mercredi 2 mars 2022

406 - Quand la bergère s'en va t'au champ

 L'actualité ne nous laissant pas de répit, les chansons guerrières des semaines passées laissent aujourd'hui place à un débat amoureux. C'est encore une de ces histoires de bergère et de ses rapports avec un « monsieur ». Son statut social n'est pas précisé. On sait juste qu'il a de l'argent ; et qu'il s'en sert. De là découle une certaine ambiguïté qui permet de donner à la chanson des interprétations qui vont de la simple amourette champêtre à des postures beaucoup plus vénales. C'est à vous de voir mais d'abord...

pour écouter la chanson et lire la suite :

Fernand Guériff, n'a pas collecté exclusivement dans la région nazairienne et la presqu'ile guérandaise. Réfugié, pendant la guerre, sur les bords de la Loire en amont de Nantes, il en profité pour glaner quelques belles chansons. Comme une précédente (1), celle ci vient du répertoire d'un cultivateur du Cellier, M. Francis Savary.

Cette bergère garde l'image classique du genre : moutons blancs, bord de rivière, rencontre d'un cavalier. Mais très vite l'histoire se barre...en quenouille. Pour en saisir toutes les subtilités on pourrait se référer aux très nombreuses versions recueillies un peu partout. Hélas de l'une à l'autre l’ambiguïté est entretenue. Tantôt nous découvrons des textes édulcorés où la jeune fille semble avoir fait rencontre d'un amant acceptable :

Si jamais vous repassez par ici

N'oubliez point la bergère.

Tantôt c'est quasiment un viol qui est décrit :

Et puis la renversa par terre.

La belle se mit à pleurer

Entre ces deux extrêmes l'histoire offre toutes les possibilités, avec des particularités, mais aussi une constante qui posent questions. Tout d'abord, dans la relation avec le cavalier, la bergère est-elle consentante ? Si, comme nous venons de le voir, ce n'est pas toujours le cas, dans cette version du pays nantais, cela ne fait guère de doutes. La jeune fille est pour le moins aguicheuse en se comparant à ses brebiettes en mal d'amour. Mais là où la situation devient encore plus scabreuse c'est que quasiment toujours, ici comme ailleurs, les « embrassades » donnent lieu à une transaction financière. Elle est parfois présentée comme un dédommagement offert par le monsieur. Pour notre bergère c'est moins sur :

Avez mon cœur en gage (2)

Et vous ne m'avez jamais rien donné

Si nous étions dans un de ces romans de la série noire, le dialogue pourrait se résumer à : « tu viens chéri » et « n'oublies pas mon petit cadeau » car la gardienne de brebis n'est pas loin d'exercer le plus vieux métier du monde. La fin de la chanson confirmerait cette attitude ambiguë. La mère n'est pas dupe de cet argent trouvé. La fille calme son courroux en lui faisant valoir une possibilité d'enrichissement facile. Si vous trouvez qu'on exagère, alors que dire de la version berrichonne citée par Canteloube (3) où la bergère se vante des 100 écus

Tenez maman ce que j'ai gagné

En m'y roulant sur la fougère

A chacun de se faire sa propre opinion. Nous ne sommes pas là pour juger ni faire des leçons de morale. Cette chanson est fort plaisante et gagnerait à être plus souvent chantée. Elle nous change des habituelles chansons de bergères, un genre où, parmi beaucoup de poésies un peu mièvres, surnagent quand même quelques textes remarquables.

Avant d'en finir avec ces considérations, sachez que la consultation des différentes versions disponibles permet de s'instruire sur l'artisanat lainier. Si le terme quenouille, ou quenouillette, est le plus fréquemment employé, l'outil est nommé colognette dans les chansons des provinces de l'est et filousette aux abords des Pyrénées. Enfin, si quelqu'un peut nous renseigner sur ce que représente la « mode de Lorraine » en matière vestimentaire, qu'il ou elle n'hésite pas à se manifester dans les commentaires.

NB – malgré un titre identique, cette chanson n'a rien à voir avec celle que nous avons publiée en octobre 2015 (n° 122). Malgré cette homonymie, elles n'entrent pas dans la même catégorie et ont un propos complètement différent.

Notes

1 – la chanson du bouquet – n° 357 – octobre 2020

2 – Qu'on trouve dans d'autres chansons exprimé plus crûment : vous avez eu mon pucelage, mais je n'ai pas eu votre argent

3 - Anthologie des chants populaires français, Joseph Canteloube, (Durand et cie – 1951) tome 3, page 105


interprète : Liliane Berthe

source : chanté par Francis Savary, cultivateur vigneron à la Grande Funerie, commune du Cellier, en 1943. Publié par Fernand Guériff dans « cueillette musicale au pays de la Mée » - cahiers 1984 de l'Académie de Bretagne (Nantes et le pays de la Mée).

Catalogue P. Coirault : Quand la bergère s'en va-t-aux champs (4101 – bergère et monsieur)

Catalogue C. Laforte : I, J-07 – la bergère facile


Quand la bergère s'en va t'au champ (bis)

Bien chaussée, bien coiffée

La quenouillette à son joli coté

Tout le long de la rivière


Par la passit un cavalier

D'un grand bonjour bergère

Toi et tes jolis petits moutons blancs

Qui sont là sur la fougère


Monsieur ce n'est pas des moutons

Ce sont des brebiettes

Qui entendent aussi bien le mot d'amour

Aussi bien que la bergère


Le cavalier entend ces mots

Il mit le pied à terre,

Cinq à six fois de suite l'embrassa :

Je te quitte ma bergère


La belle, elle se mit à pleurer

Avez mon cœur en gage

Et vous ne m'avez jamais rien donné

Faites moi quelque avantage !


Le cavalier entend ces mots

Tira de sa boursette,

Cent écus d'or, de suite lui a donnés

Je te quitte ma bergère


La bergère emmène ses moutons.

Tenez, tenez ma mère,

Tenez, tenez tout ce que j'ai trouvé

En menant mes moutons paître


Ma fille tu n'as pas trouvé

C'est là-bas dans la plaine

Qu'un cavalier descendait de cheval

Pour y soulager tes peines.


Ma mère, nous achèterons des moutons

Moutons qu'auront de la laine.

J'en ferai faire de petits cotillons

A la mode de Lorraine.

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