Voici donc la seconde partie de notre feuilleton de l'été. Résumé de l'épisode précédent : Un jeune rennais emprunte un crâne au cimetière pour effrayer les passants le jour du carnaval. Ayant fini de s'amuser, il rejette le crâne. Par bravade et en toute inconscience, il invite le mort à dîner à titre de dédommagement. Il n'imaginait sûrement pas que le mort se présenterait chez lui. Et c'est à cet endroit que nous reprenons l'histoire.
Si vous prenez cette affaire en cours, nous vous conseillons d'écouter d'abord les douze premiers couplets publiés la semaine dernière (n° 379)
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Nous avons beaucoup hésité sur l'origine de cette histoire. Cette fois nous allons seulement nous attacher à ses occurrences dans la tradition populaire. Si elle existe aussi sous forme de conte ce sont aux chants que nous allons nous intéresser. Première surprise : cette complainte est connue dans toutes les régions et se déroule toujours dans la ville de Rennes (1). Nous vous conseillons par exemple, l'écoute de la version interprétée par Gilbert Bourdin sur notre CD « grandes complaintes de Haute-Bretagne » (2).
Deuxième surprise : elle est interprétée majoritairement sur l'air de « Fualdès », un timbre habituel pour les complaintes criminelles. Notre version, recueillie à Vieillevigne vers 1858 par M. Armand Guéraud, fait donc partie des exceptions. En outre, l'utilisation du timbre de Fualdès, popularisé à partir de 1817, semblerait vouloir dire que cette complainte est une composition des premières décennies du 19è siècle. Donc, pas si ancienne que cela par rapport aux textes que nous avons cité lors du premier épisode. Voilà de quoi alimenter encore le débat sur l'influence des traditions populaires sur la littérature savante et vice-versa et réciproquement !
Les collecteurs de cette chanson, dès la fin du 19è siècle, n'ont pu s'empêcher de remarquer la similitude avec « le carnaval de Rosporden » publié par La Villemarqué dans le Barzaz-Breiz, ouvrage précurseur en matière de diffusion des chansons populaires. La situation est quasiment identique, même si, au départ, les protagonistes sont plus nombreux dans la chanson en breton. Le texte reproduit par La Villemarqué débute ainsi : « le vingt septième jour du mois de février de l'année mil quatre cent quatre-vingt-six... » Une date qui d'après l'auteur du Barzaz Breiz n'a pas grande signification, mais qui ajoute encore un peu à la confusion.
Dans toutes ces chansons, le mort ne se contente pas de fiche la trouille à celui qui s'était servi de son crane pour en faire autant parmi la population locale. Le mort a du savoir vivre et rend la politesse au jeune homme en l'invitant à souper dans les jours suivants. Un cadeau empoisonné car en dépit de ce respect des convenances, les compétences culinaires du mort sont une garantie du trépas.
Notons au passage que le mort est toujours un personnage masculin. Si on parle de LA mort pour la circonstance du décès, ses attributs sont généralement au masculin : LE cadavre, LE Crane, LE squelette...Le trépassé passant la nuit au lit avec le libertin, ce choix nous évite peut-être quelques détails scabreux ! (3)
Les deux derniers couplets font place à la morale de l'histoire, exactement comme dans les complaintes criminelles basées sur des faits réels. Voilà une similitude de construction qui explique peut-être que ces chansons aient été souvent chantés sur l'air de Fualdès.
Ainsi prend fin notre feuilleton de l'année 2021. A bientôt pour la suite de notre voyage dans les traditions orales.
Notes
1 – seule exception : une version recueillie en Lorraine la situe à Reims. (Chants populaires messins: recueillis dans le val de Metz en 1877 par Nérée Quépat). Rennes / Reims, l'assonance proche peut expliquer le déplacement.
2 - Le libertin invitant la Mort à dîner – chanson n°10 du premier CD - Grandes complaintes de Haute-Bretagne (Ar Men / la Bouèze / G.C.B.P.V. / Dastum 44 – 1998)
3 – que ceux et celles qui trouvent que nous avons l'esprit mal tourné écoutent la balade anglo-écossaise « King Henry ». Frissons garantis.
Interprète : Jean-Louis Auneau
source: recueilli par Armand Guéraud, à Vieillevigne (44) en 1858
Catalogue P. Coirault : La vengeance du trépassé (Edifiantes - 08416)
Catalogue C. Laforte : Le mort invité à dîner (II, B-40)
la vengeance du trépassé : suite
13. Le mort pour se faire entendre,
De nouveau frappe trois fois.
La mère, ne sachant quoi
La fill' faisait trop attendre,
S'en fut promptement ouvri' ;
Elle tomba mi-morte aussi.
14. Le fils voyant que sa mère
Ne revenait pas non plus,
S'en va d'un pas résolu.
Les voyant tous deux par terre,
Il croit que c'est des voleurs
Qui lui ont fait cette peur.
15. Le garçon tout en colère,
Et jurant comme un païen,
Dit : oui, Dieu punira bien
Ceux qui ont fait cette affaire.
Mais il fut bien étonné
Quand il vit son trépassé.
16. Le squelette', chose effroyable !
Faisant trembler tous ses os,
Prit la parole aussitôt
Et lui dit : allons à table !
Je viens avec toi souper,
Comme tu m'as invité
17. Voyant son humeur chagrine,
Le mor-e, mangeant à voir,
Lui dt : compèr', hier au soir,
Tu faisais meilleure mine.
Si tu ne veux pas manger,
Eh bien ! Allons nous coucher !
18. Tremblant d'crainte et de surprise
En entendant cette voix,
Le garçon s'couch' plein d'effroi.
Près d'lui se place, à sa guise
Le mort, veillant tout' la nuit
Pour voir s'il a bien dormi.
19. La servante, aussi la mère,
Revenus dans leur esprit,
Voyant le fantôme, au lit,
Passèr' la nuit en prière,
Priant Dieu dévotement
De délivrer l'pauvre enfant.
20. Dieu exauça leur prière,
Et le mort, au point du jour,
Regagnant son noir séjour,
Partit en disant : compère,
Dans huit jours je t'attends
A souper pareillement.
21. Une fièvre fort violente
S'est emparée du garçon.
Les médecins, sans façon,
L'ont condamné sans doutance.
Il eut seulement le temps
De r'cevoir les sacrements.
22. Il est mort le jour des cendres,
Justement dans les huit jours,
Comm' le mort dans son discours
Lui avait bien fait entendre.
Cet exemple doit toucher
Les jeunes gens débauchés !
23. Avec piété, sans faconde,
Auparavant de mourir,
Il dit à tous ses amis :
Je m'en vais dans l'autre monde ;
Prenez exemple sur moi :
De Dieu suivez bien la loi !
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