Vous reprendrez bien
un peu de cresson ?! On ne va pas vous raconter de salades, c'est un
thème qui est souvent au menu des chanteurs et chanteuses de
traditions. La preuve: nous vous en avons déjà présenté une
version (1). Comme pour beaucoup de chansons très répandues, les
différences peuvent être importantes de l'une à l'autre. Si pour
le fonds de l'histoire on reste dans les nuances, ce sont les
musiques et les refrains qui font toute la richesse de ce répertoire.
Pour écouter la
chanson et lire la suite:
Qu'est ce qui fait
la popularité d'une chanson ? C'est parfois bien difficile à dire.
Par exemple, on n'a toujours pas compris pourquoi la chanson des
trois canards tient la tête du “hit parade” depuis des
générations. Pour la fille au cresson, on peut plus facilement
risquer une explication. Le bon tour joué par la jeune fille aux
trois galants, surs de leur fait et prêts à profiter de la
situation, justifie la reprise de ce thème dans toutes les régions.
Chacune a ainsi pu adapter l'histoire à ses supports musicaux qu'ils
soient à danser, à marcher ou simplement à écouter.
Notre secteur de
collectes ne manque pas d'exemples de cette fille au cresson. Pour ne
pas échapper à la règle on la retrouve assortie à toutes les
sortes de refrains qui accompagnent habituellement l'histoire. Ce qui
confirme l'intense circulation de cette chanson. Celle que voici a la
particularité de reprendre le plus ancien refrain associé à ce
texte, publié pour la première fois en 1712.
Auparavant essayons
de répondre à quelques questions. Peut on se noyer en allant
chercher du cresson ? Nous ne sommes pas suffisamment experts en
botanique pour affirmer que les cressonnières sont rarement situées
aux bords de rivières ou trous d'eau profonds. Comme dans la plupart
des chansons qui parlent d'une fille à la fontaine la chute est plus
surement symbolique. On vous renvoie à une chanson précédente pour
des précisions sur ce thème (j'avais une belle mère – chanson n°
341). La fille au cresson s'est elle mise dans une situation embarrassante ? La noyade est elle réellement le péril qui la guette
? Heureusement la cavalerie arrive, pour une fois, à temps. Comme
d'habitude les personnages vont par trois. Pourquoi ce chiffre est-il
si permanent dans la tradition ? Trois cavaliers, trois, filles,
trois amants...et même trois canards !. Tout semble aller par trois.
Loin de nous l'idée d'y chercher uniquement une relation avec la
sainte trinité. Faut pas pousser, quand même, et toujours chercher
des explications ésotérico-mystiques. Cependant cette dominante du
chiffre trois reste un mystère insondable, comme le trou d'eau dont
on retire notre héroïne.
Le seul argument qui
n'ait rien de mystérieux dans cette chanson est la façon très
adroite dont la jeune fille se tire des pattes de ses “sauveteurs”:
Tirez, tirez,
dit-elle, après c’la nous verrons...
...est sans doute le
vers qui résume le mieux la situation et toute la chanson. En fait
de récompense, la belle se contente de leur offrir la recette du
poison au cresson. Peut on vraiment faire confiance à des barons ?
Elle a sans doute raison de s'en tirer ainsi.
Revenons maintenant
à un autre mystère, celui du refrain. Parmi la quantité de
refrains associés à cette chanson, celui ci a perduré dans la
tradition populaire après avoir été imprimé pour la première
fois dans les années 1710 (2). Comme pour une de nos précédentes
chansons on peut constater que sa présence dans l'ouest de la France
a pu servir de tremplin vers les rives lointaines du Canada, où les
glin, glin, glon et autres bibournoises sont bien
présents, pas seulement dans cette chanson type. Si les onomatopées
pourraient faire croire qu'il y a quelque chose qui cloche, le
mystère s'épaissit autour de cette “bigueurnouaise”. D'une
version à l'autre de la chanson elle est tantôt baptisée
bibournaise, bigournaise ou bigarnaise. Doit-on y voir une origine
béarnaise ? De la salade est on passé à la sauce ? Bien malin, ou
bien savant qui pourrait le dire. Les études que nous avons pu
aborder sur ce texte (celle de Coirault en particulier) restent
muettes sur le sujet. Tout juste trouve-t-on dans des textes anciens
une expression: “être coiffé à la bigarnaise” qui semble être
une façon de se moquer de la mode et des convenances. Voilà qui
pourrait tout à fait convenir à notre jeune rescapée dont
l'attitude effrontée n'était pas celle attendue par les trois
barons.
Et voici donc à
nouveau un commentaire de chanson qui vous laisse sur votre faim (de
cresson ?). Il reste plus de questions que de réponses ! En cette
période où les plateaux de télévisions sont envahis de
scientifiques-experts-spécialistes qui affirment haut et fort leurs
certitudes...de ne rien savoir, nous ne voulons pas tomber dans ce
travers. Le domaine de la chanson traditionnelle a trop souvent donné
lieu à des explications saugrenues ou fumeuses. Dastum 44 est une
association de passionnés, mais nous ne sommes ni des exégètes ni
des experts. Voilà pourquoi nous prenons une nouvelle fois la
précaution de vous rappeler que ces commentaires n'ont aucune
prétention scientifique et doivent être pris le plus souvent au
second degré. On peut être sérieux sans se prendre au sérieux.
Nous ne cherchons pas à élaborer des théories sur les chansons;
simplement vous faire partager notre passion et vous inciter à
chanter.
Eh bien chantez
maintenant !
notes
1 – chanson n°
189 en février 2017
2 – cf: Patrice
Coirault, formation de nos chansons folkloriques, tome 2, page 351.
L'étude sur la fille au cresson va des pages 338 à 353
interprètes:
Annick Mousset avec Isabelle Maillocheau, Janick Péniguel, Aurélie
Aoustin
source:
collectes de Janig Juteau à Campbon , et d'Arthur Maillard auprès
de Marguerite Gendron-Mabilais, de Bouvron
Catalogue P.
Coirault: la fille au cresson ( 1722 – petites aventures au
bord de l'eau)
catalogue C.
Laforte: I, H-04, la fille au cresson
Quand
j’étais chez mon père
Petite
à la maison et glin, glin, glon
On
m’envoyait à l’herbe pour cueillir du cresson et glon, la
bigueurnouaise
Sans
avoir des fraises, des pommes et des figues, bon
N’y
a-t-il pas de la glin, glin, glon, la digue d’en haut, gazouillons
l’alouette
Et
bon, bon, bon, la belle, balançons, bigueurnouaise
On
m’envoyait à l’herbe
Pour
cueillir du cresson et glin, glin, glon
La
fontaine était creuse, coulée je suis au fond et glon, la
bigueurnouaise
Sans
avoir des fraises, des pommes et des figues, bon…
… Sur
le grand chemin passent trois cavaliers barons…
… Ils
m’ont demandé : belle, pêchez-vous du poisson…
… Comment
en pêcherais-je, coulée je suis au fond…
… Que
donneriez-vous, belle, si nous vous retirons…
… Tirez,
tirez, dit-elle, après c’la nous verrons…
… Une
fois qu’elle fut tirée, la belle s’mit à chanter…
…
Prenez,
prenez, dit-elle, la mer et les poissons…
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