Un châtiment disproportionné, bien
dans la tradition ancestrale, voilà ce que nous propose cette
chanson tragique. Quelques uns des épisodes nous font immédiatement
penser à d'autres chansons héritées d'une époque lointaine :
la mère sur le créneau qui voit venir le cavalier, tout comme dans
la chanson du Roi Renaud ; l'infidélité, réelle ou supposée,
punie de façon barbare tout comme dans l'histoire des anneaux de
Marianson.
La version que nous vous proposons
vient des collectes de Gustave Clétiez, reprises par Fernand
Guériff. Si cette aventure est assez rarement chantée, elle est
tout de même assez présente dans notre région puisqu'on en trouve
plusieurs interprétations en Haute-Bretagne et particulièrement
dans le pays de Chateaubriant.
Il est difficile de se référer à une
version-type pour un texte aussi ancien qui a donc subi toutes les
transformations ou les omissions qu'implique la transmission orale.
Nous nous contenterons donc de le comparer avec des versions plus
complètes. Vous en retrouverez quelques unes dans des
enregistrements déjà publiés :
- le double CD « grandes
complaintes de Haute-Bretagne », chantée par Marc Lhermite,
d'après une collecte dans les Côtes d'Armor
- la cassette « Bogue d'or 1989 »,
chantée par Lydie Pécot d'après la version de Mme Boulais de
Villepot (44).
- le livre « Vous jeunes gens qui
désirez entendre » avec la reconstitution effectuée par
Gisèle Galais
Voilà pour les éditions de Dastum.
D'autres enregistrements sont disponibles sur la base Dastumedia.
Cette complainte a aussi été imprimée dans différents ouvrages
sur la base de collectes en Nivernais (Millien), au Québec ou en
Italie, liste non exhaustive. Patrick Malrieu en a recensé une
trentaine en langue bretonne. Pour finir, écoutez aussi la belle
interprétation de la version Clétiez faite par Roland Brou et
Patrick Couton sur leur CD « complaintes et chansons »,
en 2005.
Venons en aux faits. Tout comme dans
les anneaux de Marianson, le prince est informé de son infortune par
un tiers. A priori pas de vengeance ou de mauvais calcul ici. C'est
une bergère qui a donné l'information en chantant. Curieuse façon
de faire passer le message.
L'épisode manquant dans la complainte
guérandaise se situe au retour du prince au château. Informée par
sa mère de l'arrivée de son fiancé qui est absent depuis
longtemps, l'accouchée propose de se faire remplacer par sa sœur
qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau :
Présentez lui ma sœur qui me
ressemble de la bouche et des yeux
Mais le cavalier n'est pas dupe. Il ne
reste plus à la jeune fille qu'à se présenter sous son meilleur
jour malgré son récent accouchement.
Notons au passage que la vraisemblance n'est pas le fort de ces complaintes anciennes qui jouent allègrement avec les durées et les distances. Si le prince a déjà été informé c'est qu'il n'était pas si loin pour pouvoir revenir aussi vite. Alors pourquoi une aussi longue séparation ? Mais à trop vouloir prendre cette histoire au premier degré on manquerait l'essentiel.
Notons au passage que la vraisemblance n'est pas le fort de ces complaintes anciennes qui jouent allègrement avec les durées et les distances. Si le prince a déjà été informé c'est qu'il n'était pas si loin pour pouvoir revenir aussi vite. Alors pourquoi une aussi longue séparation ? Mais à trop vouloir prendre cette histoire au premier degré on manquerait l'essentiel.
A vrai dire on ne sait pas exactement
d'où vient ce prince – peut-être des croisades ? - sauf
dans les versions italiennes qui le font revenir de Lyon vers le
Piémont. On ne sait même pas qui est ce prince, parfois qualifié
de Duc d'Orléans ou prince de Bourbon. Au Québec, il est nommé
prince des Ormeaux dans une chanson recopiée par Marius Barbeau,
dont la mélodie est sans doute la plus proche de celle notée par
Gustave Clétiez.
On ne sait pas plus qui est le père de
l'enfant. Le prince, plus soucieux de venger son honneur pose
rarement la question, sauf encore en Italie. Et là on n'est pas déçu
par les réponses, le fautif étant selon les versions : le
prince de Hollande ou de Flandre, le duc d'Arménie, le comte
Bellarosa.
On est entre gens du même monde. Ce
qui n'empêche pas l'issue tragique et sanglante. L'infidèle périt
par l'épée ou le poignard, à l'exception d'une chanson où elle
reçoit le même supplice que Marianson, traînée derrière un
cheval. Habituellement, le prince décapite sa fiancée ou lui fend
le crane pour mettre la cervelle au vent.
Mais la fin la plus étrange (et la
moins sanglante) est narrée dans une version collectée en Normandie
en 1876 (1). La fiancée raconte avoir été violée :
Il vint de nuit, de nuit s'en
retournit,
Par ses laquais les yeux il me
bandit,
De son mouchoir les bras il me Iiit.
Ultime rebondissement, le prince avoue
que c'était lui l'auteur de ce forfait :
C'est moi, la belle, qui suis le
père de votre fils.
Regardez, belle, au ciel de votre
lit,
Regardez-y, mon nom y est écrit.
Mais dans le pays guérandais, comme
pratiquement partout ailleurs, c'est sur une note tragique que finit
l'existence de cette jeune fille dont on apprend qu'elle n'avait que
quinze ans !
Note
1 - Legrand Emile. Chansons populaires
recueillies en octobre 1876 à Fontenay-le-Marmion, arrondissement de
Caen (Calvados). In: Romania, tome 10 n°39, 1881. pp. 365-396;
interprète : Roland
Guillou
source : collecte de
Gustave Clétiez à Guérande au 19ème siècle - repris par Fernand
Gueriff dans le tome 1 du Tésor des chants populaires folkloriques
du pays de Guérande (page 120)
catalogue P. Coirault :
9808 – la fiancée infidèle
Je lui ai dit : ma bergère en
passant
Voudrais tu bien répéter ta chanson
Voudrais tu répéter ta chanson,
répéter ta chanson
Oh oui monsieur, je vous la dirai bien
Vous promettez de ne vous fâcher point
C'est votre amie, beau monsieur par
amour
Qu'est accouchée d'un enfant y'a trois
jours
Vite, Cadet, à cheval faut monter
Que j'aille voir ma mie qui est
accouchée
Sa bonne maman qu'était sur les
remparts
Qui vit venir ces beaux chevaux du roi
Ah ! Malheureuse fille qu'as tu
fait ?
Le fils du roi qui vient pour t'épouser
Ma bonne maman présentez lui mes vœux
Un peu de couleur à ma bouche à mes
yeux
Eh, eh la belle, avec toutes vos
couleurs
Je ne viens pas pour vous faire les
honneurs
Le beau galant dans la chambre est
entré
Trouva la belle sur son lit à pleurer
Ma belle, ma belle allons nous promener
Dans le jardin, devant le vert laurier
Le beau galant prend son poignard
d'argent
Cousit la belle de la tête jusqu'aux
dents
Sonnez, sonnez tambours et violons
Ma mie est morte dès l'âge de quinze
ans
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