samedi 23 avril 2022

412 La femme aux deux maris

 La guerre, encore et toujours, même si elle n'est pas le sujet principal, sert de décor à cette aventure pas banale et pourtant si présente dans les traditions chantées. Nous n'avons pas d'indication sur le conflit dans lequel ce jeune écolier a été entraîné (1). Sa durée – sept ans – tient plus du chiffre symbolique d'une longue absence que d'une réalité d'engagement. Ce qui compte c'est qu'après une si longue absence il va enfin revoir son pays, sa famille et celle qu'il avait du quitter sitôt épousée. Suspense...

pour écouter la chanson et lire la suite :

Les déconvenues au retour de l'armée ont fait l'objet de tant de chansons que nous en avons déjà publié quelques unes. Souvent le soldat découvre qu'en son absence, et faute d'avoir pu envoyer de ses nouvelles, sa situation matrimoniale en a pris un coup : femme remariée, enfants dont il ne peut assumer la paternité (2)...sans parler des épisodes ou personne ne le reconnaît, pas même ses parents (3). Par rapport à ses situations peu réjouissantes, celle ci a le bon goût de faire durer ce suspense et de nous offrir une fin originale.

Arrivant le soir même des noces, le premier mari a tout d'abord bien du mal à se faire admettre puis reconnaître. Ainsi, la chanson berrichonne publiée par Barbillat et Touraine (4) nous donne les bagues comme signe de reconnaissance, puis devant l'hésitation de la femme, une description de la nuit de noces ne lui laissant plus de doutes :

L'soir en montant au lit

Que je vous ai pris la main

Et qu'votre anneau cassit

Deux solutions s'offrent alors au militaire pour faire valoir ses droits. Il pourrait tout simplement faire confiance à la justice qui décidera :

que l'on rende la femme au premier marié

Pourtant, dans un grand nombre de versions c'est une autre manière de trancher le différend qui est proposée. Beaucoup moins morale et beaucoup plus hasardeuse pour le soldat qui envisage de jouer aux cartes ou aux dés pour savoir qui aura gain de cause. Est ce un manque de confiance dans les décisions de justice ou la reconnaissance d'une situation ambiguë ou chacun des deux aurait autant de droits à faire valoir ? Il est vrai que les circonstances n'aident guère. La mariée plaide sa bonne foi :

j'ai reçu de fausses lettres que vous étiez mort à l'armée...

J'ai fait fair' des services, le deuil, je l'ai porte'.

Et célébré des messes par des prêtres chantées.

Entre le couplet ou la mariée se lève de table et la conclusion de l'affaire, se placent souvent d'autres couplets qui passent de la désolation la plus totale :

hier je croyais être veuve / ce soir j'ai deux maris

aux joies des retrouvailles. Mais la formule la plus constante dans toutes les versions de cette chanson c'est celle qui occupe les deux derniers couplets. La morale de l'histoire, pourrait-on dire, n'est pas tendre pour les hommes qui épousent des veuves. Cette situation a occasionné dans la pratique populaire de nombreux charivaris condamnant implicitement ce genre de remariages.

La version de cette chanson que nous avons enregistré n'est bien entendu pas la seule qui ait été notée dans la région. Elle dispose d'une mélodie intéressante avec la reprise des couplets sur deux lignes mélodiques différentes.


notes

1 – même si certaines sources comme Joseph Vingtrinier (chants et chansons des soldats de France) la datent du premier empire.

2 – voyez les chansons n° 144 : M'y revenant de l'Italie (mars 2016) ou 248 : trois jeunes soldats(mai 2018)

3 – chanson n° 167 : au lever de l'aurore (septembre 2016) et 46 : mes bonnes gens (mars 2014)

4 – chansons populaires dans le Bas-Berry – Barbillat et Touraine – tome 4 page 34


interprète : Alexia Denoue

source : Roselyne David, enregistrée par Roland Guillou et Guillaume Denoue à Guérande (Loire-Atlantique) le 22 septembre 2011

catalogue P. Coirault : La femme aux deux maris (Aventures de mariage – N° 05307)

catalogue C. Laforte : Le retour du mari soldat : seconde noce (II, I-04)


Le jeune écolier


Récitant l'aventure

C'est un jeune écolier

Sortant de chez son père

Voulant s'y marier


Le premier soir de ses noces

Il reçu son mandement

Il fallait prendre les armes

Rejoindre son régiment


Sa tant jolie campagne

A bien duré sept ans

Sans envoyer une lettre

A femme ni à parents


Au bout de la septième

Il reçut son congé

Le même soir qu'il arrive

Sa femme s'y mariait


Il s'en fut à l'auberge

Demander à loger

De la même manière

Tout comme un étranger


Mon brave militaire

Nous ne pouvons vous loger

J'avons ce soir des noces

Sommes fort embarrassés


Oh ! logez moi madame

Et pendant le repas

Nous causerons ensemble

Du sexe et du combat


La quand il fut à table

Au milieu du festin

Aperçois ses beaux-frères

Qu'avaient le verre en main


Qu'on m'apporte des cartes

Des cartes aussi des dés

Que nous jouions ensemble

Qu'aura la mariée


Mon brave militaire

Ne nous dérangez pas

La nouvelle mariée

Ne vous appartiens pas


Belle où sont-ils tes bagues

Et tes beaux diamants

Que je t'ai donné la belle

Il y a ce soir sept ans


La nouvelle mariée

En l'écoutant parler

Elle se lève de la table

Et s'en va l'embrasser


Il faut rendre les gages

A cet infortuné

Il cherchera ailleurs

Il aura liberté


C'est entre vous jeunes hommes

Garçons à marier

Ne prenez point ces veuves

De peur d'être attrapé


Prenez moi ces fillettes

De bonne volonté

Qu'elles soient belles ou non belles

Sur que vous les aurez


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