« Dans les prisons de Nantes, y'avait un prisonnier... » c'est une affaire entendue. A tel point que tous les prisonniers qui s'évadent ou sont sauvés par leur amoureuse dans les chansons semblent incarcérés dans les geôles nantaises. Ne voulant pas faire preuve d'un chauvinisme excessif, c'est un honneur dont on peut facilement se passer. L'histoire de ces deux amants, qui a pour cadre la prison de Lyon, vient donc a point nommé pour rappeler que quel que soit l'endroit, l'amour est plus puissant que la loi. C'est la morale qui se dégage de toutes ces, nombreuses, chansons de prisonniers évadés.
pour écouter la chanson et lire la suite :
Il est vrai que les prisons de Nantes sont souvent le théâtre de ces scènes où l'amour d'une belle pour un prisonnier nous réserve une fin heureuse à une situation compromise. La plus célèbre est certainement cette fille du geôlier qui permet au prisonnier de sauver sa peau en sautant dans la Loire (1). Elle est tellement répandue qu'elle éclipse un peu les autres, comme celle où les prisonniers sont sauvés parce qu'ils chantent une chanson (2). Il y a aussi la belle histoire de la fille qui se déguise en page pour permettre l'évasion de son amant en prenant sa place. Bref, si les prisons de Nantes ont acquis une réputation universelle grâce à la chanson, c'est bien à Lyon que se situe l'action de celle ci. Ce qui ne l'empêche pas d'être très connue dans notre région. Plusieurs autres versions de cette chanson ont été collectées en Loire-Atlantique : en presqu'ile Guérandaise, en pays d'Ancenis et au sud de la Loire, comme celle chantée par Mme Legeay, que vous pouvez entendre sur notre double CD « Anthologie du patrimoine oral » (3).
Revenons donc à l'histoire du jour. La
version que nous vous proposons offre l'essentiel de l'intrigue, mais
est incomplète. Nous allons donc piocher dans les autres collectes
pour vous offrir les épisodes manquants.
Après le quatrième
couplet, la chanson enchaîne presque aussitôt sur l'exécution.
Mais habituellement, alors que le juge ne laisse aucun espoir à la
jeune fille, celle ci s'empare des clés de la prison pour sauver son
amant. Ceci nous permet d'apprendre que la geôlière est, en fait,
la fille du geôlier puisqu'elle dérobe les clés à son père.
C'était un dimanche matin, son père était à la messe...
Le deuxième épisode oublié c'est le dialogue avec son amant. Alors qu'elle lui offre la liberté, celui ci refuse, ayant apparemment une confiance aveugle en la justice de son pays. Il ne profite même pas du trousseau de clefs de la belle pour se la faire (la belle !) :
de la prison je sortirai quand mon procès sera jugé...
Dans toutes ces chansons nous ne savons d'ailleurs jamais les raisons de l'emprisonnement. A l'exception de la fille déguisée en page :
j'ai rencontré la belle, j'ai voulu l'embrasser
Les gens de la justice m'ont rendu prisonnier
On peut imaginer que les motifs d'emprisonnement ne sont pas toujours sérieux. Pourtant, dans le cas présent, l'amant va finir sur l'échafaud. D'où une autre partie du dialogue où il demande à la belle de l'oublier :
prends l'anneau d'or que j'ai au doigt
et fais un autre amant que moi
alors qu'ici, en l'absence de rencontre, c'est au juge qu'elle jure sa fidélité au prisonnier.
Enfin, à l'avant dernier couplet, si le condamné demande qu'on couvre sa mie de son manteau c'est qu'elle est tombée évanouie devant l'affreux spectacle du châtiment.
Quoiqu'il en soit, les couplets oubliés de notre version ne nous privent pas de l'incroyable dénouement : la clémence des juges face à l'amour plus fort que la mort ! Toutes ces histoires de prisonniers ne semblent avoir été inventées qu'à cette fin. Le thème en est répandu dans la chanson francophone mais aussi dans le folklore de bien d'autres pays.
Autres éléments manquant dans cette chanson sont les prénoms des deux jeunes gens : Pierre et Françoise, quels que soient le lieu ou l'origine de la collecte. Remarquons au passage que Pierre est le prénom le plus courant dans les chansons traditionnelles et qu'il expose souvent à des aventures dramatiques. C'est le cas dans « La Pernette » où l'amant qui va être « pendouillé » se prénomme ainsi (cf. chanson n° 307 en août 2019).
notes
1 – voir, entre autres, la chanson n° 27 d'octobre 2013. Des dizaines de versions de ce thème ont été collectées ou enregistrées. Sauter dans la Loire est, aujourd'hui, plutôt considéré comme une tentative de suicide que comme un exploit !
2 – cf chanson n° 116 de juillet 2015. Les « gars de Guérande » y sont emprisonnés à Rennes. Le plus souvent c'est à Nantes, ou à Redon que se situe la prison.
3 – Anthologie du patrimoine oral de Loire-Atlantique (Dastum 44 – 2012) voir notre rubrique éditions
interprète : Janig Juteau
source : enregistrée auprès de Marie Orain à Campbon le 24 aout 1999 par Janig Juteau et Florence Grondin,
catalogue P. Coirault : La fille du geôlier amoureuse d'un prisonnier (01403 - traverses)
catalogue C. Laforte : Pierre et Françoise (II, C-05)
Dedans la ville de Lyon,
L'y a-t-une geôlière.
Elle est joli' comme le jour.
Un prisonnier lui fait l'amour.
C'est par un beau lundi matin,
S'en fut trouver le juge.
A deux genoux elle s'est jeté :
Ayez pitié des prisonniers
Hélas lequel est-ce donc, dit-il
Qu'est votre amant la belle ?
Celui là qu'a les fers aux pieds
C'est celui-la mon bien aimé
Celui là qu'a les fers aux pieds
Demain il faut le pendre
Il est jugé, il en mourra,
Un autre amant, belle, vous faudra
Ah, par pitié, monsieur le juge
Je vous demande sa grâce
Un autre amant je ferai point
Je veux mourir entre ses mains
Un autre amant je ferai pas
Je veux mourir entre ses bras
Mais quand il fut sur l'échafaud,
A la troisième marche,
Le condamné dit au bourreau :
Couvrez ma mie de mon manteau.
Les juges se sont regardés,
Se dirent : qu'allons nous faire
Ils faut les marier tous deux
Ils feront un ménage heureux.
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