Si vous deviez
offrir un cadeau à votre bonne amie pour vous conformer à l'antique
tradition du mois de mai ce n'est probablement pas dans la liste de
cette chanson que vous puiseriez votre inspiration. A commencer par
cette sacrée perdriole, dont la population est en forte diminution,
au point qu'on a plus de chances d'en voir aujourd'hui dans des
élevages que sur le terrain. La chanson ne date pas d'hier et, si on
en juge par son abondante diffusion tant géographique que
patrimoniale, est un des grands classiques du répertoire
traditionnel.
Pour écouter la
chanson et lire la suite:
Pour commenter cette
chanson nous utiliserons le travail effectué sur le sujet par un de
nos adhérents (1). Cette étude a porté sur plus d'une cinquantaine
de versions, provenant en grande partie de collectes réalisées en
Haute-Bretagne et tout particulièrement en Loire-Atlantique, grâce
aux archives de Dastum 44.
Les
versions les plus nombreuses utilisent les 12 mois de l’année. “
Le premier mois de l’année que donnerai-je à ma mie ? La
deuxième catégorie, utilisant majoritairement la dizaine, semble
donc liée aux traditions du mois de mai. L'énumération va toujours
croissant, ce qui correspond au procédé consistant à allonger
l'énumération; procédé qui accroît la difficulté pour
l'interprète mais renforce aussi la motivation. Les offrandes vont
de 6 à 15 avec une majorité de 10. C'est le cas avec cette version
apprise de Francis Lemaitre, grand pourvoyeur de chansons du pays de
Chateaubriant (2). Il n'existe pas d'énumération décroissante,
mais, par endroits, on rencontre quelques chants à la dizaine
déclinant un unique couplet sur ce modèle.
Enfin,
beaucoup plus rares sont les chansons qui nous proposent des formules
du genre:
Le
premier jour de l’an
que donnerai-je à ma mie ?
Que
donn’rai-je à ma mie, le premier jour du mois ?
La
perdriole, premier animal offert à la mie, a donné son titre à la
chanson. Elle revient avec insistance, étant aussi la dernière
nommée et la base des refrains. Ce générique est parfois décliné
en: perdrigole, perdigole,
perdrisole, perdrix blanche, perdreau, perdrix-vole, perdreau volant,
perdrix jaune, et
autre perdivolle. Plus rarement elle cède la place à une
tourterelle.
Dans
les versions basée sur les douze mois de l'année, les couplets 12
et 11 mentionnent fréquemment des humains:
Douze
demoiselles gentilles et belles,
Onze
beaux garçons, gentils et lurons
Alors
que ceux de 10 à 1 sont consacrés aux animaux. Avec des nuances
puisque “De 10 à 8, les grands animaux domestiques sont les plus
présents (bœufs, vaches, chevaux, moutons). Le vers 7 évoque
souvent des petits animaux domestiques (sept chiens courants)
avec un glissement vers de petits animaux sauvages qui reviennent
plus fréquemment dans les vers 6 et 5. Pour
terminer, on retrouve majoritairement les volatiles sur les
vers 4 à 1” (1).
Pourquoi est on
passé d'une chanson énumérative basée sur douze mois à une
variante limitée à dix jours du mois de mai ? A moins que
l'évolution ne se soit faite dans l'autre sens ?
Les traditions du
“mai”, c'est à dire de l'arbre de mai symboliquement planté à
la porte de la bien aimée, font partie de tout un folklore
pratiquement disparu de nos jours. Le premier mai a longtemps été
une fête rituelle. Il ne le reste plus que sous la forme de la fête
du travail (3). De même que les différentes quêtes de mai (et
aussi celles de Pâques ou de l’Épiphanie) n'ont plus cours et nous
sont restées sous la seule forme de chansons, les usages abandonnés
survivent dans les textes de Perdriole. On pourrait presque
comparer avec les soubassements de monuments qui nous révèlent
l'existence de civilisations disparues. La Perdriole: un témoignage
d'archéologie chantée ? Comme beaucoup d'autres chansons populaires
dont le sens ne correspond plus à la vie présente, elle a survécu
depuis le 19è siècle par le biais des chansons pour les enfants.
Son aspect énumératif, bien commode pour apprendre à compter aux
tout petits, a facilité la chose au même titre que d'autres du même
genre. Par exemple: Il n'y a qu'un Dieu règnant dans les cieux
survivant sous la forme Il n'y a qu'un cheveu sur la tête à
Mathieu. Mais nous nous égarons, revenons donc à nos animaux
(il y a même des moutons parmi eux).
La perdrix ne fait
pas encore partie des espèces en voie d'extinction, malgré une
population en diminution de moitié dans les trente dernières
années. Les modifications du paysage et les méfaits d'une
agriculture intensive y sont pour beaucoup. Cependant, cet oiseau
symbolique des champs et des bois et cible de choix des chasseurs,
n'a plus aujourd'hui le pouvoir évocateur qu'il pouvait représenter
autrefois.
On chante toujours
la Perdriole, et on aurait tort de s'en priver. Mais il faut bien reconnaître que le sens profond de ce texte nous échappe largement.
Il faudrait une étude complète pour l'analyser. D'autres s'y sont
risqués (4). On se contentera de chanter, ce qui suffit à notre
plaisir.
notes
1 - La sacrée
Perdriole – dossier réalisé par Corentin David dans le cadre de
son Diplôme d'études musicales au Conservatoire à Rayonnement
Départemental de Saint-Nazaire (2018) – document également
consultable dans les locaux de Dastum 44
2 – écoutez
Francis Lemaitre sur le double CD consacré au pays de Chateaubriant,
dans la collection “la Bretagne des pays” (Dastum – 2018). Sa
version originale de la perdriole figure dans notre “Anthologie du
patrimoine oral de Loire-Atlantique” (2012). Voir notre rubrique
éditions.
3 – ou du
“télétravail” pour reprendre un calembour basé sur des
événements que chacun connait !
4 – voir aussi,
par exemple, Patrice Coirault, “formation de nos chansons
folkloriques”, pages 423 - 425
interprètes:
Janick Péniguel, avec Annick Mousset, Aurélie Aoustin, Isabelle
Maillocheau
source:
Francis Lemaitre de Sion les mines, enregistré par Patrick Bardoul
le 30 janvier 1992
catalogue P.
Coirault: la Perdriole (10005 – nombres en croissant)
catalogue C.
Laforte: IV, Bb-05 – la perdriole
Que donn'rai-je à
ma mie, le premier jour de mai ? (bis)
Une perdriole, qui
va, qui vient, qui vole, qui perdriole part dans les bois.
Que donn'rai-je à
ma mie, le deuxième jour de mai ? (bis)
Deux tourterelles,
Une perdriole, qui
va, qui vient, qui vole, qui perdriole part dans les bois.
Etc, de 3 à 10
Que donn'rai-je à
ma mie, le dixième jour de mai ?
Dix chevaux de
dessous la selle,
Neuf bons bœufs
gras,
Huit moutons dessous
la laine,
Sept chiens
courants,
Six lièvres aux
champs,
Cinq lapins grattant
la terre,
Quatre canards qui
volent en l'air,
Trois pigeons
blancs,
Deux tourterelles,
Une perdriole, qui
va, qui vient, qui vole, qui perdriole part dans les bois.
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