vendredi 23 février 2018

237 - M’en revenant de Nantes à Saint Germain


Bon nombre de chansons grivoises débutent par la formule « M'en revenant de... ». En revenant du Piémont, de Paris, de Lille en Flandre, ou tout simplement de métive, nous font souvent présager une suite plutôt coquine. Nantes n'échappe pas à cette tendance. Sans parler du trop célèbre itinéraire qui nous mène de Nantes à Montaigu, nous connaissons également une chanson qui fait le voyage dans l'autre sens : En revenant de Paris jusqu’à Nantes. C'est l'histoire d'un jeune homme sommé de recommencer ses exploits et qui avoue "qu'il n'y a pas moyen, y a plus d’huile dans la lampe."
Celle que nous avons choisie cette semaine, récoltée en Haute-Bretagne, est beaucoup moins connue, mais gagne à l'être.
Pour écouter la chanson et lire la suite



Pour toutes les personnes qui s'intéressent aux rencontres entre le FC Nantes et le Paris Saint-Germain et que les moteurs de recherche auront amenés à découvrir cette chanson, précisons que son thème n'a rien de sportif. Cette insistance à associer des textes grivois avec des histoires de voyage est curieuse. Est ce une façon de situer « ailleurs » des aventures qu'une certaine morale aurait du mal à accepter ? Précaution oratoire ou habitude de présenter des aventures plaisantes avec une formule convenue ? Cela mériterait un étude plus approfondie. Mais notre temps est limité et le votre aussi.
De même, il est fréquent de trouver trois filles dans ces chanson légères. L'occupation de nos trois mômes est assez inhabituelle. Au passage, cette chanson nous en apprend sur la culture du lin ! Traditionnellement, pour lui conserver toute la longueur de sa fibre, cette plante était cueillie à la main. D'où l'utilisation de ce verbe « poignetter » qu'il ne faut pas espérer trouver dans le dictionnaire usuel (1). L'opération suivante était le broyage. D'ailleurs, les versions canadiennes de la chanson nous parlent de jeunes filles qui broyaient du lin.
Bien des ingrédients d'une chanson grivoise sont donc réunis ici, outre l'incipit, un médecin, des jeunes filles dont l'une souffre du mal de reins. Parmi les autres protagonistes, voici la maquerelle, qui permet d'imaginer que la culture du lin n'est peut être pas l'activité principale de ces «mômes ». Quand au père taupin, présent dans certaines chansons paillardes, il fait référence à un milieu universitaire porté sur ce type de gauloiseries. Le texte reste malgré tout assez sobre, à part cet insistant « comme un con » au refrain.
Pour découvrir d'autres exemples de cette chanson il faut donc traverser l'Atlantique et s'intéresser aux collectes effectuées au Québec ou en Acadie. Les version notées par Marius Barbeau ou Geneviève Massignon (2) ne situent pas l'action à Nantes mais à Saint Martin. Pourtant nous y sommes toujours dans le domaine du teillage du chanvre ou du lin, ce qui l'a fait classer un peu rapidement dans les chansons « de métiers » (mais quel métier fait-elle?). Pas d'accouchement au menu, mais l'une des filles a la jaunisse. Le docteur ne fait pas bien son travail et coûte fort cher contrairement aux bons soins du chanteur :
Les docteurs font payer
et moi je ne charge rien
Ces versions canadiennes présentent la même structure en vers de douze pieds, avec des refrains très différents. En dehors de ces sources nous n'avons pas trouvé d'autres équivalents de cette chanson. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Nous ne serions pas surpris d'en rencontrer dans quelque recueil de chansons paillardes et autres bréviaires de carabins. Affaire à suivre.

note :
– à l'exception du Petit Matao, dictionnaire gallo-français (Régis Auffray, rue des scribes éditions, 2007) – pognetter = moissonner à hauteur
2 – Marius Barbeau : En roulant ma boule – musées nationaux du Canada (1982) – Geneviève Massignon : ...autour de 50 chansons recueilles en Acadie – BnF (1984)

interprète : Jeannette Lebastard, assistée de Janick Peniguel, Christine Dufourmantelle, Dominique Garino, Jean Auffray et Jean-Louis Auneau
source : Charles Quimbert enregistré par Patrick Bardoul lors d'une rencontre de chant traditionnel en Pays de la Mée, en 1993 à Erbray – chanson apprise de Thérèse Volant à Saint-Just (Ille-et-Vilaine) en 1993.


M'en revenant de Nantes, de Nantes à Saint Germain
J'ai rencontré trois mômes qui poignettaient du lin
Comme un con
Mirliton la les filles, allons la la mirliton

La plus jeune de ces filles avait grand mal aux reins
Il faut aller de suite chercher le médecin
Le médecin arrive, arrive de grand matin
Apportez moi de l'eau et aussi mon manchon
Qu'est c'qui s'ra la marraine de ce p'tit comédien
Ca s'ra la mère maquerelle et le vieux père taupin
Le bon vieux curé dit on l'appellera Simon
Il galopera les filles de Nantes à Saint Germain
Il y r'trouvera son père jouant du violon
Là finit mon histoire de ces trois jeunes mômes
Qui poignettaient du lin de Nantes à Saint Germain


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