Voilà un amoureux qui ne
sort pas sans précautions pour aller voir sa belle. Il est armé
jusqu'aux dents. Ce « gentil bon gars » ferait il partie
des gens dont ont dit qu'ils sont « braves » avec une
connotation péjorative ? Cela n'est pas dit explicitement mais
une comparaison avec les autres rares occurrences de ce texte nous
fait découvrir des qualificatifs allant de peureux à fragile pour
définir son attitude. Notre chanson, qui fait l'impasse sur ces
détails, vient du Pays de Retz et plus précisément de Pornic, où
elle a été notée il y a plus de cent ans. Elle a disparu des
collectes plus récentes. Raison de plus pour s'y intéresser en
détail ; ce que nous allons faire maintenant.
Pour écouter la chanson
et lire la suite :
Si cette chanson est assez
peu présente dans la tradition, nous avons tout de même pu tracer
son origine, à défaut de savoir par quel cheminement elle a été
adoptée dans le pays de Retz. Car ce n'est pas une mais deux
versions qui ont été repérées au 19ème siècle dans le secteur
de Pornic. Outre celle-ci extraite du manuscrit Poiraud, nous
recopions aussi celle adressée à Armand Guéraud (1) par un de ses
informateurs, M. Bellanger, de Pornic. Le début de la chanson est
identique mais à partir du « qui vive » l'histoire est
plus complète. Vous en trouverez donc les paroles après celles que
nous interprétons.
A la même époque,
Jean-Baptiste Weckerlin publie son ancienne chanson populaire en
France (16e et 17e siècles). A la page 122 figure le texte de
« Entre vous gentils galands » qui pourrait être le
texte originel de cette chanson (2). Il vient du Parnasse des muses,
publié en 1627 (3). Nous vous en donnons également le texte
intégral après ceux du Pays de Retz.
Notre version suit assez
fidèlement le texte de 1627, hormis les derniers couplets sur le
mariage. Si nous mettons au conditionnel cette filiation c'est que
certains détails de la version Bellanger semblent provenir d'une
autre source, comme vous pourrez le constater vous même. Il s'agit
justement des reproches adressés par la jeune fille au sujet de la
couardise du galant.
Patrice Coirault, dans son
répertoire des chansons de tradition orale donne lui aussi une trame
où l'argument principal se rapporte aux « garçons trop
fragiles ». Il se base sur un chant venant du nord de la France
(4). En résumé :
...C'est pas l'affaire
à ces garçons - de se moquer des filles
Mais c'est l'affaire à ces garçons
- d'aller à la soirée
Avec l'épée à leur coté - En
demandant qui vive
Vive Paris et Rouen - Vive la
Normandie
Vive le château de mon père - Là
où j'ai été nourrie
Manger du pain et boire du vin -
Coucher avec ces filles
et aussi
J'ai des biscuits dans
mon carnier - pour donner à ces filles
Mais ces garçons n'en
auront pas - car ils sont trop fragiles
Voilà donc une affaire
plus compliquée qu'il n'y paraît. Les deux versions pornicaises ont
été adaptées à la localité : Vive Pornic la jolie ville.
Mais les deux histoires n'ont pas le même dénouement ou la même
morale. L'une insiste sur l'aspect des bons enfants qui vont voir les
filles. Dans l'autre, ces bons enfants se prennent un râteau en
raison de leur manque de courage.
Quoi qu'il en soit cette
chanson mérite d'être sortie de l'oubli. Le manuscrit de M. Poiraud
ne la donne pas comme chant à répondre, mais rien n'interdit de le
faire. A vous d'en décider.
Notes
1 - page 512 dans Chants
populaires du comté nantais et du Bas Poitou recueillis entre 1856
et 1861 par Armand Guéraud – publication FAMDT 1995 -
2 - l'ancienne chanson
populaire en France de J.B. Weckerlin – Garnier Frères à Paris
1887 – disponible sur Gallica, le site de la BnF
3 - Le Parnasse des muses,
ou Recueil des plus belles chansons à danser: Recherchées dans le
cabinet des plus excellens poëtes de ce temps. Dédié aux belles
dames – chez Charles Hulpeau à Paris 1627
4 - Albert Meyrac –
Traditions coutumes, légendes et contes des Ardennes... Charleville
1890
interprètes :
Jean-Louis Auneau avec Daniel
Lehuédé, Jean Auffray et Dominique Juteau
source :
quatre vingt chansons du Pays de Retz, cahier de chansons du
ménétrier Poiraud, compilé par Michel Gauthier
catalogue P. Coirault :
02416 – les garçons sont trop fragiles (moqueries)
Gentil bon gars
Entre nous gentil bon gars
Gai lan lire lire la lira
Lon lan la
Qu'allez voir les filles -
la
Lon lan la
Qu'allez voir les filles
N'allez donc pas sans
bâton
Car on vous épie
Le beau galant n'y manqua
Porta son épée
Son bâton dessous son
bras
Sa pipe allumée
Il s'en va sur ses
remparts
Il cria qui vive ?
Vive Paris et Rouen
Pornic la jolie
Où il y a de bons enfants
Qui vont voir les filles
Je ne parle pas pour moi
La mienne est acquise
Je parle pour mon voisin
Qui en a envie
2 - Version communiquée par M.
Bellanger, de Pornic, à Armand Guéraud
Entre vous gentil bon gars
Gai lan lire lire la lira
La lan la
Qu'allez voir les filles –
la
La lan la
Qu'allez voir les filles
N'y allez pas sans bâton
Car l'on vous épie
Le galant n'y manqua pas
Porta son épée
Son pistolet sous son bras
Sa pipe allumée
Quand il fut sur les
remparts
S'écria qui vive ?
Bien vite on lui répondit
D'une voix moqueuse
Vive Paris et Bordeaux
Pornic la jolie
Où les garçons sont galants
Les filles sensibles
Où il y a de bons enfants
Qui vont voir les filles
Mais pourquoi ce gros bâton
Pourquoi cette épée
Et surtout ce pistolet
Dont je vois la poignée
Un beau galant si peureux
Ne plaît pas aux filles
Retirez vous beau galant
Retirez vous vite
Qu'on s'est bien moqué de vous
Comme vous faites rire
Le galant peu courageux
Ne cours plus les filles
3 - Texte cité dans l'ancienne
chanson populaire en France de Weckerlin, p 122, extrait du Parnasse
des muses de 1627
Entre vous gentils galands
Qui avez belle amie,
N'allez point sans vos bâtons,
Lan lon fa, lan farlarira,
Car on vous épie.
Le galand n'y manqua pas,
Portit son espée.
L'arquebuse sous son bras,
La mèche allumée.
Quand il fut dessus le pont,
Demanda qui vive.
Vive Paris, vive Rouen,
Sont deux bonnes villes.
Vive ces gentils galands,
Qui auront belle amie.
Je ne le dis pas pour moy,
La mienne est jolie.
Je le dis pour Nicolas,
Qui est de cette ville
La sienne est malade au lit,
De mélancolie.
Je croy bien qu'elle en mourra,
S'on ne la marie.
Son père a juré Saint-Lambert,
Et Sainte-Marine.
Et qu'il la marira,
Avant six semaines.
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