bien connu dans la région ». Toujours d'après P. Coirault ce timbre aurait lui-même pour origine une chanson d'une pièce de Crébillon fils « En passant par le pont neuf » (2) .
La plus connue des versions de cette histoire a été recueillie dans la région de Loudéac. Elle figure dans le troisième tome des chansons des pays de l'Oust et du Lié (3). Elle a pour titre « la fille de Moncontour ». Vous pouvez en entendre une belle interprétation sur le premier CD du duo Roland Brou & Patrick Couton (complaintes et chansons – 2005). Une autre version en a été notée beaucoup plus loin des Côtes d'Armor, sur les rives de Terre Neuve (4).
Remarquons, à ce propos, que l'allitération a permis de passer de :
C'est une fille de nos cantons, à :
C'est une fille de Moncontour
L'histoire finit bien. Selon la formule consacrée, on pourrait terminer par « ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants ». Mais la chanson nous rappelle qu' ils ont déjà anticipé.
notes
1 – « la fille soldat qui reconquiert son amant » notée par P. Coirault – chansons françaises de tradition orale, 1900 textes et mélodies...(BnF – 2013) page 202.
2 - En passant par le pont neuf (E025), dans : Mélodies en vogue au 18è siècle – le répertoire des timbres de Patrice Coirault – révisé, organisé et complété par Georges Delarue et Marlène Belly – (BnF 2020)
3 - C'était une fille de Moncontour – chansons des pays de l'Oust et du Lié (M. Le Bris / A. Le Noac'h) – cercle celtique de Loudéac 1978
4 - Les filles de Moncontour – recueilli à Terre Neuve en juin 1973 par Gérard Thomas – p 236, la chanson maritime – OPCI (L'Harmattan - 2013)
interprète : Hugo Aribart
source : Louis Advenard, à Saint Lyphard, en 1955 – publié dans le tome 3 du Trésor des chansons populaires folkloriques du pays de Guérande (p. 146)
catalogue P. Coirault : La fille soldat qui reconquiert son amant (n° 6703 – filles-soldats)
C'est une fille de nos cantons
Là, qui se nommait Louison.
Elle est là-haut dans sa chambre,
Dans sa chambre elle est si bien
C'est pas l'argent qui lui manque
Car elle n'a besoin de rien.
C'est un jeune homme de ces faubourgs
Là, qui l'entretenait d'amour
Mais la belle, mirlitontaine,
La voilà dans l'embarras ;
Son amant qui la délaisse !
Ca ne la console pas !
Un jour lui a dit z-en pleurant :
« Comment se nomme ton régiment ?
- Le régiment de la Reine
Où l'y a de bons soldats
Qui sont les premiers au choc
Les combats n'y craignent pas !
Là, quand j'aurais eu mon enfant
J'irai t'rejoindre au régiment.
Là, je verrai ta tendresse
Je verrai ton amitié ;
Si tu as une autre maîtresse
Je saurai bien te tuer !
- Je te dirai ma Louison
Reste là-bas dans nos cantons.
J'aurai soin de dire à ma mère,
Auparavant d'y partir
J'aurai soin de dire à ma mère,
De faire nourrir le petit
Au bout de six mois environ,
A t'accouché d'un beau garçon.
Mais sa mère qu'est auprès d'elle
Lui dit : « Ma fille, ne pleure pas !
Au retour de la campagne,
Mon fils vous épousera.
Oh ma mère, laissez moi pleurer
C'est pour éteindre mes regrets ! »
Elle quitte l'habit de fille
Pour prendre celui d'un garçon
Elle s'en va chez le capitaine,
Comme un démon, comme un lion.
« A vous bonjour, mon
capitaine
Là, je voudrais bien m'engager,
Comptez moi seize pistoles,
Monsieur je m'enrôlerai
...
Auparavant de m'engager,
J'ai t'une chose à vous demander :
Je veux choisir mon camarade,
Celui qui m'y plaira le mieux
Faites donc battre la démarche
Faites
les passer deux à deux. »
Le capitaine sur le champ,
A fait appeler le sergent :
Faites battre la démarche,
Faites
les passer deux à deux.
Qu'il choisisse son camarade,
Celui qui lui plaira le mieux.
- Arrête, arrête, tambour major !
Ne bats pas ton tambour si fort !
Voilà mon camarade qui passe :
Celui là du coté droit
Dans sa main porte une enseigne
Un beau bouquet d'oranger. »
Le capitaine lui a dit :
« Viens ici berger, mon ami.
Voici un nouveau qui s'engage
Qui, sur toi, a fait son choix.
Il a juré dessus son âme
De rester fidèle à toi
Ont bien été cinq ou six ans
Là, dans le même régiment
…
Elle a de beaux cheveux blonds
L'était facile à connaître
Qu'elle était sa Louison.
Un jour, à la promenade,
J'avais grand dessein de tuer
Je lui dis : « cher camarade,
Qu'as tu donc à pleurer tant ?
Je te vois la mine pâle
Et le cœur si désolant.
Là, je te dirai mon ami
Que le chagrin m'y fera mourir !
Là, j'avais une maîtresse
V'là sept ans dans mon pays.
Et ma mère vient de m'écrire
V'là six ans qu'elle est partie
Mais ta maîtresse n'est pas loin !
Devine ! La reconnais tu bien ?
C'est moi qui suis ta maîtresse.
Allons mettre l'arme en bas !
Allons chez le capitaine !
L'aumônier nous épousera
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