Cette chanson,
publiée par Fernand Guériff, fait partie du fonds recueilli par
Gustave Clétiez au 19è siècle en pays guérandais. Une histoire
gentillette si on n'y cherche pas un sens caché. Mais comme elle est
assez répandue sur tout le territoire, ce que ces quelques couplets
n'osent pas nous avouer apparaît beaucoup plus nettement ailleurs.
Toutes les versions
de cette chanson que nous avons pu consulter ont au moins un point
commun: elle ont servi de support à une danse ou en ont gardé la
structure, même quand l'interprétation – comme ici – en parait
éloignée.
Pour écouter la
chanson et lire la suite:.
Trois personnages
jouent un rôle dans cette saynète, avec, par ordre d'apparition: la
mère, la fille et son galant. Un quatrième brille par son absence
alors que la plupart des versions de cette chanson le mentionnent:
le rossignol. Le décor a également son importance puisque la
rencontre se déroule en un endroit stratégique: la fontaine.
Résumons nous: une
fille est tirée du lit à pas d'heure par ses parents pour aller
chercher de l'eau. Nous sommes bien avant la généralisation du
service d'eau. Pour faire la cuisine ou le ménage il faut se rendre
au puits ou à la fontaine. Jusque là il n'y a rien que de très
innocent dans la situation. La fontaine est un lieu symbolique plutôt évocateur de pureté de l'eau mais aussi un lieu public où l'on
fait rencontre de ses voisins et, à une heure aussi matinale, de
personnes aux intentions pas forcément aussi pures que l'eau de
source.
Le premier
personnage est la “belle mère”. Le qualificatif n'évoque pas
obligatoirement la marâtre. Oublions un peu Cosette et les
misérables. D'une chanson à l'autre la mère est toujours affublée
d'un qualificatif. Le plus fréquemment la chanson débute par:
J'ai une méchante
mère
mais on trouve
aussi: mauvaise, cruelle, vieille, pauvre, douce, bonne...sans
compter les incipit du genre “quand j'étais chez mon père”.
Voilà pour les parents; leur rôle se limite en général au premier
couplet.
Même quand la
chanson semble être le fait du garçon:
j'ai rencontré
ma bien aimée...
c'est le point de
vue de la fille qui est mis en avant. Ce garçon rencontré
“fortuitement” est ici un brave chevalier. Ailleurs on apprend le
plus souvent que c'est le petit ami de la fille et que la rencontre
n'est sans doute pas si fortuite. Ils vont passer deux à trois
heures ensemble à “bavarder”. Dans le genre euphémisme on peut
difficilement faire mieux. En consultant les nombreuses versions de
cette chanson on apprend vite la réalité des occupations qui ont
tant fait tarder la porteuse d'eau.
Il m'a pris par
sa main blanche
Sur l'herbe il
m'a renversée
Geneviève Massigon,
présentant ses collectes outre-Atlantique (1), nous rappelle que les
versions les plus anciennes de la chanson sont carrément grivoises
ou au moins présentent des formes grivoises plus voilées. Ce
caractère a disparu de notre version guérandaise. Dans les
“Chansons nouvelles et airs de Jean Planson” publié en 1597 , on
sait que :
son amy deux ou
trois fois sur l'herbe l'a jetée
mais aussi que
Pucelle estoit,
grosse l'a relevée
Dans le genre
grivois, l'ami ou le cavalier cèdent parfois la place à un moine
cordelier (2) ou un charmant petit abbé qui confesse les
fillettes dans sa chambre avant le soleil levé. Et la fille
d'ajouter:
j'ai récité ma
prière à genoux devant l'abbé
Éloignez les images
qui vous viennent et pensez plutôt qu'il est grand temps de trouver
une excuse pour avoir tant tardé. C'est là qu'intervient le
rossignol qui malheureusement s'est envolé avant notre dernier
couplet. Généralement la conclusion est que si la fontaine était
troublée c'est à cause de l'oiseau
Qui s'est baigné
depuis la tête jusqu'aux pieds
Tout ceci, bien sur
si on se contente de prendre le texte au premier degré. Dans la
chanson du 16è siècle copiée par Jean Planson, la fontaine qui est
troublée n'est pas celle où la belle est venue puiser de l'eau. Et
si le rossignol a sa queue mouillée c'est qu'il représente
tout autre chose qu'un aimable volatile. Vous trouvez qu'on exagère
? Voici, en toutes lettres, dans un manuscrit du 18è siècle le
dialogue de la fille avec le moine cordelier:
Le bon drôle me
fit montre
De son oiseau
familier
Patrice Coirault,
dans son étude sur la formation de cette chanson (3) omet
pudiquement les couplets suivants, par trop grivois !
De l'origine de la
chanson à nos jours le texte a donc été bien édulcoré. Ce qui
peut laisser quelques regrets, mais permet de le chanter en toutes
circonstances !
Notes
1 – Trésors de la
chanson populaire française. Autour de 50 chansons recueillies en
Acadie (BnF - 1994)
2 – sur les mœurs des cordeliers voir la chanson n° 216 de septembre 2017
3 - “Formation de
nos chansons folkloriques” Patrice Coirault (1953 – 1963) tome 2
pages 328 à 337. Une étude très complète qu'on ne peut reprendre
en détail dans un blog.
interprète:
Isabelle Maillocheau
source: le
trésor des chansons populaires folkloriques recueillies au pays de
Guérande, Fernand Guériff, tome 1, page 138 .
catalogue
Coirault: La fille à la fontaine avant soleil levé (1705 -
petites aventures au bord de l'eau)
catalogue C.
Laforte: La fille à la fontaine avant soleil levé, I,I-19
J’avais une belle
mère
De bon matin à
m’éveiller
De bon matin à
m’éveiller
Et j’allais à la
fontaine
Le point du jour
n’est pas levé
Refrain :
Rossignolet
rossignolet
Le temps n’est
plus comme il était
Et j’allais à la
fontaine
Le point du jour
n’est pas levé
Le point du jour
n’est pas levé
En mon chemin
rencontre
Un tout brave
chevalier
Il m’a demandé à
boire
N’ai voulu lui en
donner
Il m’a parlé
d’amourettes
N’ai osé lui
refuser
J’nous assîmes
sur la fontaine
Tous les deux à
deviser
Ah que dirai-je à
ma mère
D’y avoir autant
tardé
Ah vous lui direz la
belle
Que la fontaine a
troublé
Que le rossignol
sauvage
Il est venu s’y
baigner
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