Il suffit de passer
le pont c'est tout de suite l'aventure (1) que ce soit à Nantes,
Lyon ou Avignon. Nous avons déjà abondamment commenté la présence
des ponts dans les chansons traditionnelles; passons à autre chose.
Cette chanson accumule les poncifs des amourettes dont on ne sait
jusqu'où elles peuvent aller: un objet perdu que le galant restitue
à sa mie, un baiser volé qui en entraîne d'autres, et des aventures
qui peuvent aller si loin qu'on a besoin de symboles forts pour en
fixer les limites
Pour écouter la
chanson et lire la suite:
Paradoxe pour une
chanson localisée dans le sud est de la France, elle est surtout
connue dans l'ouest d'où elle a aussi transité vers le Canada. On
en profite pour donner la parole à Marguerite et Raoul d'Harcourt
(2) pour savoir que: “l'incipit de la chanson est signalé dès le
début du 16è siècle; il a servi à des sujets bien divers, notamment à des chansons de noce, à des rondes enfantines et dans
l'une d'elle, la plus connue, sur le pont d'Avignon l'on y danse”.
Parfois, c'est sur le pont de Lyon qu'est transférée la saynète.
Mais pourquoi sur un pont ? Pour que la fille se mire dans l'eau ?
Parce que, le peigne tombant à l'eau, on va nous rejouer la séquence
du plongeur noyé en allant chercher les clés ou les bagues de la
belle ? Que non ! Il n'y a pas de plongeur dans cette chanson où le
galant se contente de “ramasser” le peigne. La belle se garde
bien de lui demander pourquoi au risque d'entrer dans des
considérations philosophiques du genre “la beauté à quoi
sert-elle, sinon d'aller pourrir en terre comme celle qui sont
laides”. Ceci est le thème d'une autre chanson et elle ne s'est
pas trompée de situation. On comprend vite que le ramasseur de
peigne a autre chose en tête: je te le rends si tu m'embrasse. Le
petit malin n'a pas à négocier longtemps. Ce n'est pas un ou deux
baisers qu'on lui accorde mais la demi douzaine, et plus si
affinités. Cette répartie on la retrouve dans d'autres chansons
d'amour comme celle de la “fille de Parthenay”. Elle est souvent
assortie d'un besoins de discrétion vis à vis de l'entourage,
parents notamment.
Un autre thème bien
connu des chansons traditionnelles vient se glisser dans les derniers
couplets. C'est celui de la jarretière, fameux accessoire qu'on
découvre sous la robe de la belle. Même s'il n'y a guère
d'illusions à se faire sur la signification réelle de cette
jarretière, force est de constater qu'on a pas attendu Alain Souchon
pour se préoccuper de ce qui se passe sous les jupes des filles.
Mais l'avertissement donné par la belle sert surtout à fixer les
limites du flirt: jusqu'où ne pas aller trop loin. La robe de
futaine, territoire défendu, est autrement désigné par la formule
“tu fais tout ce que tu veux mais tu chiffonnes pas ma coiffe”
souvent entendue en pays maraîchin. D'autres versions notées autour
de chez nous (Pornic, Blain) utilisent cette image:
Prends la demi
douzaine
Surtout ne
froisse pas ma jupe de futaine
Comme la production
manquait de moyens on n'a ici qu'une fille et son galant alors que
plusieurs autres versions mettent en scène trois filles et trois
garçons “allemands”, qui peuvent être simplement leurs “trois
amants”.
Pour l'anecdote, en
cherchant des correspondances à cette chanson nous avons repéré
une version qui dément tout à fait ce qui vient d'être dit et
justifie la localisation sur un pont. Il n'y est plus question de
fille qui se peigne, mais qui se baigne ! Et pour finir l'histoire
façon Barbe bleue voici trois couplets qu'on ne résiste pas au
plaisir de vous offrir:
Vous serez mon
amant :
Embrassez votre
belle.
Je te tiens
maintenant,
Au fond de la
rivière.
Pour te sucer le
sang,
Les yeux et la
cervelle.
Chanson recueillie
au 19è siècle dans le Gers par Jean-François Bladé (3). Elle
dénote avec toutes les autres versions et avouez que vous aussi
préférez la façon plus grivoise dont se termine la notre.
Notes
1 – si vous avez
trouvé l'auteur de cette introduction, rappelez vous que les
références aux chansons traditionnelles sont nombreuses dans les
oeuvres de tonton Georges.
2 – chansons
folkloriques françaises au Canada, Marguerite et Raoul d'Harcourt
(Presses universitaires Laval, Québec – 1956), page 306
3 – Poésies
populaires en langue française recueillies dans l'Armagnac et
l'Agenais par Jean-François Bladé (1879), page 83.
interprètes:
Isabelle Maillocheau avec Janick Péniguel, Annick Mousset, Aurélie
Aoustin
source: Le
trésor des chants populaires folkloriques du pays de Guérande,
Fernand Guériff, tome 4 page 125 (Dastum 44 / Parc naturel régional
de Brière - 2013)
catalogue P.
Coirault: le peigne ramassé (1829 - amourettes)
catalogue C.
Laforte: le peigne ramassé I, K-3
Sur les ponts
d’Avignon
Où la belle s’y
peigne, ma dondaine
Où la belle s’y
peigne, ma dondé.
La belle en s’y
peignant
Laissa tomber son
peigne
Son galant qu’était
là
Promptement le lui
serre
Là, tout beau, le
galant
N’prenez pas tant
de peine
Eh, des peines j’en
veux,
Un baiser de vous,
belle
Prends-en un,
prends-en deux,
Prends la demi
douzaine
Surtout ne touche
pas
A ma robe de futaine
Car tu verrais
l’dessous,
Mes belles
jarretières de laine
Mes p’tits
souliers mignons,
Mes bas à la soie
verte.
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