Comme tous les enfants qui ont entendu
pour la première fois le thème de cette chanson, vous vous êtes
apitoyés sur le sort cette fille « vilaine » rejetée
par un capitaine. Puis vous avez compris que ce n'était pas sa
laideur supposée que désignait ce terme mais son statut social. La
vilaine est simplement une femme du peuple, une roturière, par
opposition à la noblesse. Un grand mystère entoure le sort de cette
femme, lié à la floraison d'un bouquet de marjolaine : si
elle flétrit je serai vilaine – si elle fleurit je serai reine !
Le chant scolaire a beaucoup fait pour
la popularisation d'une version particulière, avant la grande
guerre. Cette chanson type ne date pas de la troisième république.
Elle a connu une longue histoire que nous allons essayer de résumer
sans trop simplifier.
pour écouter la chanson et lire la
suite :
Comme l'a fort bien raconté Claude
Duneton dans son Histoire de la Chanson française (1) la grande
popularité de cette chanson doit beaucoup à l'esprit revanchard qui
animait nos aïeux avant la première guerre mondiale. En passant
par la Lorraine sert opportunément dans une période où la
reconquête de cette province perdue était un objectif majeur. Elle
est donc choisie en 1885 par un comité de décideurs (2) pour
figurer, entre autres, dans les manuels scolaires préparant au
certificat d'études. Elle devient également très présente, comme
marche, dans le répertoire militaire
Dès avant cette date, une autre
version a connu un regain d'intérêt, pour une toute autre raison.
Vers 1880, Adolphe Orain a collecté, entre Bain de Bretagne et le
Grand-Fougeray, un texte similaire. Ici pas de Lorraine ; la
chanson débute par En revenant de Rennes. Orain se permet de
transformer la chanson et d'y ajouter des couplets. Ainsi se
popularise dans les milieux bretons l'histoire d'Anne de Bretagne,
duchesse en sabots. Cette image n'a rien d'une réalité historique,
mais elle devient très vite populaire.Voilà pourquoi il est
désormais très difficile de retrouver des versions de cette chanson
qui n'aient pas été au moins contaminées par ces deux sources de
revitalisation de la fin du 19ème. C'est ce qui fait tout l'intérêt
de celle que vous écoutez, venant du répertoire de Mme Rastel, en
presqu’île guérandaise. Ni Rennes ni Lorraine pour situer
l'action, mais une utilisation des landes et des buissons pour aller
faire des galipettes derrière les dolmens. L'assonance est
respectée. Pourtant on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement
avec la chanson rebâtie par Orain, avec la duchesse Anne Revenant
de ses domaines !
Remontons plus loin dans le temps.
Certains se hasardent à dater la popularité de cette chanson à
l'époque de Henri III qui, malgré la réputation que lui ont fait
ses détracteurs, a eu plusieurs maîtresses et de nombreuses
conquêtes féminines avant comme après son mariage avec Louise...de
Lorraine, en 1575. Pourtant tout porte à croire que la chanson était
bien antérieure. Les premières versions sont imprimées par Jacques
Arcadelt (1561) et Roland de Lassus (1564) avec pour refrain :
Margot labourez les vignes. Qu'importe la date exacte ; comme
beaucoup de chansons celle ci a fait son chemin dans la tradition
orale. Les collectes du dix neuvième siècle – antérieures à la
diffusion scolaire - nous en apprennent beaucoup sur cette
appropriation.
Il est intéressant de constater
qu'avant la généralisation de l'hymne à la Lorraine, les chanteurs
de tradition ne se sont pas gênés pour situer la chanson dans des
contextes différents. Pour s'en convaincre il suffit d'énumérer
quelques uns des incipits les plus fréquents :
En revenant de la Lorraine ou En
passant par la Lorraine - En m'en revenant de Rennes - En revenant
d'Angoulême - En revenant de l'Ardenne - C'est
en passant par Varennes - En revenant de Sainte Hélène
(ces deux derniers prouvent que la chanson a connu tous les
régimes), mais aussi : Me promenant dans la plaine - J'ai
rencontré dans la plaine - Un de ces jours je me promène ou
Tous les jours je m'y promène - En allant (ou en revenant) à la
fontaine...
Après le premier vers voyons
maintenant les refrains. Les sabots y sont assez présents avec le
plus connu : Oh, oh avec mes sabots et beaucoup de
ritournelles similaires à Mes sabots, la ridondaine. Mais on
trouve fréquemment Cache (ou tire) ton joli bas de laine,
sans oublier Margot, labourez les vignes, ainsi que de manière
plus anecdotique des Mon compère Jacquot, ou
Comme le vent va l'hirondelle et même un Vive l'homme de
Saint Hélène qui confirme ce que nous avons vu précédemment,
d'autant qu'il sert de refrain à une chanson d'origine différente.
Ce qui caractérise le mieux cette
chanson, en dehors des capitaines et de la fille appelée vilaine,
c'est l'offrande d'un bouquet de marjolaine qu'on retrouve dans
quasiment toutes les versions. Un cadeau de peu de valeur mais sans
doute hautement symbolique. Conrad Laforte (3) n'y voit « qu'une
boutade, puisque cette fleur symbolise le mensonge et la tromperie
selon ce que rapporte Rolland dans sa Flore populaire ». C'est
une plante aromatique connue pour soigner les troubles digestifs.
A-t-elle aussi des vertus pour les maux d'amour ou des propriétés
divinatoires ? Pour ses cadeaux, le fils du roi n'est pas
toujours aussi pingre et la liste s'allonge à chaque chanson avec :
une bourse d'écus pleine – une
robe en satin de laine - trois grains de blé, autant d'aveine - une
poupée de laridondaine - un joli violon d'ébène dont je joue sept
fois la semaine, et pour les
fleurs : une rose de marjolaine - un beau bouquet
d'éternelles - un gros pot de marjolaine - un joli pied de verveine
La marjolaine est d'ailleurs souvent
remplacée par la verveine dans les textes entendus en Bretagne.
Toujours est-il que si la plante
fleurit ce sera le signe de l'admission de la vilaine au plus noble
destin :
je l'ai planté sous un chêne, s'il
reprend je serai reine
Et alors malheur au galant qui a refusé
la fille sous prétexte de sa basse extraction. Devenue reine elle se
venge : Tu ne me diras plus vilaine et même : je
ferai pendre les capitaines !
On pourrait écrire un livre entier sur
cette chanson, aussi en resterons nous là. Bonne écoute.
notes
1 – Histoire de la chanson française
– Claude Duneton – Seuil 1998 – voir tome 2 page 913
2 – auquel ont collaboré des
folkloristes comme Gaston Paris et Julien Tiersot
3 – Survivances médiévales dans la
chanson folklorique – Conrad Laforte – Presses de l'université
Laval - 1981
interprètes : Béatrice De
Noue, Annick Mousset, Isabelle Maillocheau, Chantal Choimet
source : Lucie Rastel de
Kerbourg St Lyphard collecte de Raphaël Garcia le 28 novembre 1981
catalogue P. Coirault : En
passant par la Lorraine (Bergères et rois – N° 03802)
catalogue C. Laforte : En
passant par la Lorraine (I, G-11)
Ce sont trois jeunes capitaines (bis)
Qui s’en vont voir les dolmens,
derrière un buisson
Ton p’tits cœur mignon, la belle
Ton p’tit cœur mignon
Qui s’en vont voir les dolmens (bis)
Ont emm’née belle Madeleine,
derrière un buisson…
… L’un n’a pris, l’autre qui
l’emmène…
… L’autre qui m’y traite de
vilaine…
… Je ne suis pourtant pas vilaine…
… Car le fils du roi, il m’aime…
… Il m’a donné un bouquet de
marjolaine…
… S’il fleurit, je deviens reine…
… Il a fleuri de verveine.
Qui sont les trois capitaines dans la chanson?
RépondreSupprimerPersonne ne le sait. Ce qui est important ce n'est pas leur nom mais leur statut social. Nous sommes ici dans ce type de chansons ou une fille du peuple (bergère, jardinière...) est en présence de galants d'une classe "supérieure" (prince, capitaine...). Le fond de l'histoire tient à cette différence. Et, comme dans beaucoup de chansons, les personnages vont par trois.
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