Une nouvelle fois nous publions une chanson qui vante les mérites ou le caractère des filles d'une localité. Le titre ne vous aura sans doute guère renseigné à ce sujet si vous n'êtes pas bretonnant. Il témoigne de la pratique de la langue bretonne en Loire-Atlantique, encore vivante jusqu'en 1900, dans un secteur limité qui correspond justement aux villages cités dans la chanson. Nous laissons donc le soin à Sylvain Bahuaud, spécialiste de ce parler local, de vous en faire découvrir l'histoire et les spécificités avec cette chanson.
pour écouter la chanson et lire la suite :
Même si le fait est peu connu, la langue bretonne a été parlée pendant plus de mille ans sur la partie nord-ouest de la Loire-Atlantique, et plus particulièrement sur le pays Guérandais. Je ne parle pas là du breton de bigoudénie ou des penn-sardines rapportés pas les pêcheurs de sardines et que l'on pouvait encore entendre il y a quelques années dans les bistrots du Croisic. Il s’agit bien d'un dialecte local, assez proche du vannetais , avec ses traits et son vocabulaire bien particulier. Si la pratique du brezhoneg a progressivement reflué vers les contrées du nord-ouest, notamment à partir du XVIème siècle, certaines zones ont fait de la résistance et ont durablement gardé la pratique de la langue au quotidien alors que la quasi totalité des pays guérandais, brièron et mitaud était devenue francophone. Ainsi, au début du XIXème siècle, trouvait-on encore des locuteurs breton à Piriac, Mesquer, La Turballe et au Bourg-de-Batz.
Le Bourg-de-Batz fut justement le dernier bastion, la poupe du Titanic, la maison de Bazeilles, qui résista vaillamment jusqu'au début du XXème siècle. Pour quelles raisons ? Elles sont sans doute multiples et le business n'est sans doute pas la moindre : pour vendre du sel en Centre-Bretagne la connaissance du breton était un atout certain.
Cela dit, il faut admettre que, faute de contacts réguliers avec les locuteurs les plus proches, distants de plus de 40 km à vol d'oiseau, le breton du Bourg-de-Batz a pris, au cours des décennies d'isolement, une tournure très particulière jusqu'à devenir, comme le qualifie Gildas Buron (1), un "créole breton" devenu, sur la fin, incompréhensible même avec les plus proches voisins.
Bien heureusement, quelques érudits ou curieux de la fin du XIXème ont bien voulu pencher leurs binocles et leurs barbiches sur notre babillage local. Le principal enquêteur fut Léon Bureau, linguiste émérite issu d’une famille d’armateurs Nantais. Il rédigea, entre 1865 et 1875, deux dictionnaires et une grammaire. « Grâce à moi, la langue est sauvée ! » écrivit-il un jour « dommage qu’il n’en soit pas de même pour la saliculture de Guérande, qui aura disparu dans quelques années » poursuivit ce Nostradamus moderne … Toujours est-il que faute d’avoir été publiés, et à force d’être trimbalés à peu près partout sur la planète, ses manuscrits ont été égarés.
Principal lot de consolation : Léon prêta un temps ses ouvrages à son ami Emile Ernault comme son papa, linguiste de St Brieuc, qui eut la gentillesse d’en faire une synthèse et de la publier, en 1882, dans le « bulletin archéologique de l’association bretonne » (2). D’autres passionnés seraient à citer à l’ordre des transmetteurs de langue, mais nous sommes là pour parler de chansons.
Car des collectes de chants en Breton du Bourg de Batz (BBB pour les intimes), il y en a eu ! Au moins 5 collectes identifiées ! Génial ! Bon, il est juste dommage que, sur ces 5 collectes, 4 portent sur la même chanson… Mais au moins, celle-là on la connaît, comme dirait Resnais.
Il s‘agit donc d’un rond paludier (curieux, non ?), narrant les qualités et les travers des filles des différents villages entourant le Bourg de Batz.
La version que nous vous proposons ici est celle collectée par M. Pitre de Lisle du Dreneuc (ça claque, hein?), telle qu’il l’a publiée en 1887 (3), et complétée par la récente découverte de nouveaux couplets du même bonhomme par Gildas Buron (4). On a ajouté, pour finir, le dernier couplet de Pierre Béziers (5), sur nos amies un tantinet maniaques du Bourg.
Malgré les travaux de Pierre Le Roux (6) sur la prononciation du breton, il reste beaucoup d’inconnues sur ce point concernant le BBB (Breton du Bourg de Batz, faut suivre !). Nous avons choisi de rester fidèles aux collectages, malgré les forts risques d’approximations.
notes
1 - Gildas Buron, conservateur du Musée des Marais Salants du Bourg de Batz, à qui nous adressons nos remerciements appuyés
2 - https://urlz.fr/hJAx
3 - https://urlz.fr/hJBk
4 - Les Cahiers du Pays de Guérande N° 72
5 - https://urlz.fr/hJBC
6 - https://urlz.fr/hJBI
interprètes : Françoise Bourse et Agnès Pihuit
source : recueilli au Bourg de Batz en 1872 par Pitre (Pierre-René) de Lisle du Drenneuc, conservateur du musée Dobrée, à Nantes
Une autre interprétation de cette chanson figure sur le CD « chants et veuze en presqu'ile guérandaise » - Tradition vivante de Bretagne n°3 – Dastum, 1994
Er merc’het Kervalek - texte et traduction en français
Er merc’het a Kervalek
Zo ho vel er spinack
Er spinack lir a lir
Er spinack lir a la
Er merc’het a Germouzen
Zo koet ha pe me bihen
pe me bihen lir a lir
pe me bihen lir a la
Er merc’het a Rofia
E zo koet ha koet ha mad
ha koet ha mad lir a lir
ha koet ha mad lir a la
Er merc’het a Tregate
E zo koet ha koet o ve
ha koet o ve lir a lir
ha koet o ve lir a la
Er merc’het a bennastel
D’ez dent es vil ar rastel
vil ar rastel lir a lir
vil ar rastel lir a la
Er merc’het a Germouzen
Zo atao ked un bihen
De bromenal lir a lir
De bromenal lir a la
Er merc’het a Dregate
Zo atao abarh gwele
De kenet lir a lir
De kenet lir a la
Er merc’het a Germousen
Zo sovaj pi’ment bihen
A zo sovaj lir a lir
A zo sovaj lir a la
Er merc’het aven ar Vourh
E zo kimi gour ha gour
Gour a gour lir a lir
Gour a gour lir a la
Les filles de Kervalet
Sont comme l’épine
Garnies d’épines lire lire
Garnies d’épines lire la
Les filles de Kermoisan
Sont jolies quand elles sont petites
Les filles de Rofia
Sont jolies, jolies et bonnes
Les filles de Trégaté
Sont jolies et jolies seront
Les filles de Pentchâteau
Ont les dents comme le rateau
Les filles de Kermoisan
Sont toujours avec un petit à promener
Les filles de Trégaté
Sont toujours au lit à chanter
Les filles de Kermoisan
Sont sauvages quand elles sont petites
Les filles du Bourg
Sont toujours en train de laver
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