La guerre, encore et toujours, même si elle n'est pas le sujet principal, sert de décor à cette aventure pas banale et pourtant si présente dans les traditions chantées. Nous n'avons pas d'indication sur le conflit dans lequel ce jeune écolier a été entraîné (1). Sa durée – sept ans – tient plus du chiffre symbolique d'une longue absence que d'une réalité d'engagement. Ce qui compte c'est qu'après une si longue absence il va enfin revoir son pays, sa famille et celle qu'il avait du quitter sitôt épousée. Suspense...
pour écouter la chanson et lire la suite :
Les déconvenues au retour de l'armée ont fait l'objet de tant de chansons que nous en avons déjà publié quelques unes. Souvent le soldat découvre qu'en son absence, et faute d'avoir pu envoyer de ses nouvelles, sa situation matrimoniale en a pris un coup : femme remariée, enfants dont il ne peut assumer la paternité (2)...sans parler des épisodes ou personne ne le reconnaît, pas même ses parents (3). Par rapport à ses situations peu réjouissantes, celle ci a le bon goût de faire durer ce suspense et de nous offrir une fin originale.
Arrivant le soir même des noces, le premier mari a tout d'abord bien du mal à se faire admettre puis reconnaître. Ainsi, la chanson berrichonne publiée par Barbillat et Touraine (4) nous donne les bagues comme signe de reconnaissance, puis devant l'hésitation de la femme, une description de la nuit de noces ne lui laissant plus de doutes :
L'soir en montant au lit
Que je vous ai pris la main
Et qu'votre anneau cassit
Deux solutions s'offrent alors au militaire pour faire valoir ses droits. Il pourrait tout simplement faire confiance à la justice qui décidera :
que l'on rende la femme au premier marié
Pourtant, dans un grand nombre de versions c'est une autre manière de trancher le différend qui est proposée. Beaucoup moins morale et beaucoup plus hasardeuse pour le soldat qui envisage de jouer aux cartes ou aux dés pour savoir qui aura gain de cause. Est ce un manque de confiance dans les décisions de justice ou la reconnaissance d'une situation ambiguë ou chacun des deux aurait autant de droits à faire valoir ? Il est vrai que les circonstances n'aident guère. La mariée plaide sa bonne foi :
j'ai reçu de fausses lettres que vous étiez mort à l'armée...
J'ai fait fair' des services, le deuil, je l'ai porte'.
Et célébré des messes par des prêtres chantées.
Entre le couplet ou la mariée se lève de table et la conclusion de l'affaire, se placent souvent d'autres couplets qui passent de la désolation la plus totale :
hier je croyais être veuve / ce soir j'ai deux maris
aux joies des retrouvailles. Mais la formule la plus constante dans toutes les versions de cette chanson c'est celle qui occupe les deux derniers couplets. La morale de l'histoire, pourrait-on dire, n'est pas tendre pour les hommes qui épousent des veuves. Cette situation a occasionné dans la pratique populaire de nombreux charivaris condamnant implicitement ce genre de remariages.
La version de cette chanson que nous avons enregistré n'est bien entendu pas la seule qui ait été notée dans la région. Elle dispose d'une mélodie intéressante avec la reprise des couplets sur deux lignes mélodiques différentes.
notes
1 – même si certaines sources comme Joseph Vingtrinier (chants et chansons des soldats de France) la datent du premier empire.
2 – voyez les chansons n° 144 : M'y revenant de l'Italie (mars 2016) ou 248 : trois jeunes soldats(mai 2018)
3 – chanson n° 167 : au lever de l'aurore (septembre 2016) et 46 : mes bonnes gens (mars 2014)
4 – chansons populaires dans le Bas-Berry – Barbillat et Touraine – tome 4 page 34
interprète : Alexia Denoue
source : Roselyne David, enregistrée par Roland Guillou et Guillaume Denoue à Guérande (Loire-Atlantique) le 22 septembre 2011
catalogue P. Coirault : La femme aux deux maris (Aventures de mariage – N° 05307)
catalogue C. Laforte : Le retour du mari soldat : seconde noce (II, I-04)
Le jeune écolier
Récitant l'aventure
C'est un jeune écolier
Sortant de chez son père
Voulant s'y marier
Le premier soir de ses noces
Il reçu son mandement
Il fallait prendre les armes
Rejoindre son régiment
Sa tant jolie campagne
A bien duré sept ans
Sans envoyer une lettre
A femme ni à parents
Au bout de la septième
Il reçut son congé
Le même soir qu'il arrive
Sa femme s'y mariait
Il s'en fut à l'auberge
Demander à loger
De la même manière
Tout comme un étranger
Mon brave militaire
Nous ne pouvons vous loger
J'avons ce soir des noces
Sommes fort embarrassés
Oh ! logez moi madame
Et pendant le repas
Nous causerons ensemble
Du sexe et du combat
La quand il fut à table
Au milieu du festin
Aperçois ses beaux-frères
Qu'avaient le verre en main
Qu'on m'apporte des cartes
Des cartes aussi des dés
Que nous jouions ensemble
Qu'aura la mariée
Mon brave militaire
Ne nous dérangez pas
La nouvelle mariée
Ne vous appartiens pas
Belle où sont-ils tes bagues
Et tes beaux diamants
Que je t'ai donné la belle
Il y a ce soir sept ans
La nouvelle mariée
En l'écoutant parler
Elle se lève de la table
Et s'en va l'embrasser
Il faut rendre les gages
A cet infortuné
Il cherchera ailleurs
Il aura liberté
C'est entre vous jeunes hommes
Garçons à marier
Ne prenez point ces veuves
De peur d'être attrapé
Prenez moi ces fillettes
De bonne volonté
Qu'elles soient belles ou non belles
Sur que vous les aurez
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