Rien de mieux qu'un héritage pour
déchirer une famille. Nous en avons, en ce moment, le plus brillant
exemple étalé complaisamment sous nos yeux dans les média. Les
guerres de succession dressent frères, sœurs et autres ayant-droits
les uns contre les autres. Il faudrait être un âne pour imaginer
que l'attrait de l'argent ne peut attiser des rancœurs infinies et
indéfinies.
Justement c'est le testament d'une
ânesse que la chanson ouvre devant nous sur un mode satirique.
Asservi par l'homme tout au long de sa vie pour porter des charges,
l'animal se contente, de son vivant, d'être entêté et de faire de
la résistance passive. Il se venge après sa mort par des dernières
volontés qui n'ont rien à envier à bien des exécutions
testamentaires.
Ne figurant pas dans la liste des
viandes commercialisables, comme son compère le bœuf, l'âne peut
mourir de vieillesse, ce qui lui laisse le temps de faire son
testament. La liste des bénéficiaires dans notre chanson n'est pas
très étendue. Voici donc une liste complémentaire qui varie selon
les lieux où elle a été chantée :
Aux petits ânons, ses enfants, sont
généralement accordés les pattes, les oreilles, la crinière ou la
selle. Ça ne vaut pas les droits sur le dernier album posthume de
l'âne mais c'est toujours mieux que rien.
Aux notables locaux reviennent des
accessoires utilitaires : la queue servira « d'aspersoire »
au curé. Ce qui est situé en dessous est souvent attribué au
notaire. Il aura mon trou du cul pour boire, et
quand il aura bien bu dedans s'en fera un écritoire
Fernand Guériff, a noté d'autres
versions que celle ci. A Donges, le testament donne :
la bride au curé, la selle à son
vicaire
la croupière au grand valet, la
queue à la chambrière
et pour toi mon cher éfant,
mon...pour boire
Dans le même secteur (St Nazaire) la
chanson recueillie par Gaston Le Floc'h se termine par :
Et vous monsieur pour tout paiement
Un' gross'merde au bout d'un bâton
L'origine de cette chanson, si elle ne
se perd pas dans la nuit des temps, remonte tout de même aux
pratiques de la fête des fous, survivance chrétienne des saturnales
païennes qui trouvaient leur place dans les derniers jours de
l'année. Ces fêtes, où tout semblait permis, ont disparu à peu
près en même temps que l'arrivée du protestantisme. La fête de
l'âne en serait le dernier avatar, rappelant l'importance de cet
animal dans la vie de Jésus : présence chaleureuse de l'âne
dans la crèche, fuite en Egypte de Marie, Joseph et l'enfant à dos
d'âne (1) et entrée du Christ à Jérusalem sur un âne. Des
historiens ont rapporté les circonstances de cette fête et en
particulier de chansons qui se terminaient toujours par un « Hi
!han ! » répété trois fois. Pour le texte, ces chants
n'avaient rien à voir avec le notre. Mais tous les refrains du
« testament de l'âne » ont bien conservé cette
tradition et nous invitent à braire tous en chœur.
Dater exactement l'origine de la
chanson relève, comme d'habitude, de l'approximation. Ce qu'on sait
de plus précis c'est qu'on la trouve dans les « chansons de
Gauthier-Garguille » imprimées en 1632. Le folkloriste belge
Léonard Terry (2) signale que le thème était déjà présent dans
le chansonnier huguenot de 1605 sous le titre d'une chanson
satirique : « le légat de la vache à Colas ».
Bon nombre de versions situent la chute
de l'ânesse au fossé « en revenant de la foire de Saint
Martin ». Ses dernières volontés prouvent que l'âne n'est
pas si bête. Une autre chanson est là pour le rappeler. C'est
l'histoire de l'âne qui joue un tour au loup qui voulait le manger
en allant aux noces. Mais c'est une autre histoire.
notes
1 – cf. chanson n°158, la fuite de
Marie (juin 2016)
2 – recueil d'airs, de cramignons et
de chansons populaires à Liège – L. Terry / L. Chaumont – 1889
(page 248)
interprètes : Annick
Mousset et Isabelle Maillocheau
source : Le Trésor des
Chansons Populaires Folkloriques, de Fernand Guériff, Tome 1, p.258
répertoire Marie-Louise Tattevin - autre version dans le tome 3, p.
229 (récolte Gaston Le Floc'h)
catalogue P. Coirault :
10602 – le testament de l'ânesse
catalogue C. Laforte : I,
C-29 - le testament de l'ânesse (ou de la moutonne)
L'âne est tombé dans le fossé –
Han han han
La pauvre bête est morte ! Hihan
Hihan
La pauvre bête est morte !
Et tous ses petits ânichons
Maman êtes vous morte ?
Non, non mes petits ânichons,
Car je rechigne encore
Ferez vous faire un testament,
Ou n'en ferez vous point faire ?
On fit venir un avocat
Pour qu'il prenne bonne note
Au tambour, je donne ma peau
Pour battre la retraite
Au chien je donne tous mes os,
Pour qu'il fasse bonne chère
Et à tous mes p'tits ânichons,
Mon esprit en partage
Ceux qui ne seront pas contents,
Ne seront pas raisonnables.
Ne seront pas raisonnables.
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