vendredi 15 avril 2016

148 - La machine à vapeur

La « machine à vapeur » est le dernier avatar du roi des enfers parcourant le monde pour rassembler tous les mauvais sujets destinés à la fournaise. Jusqu'à une période récente, il se contentait de leur faire piquer une tête au fond de sa brouette. Les progrès de la technique lui ont permis d'investir dans le chemin de fer et de rentabiliser ses tournées.
Dans les chansons, certaines professions ont du mal a entrer au paradis, tels les fameux « cercliers de barrique ». En revanche, le billet pour l'enfer s'obtient sans difficultés. Chacun en prend pour son grade et ses défauts. Métiers de bouche et artisans ruraux sont les premiers cités. Le meunier vient en tête ; normal dans une société ou le pain est encore l'aliment essentiel.
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C'est bien une société rurale que nous décrit cette chanson. Pour autant, elle ne semble pas faire partie des textes dus à la tradition orale. La longueur et l'organisation des couplets, le vocabulaire employé nous font penser à une composition d'un chansonnier, qui a pu être diffusée sur une feuille volante. L'argument qui plaide en faveur de ce mode de diffusion c'est que partout où on la retrouve, la même base et les mêmes paroles sont utilisées. C'est le cas pour les deux versions collectées en Loire-Atlantique, mais aussi pour d'autres trouvées dans l'est, en Auvergne, en Vendée et jusqu'au pied du Mont Blanc, versant italien, en vallée d'Aoste (1). Les variantes rencontrées sont plus le fait d'ajouts de couplets, chacun y allant de son inspiration pour brocarder les professions qui le méritent : vignerons, bijoutiers, chaudronniers, meuniers, boulangers, charcutiers, financiers et banquiers, etc.
Marius Barbeau, le fameux folkloriste québécois, nous donne son opinion (2) :« Elle fut sans doute diffusée en France et au Canada par l'imagerie, comme elle se rattache aux métiers que les faiseurs d'images en papiers se plaisaient à graver sur des feuilles volantes. Plus précisément elle semble appartenir à l'imagerie d'Orléans, dont Louis Duchartre et René Saulnier (3) parlent en ces termes : un placard...intitulé L'ordre que les criminels doivent tenir à la Procession générale ». Barbeau en reproduit une version à 22 couplets, composée par un certain Adélard Lambert et annotée : paroles de sir Constance et musique de Jean Frémis. Elle va bien au delà des métiers et promet l'enfer aux électeurs, aux commères, aux vieilles filles...Mais le voyage s'y fait « en voiture », à cheval ou à moteur, on ne le sait pas.
Dater précisément le texte original est aléatoire. Bien sur il est postérieur au premier tiers du 19ème siècle et à l'apparition du chemin de fer. C'est le mot wagon qui nous renseigne. Car la machine à vapeur est arrivée bien avant dans les campagnes. En Loire-Atlantique, la première machine à vapeur pour un usage industriel, est implantée dans les mines de charbon de Montrelais en 1747. L'analogie entre le foyer de la machine à vapeur et les flammes de l'enfer est évidente. Elle donne un coup de jeune à cette chanson type qui finissait jusqu'alors par un voyage dans la brouette à Satan.
Malheureusement, la mauvaise idée d'entasser des humains dans des wagons pour les conduire vers l'enfer a été reprise par d'autres. Comme quoi le cabaretier n'est pas responsable de tous les maux. Si l'eau de Vichy soigne le foie elle ne fait rien pour les boyaux de la tête.
A ce propos, n'attendez pas que le stock soit épuisé pour commander notre CD « chants des plaisirs de la table ». Ses 23 chansons...
...Mieux qu'une cure d''eau minérale
Vous redonneront toutes le moral
Et si vous ne les savez pas par cœur
Montez dans la machine à vapeur !!!

Notes
1 – chanté parla famille Bibois, à Cogne (Val d'Aoste) – enregistrée en 1956 par Sergio Liberovici, publié dans : Musiche tradizionali della val di Cogne (Valle d'Aosta) – éd. Squilibri 2009
2 – Marius Barbeau – Le roi boit, page 563 – musées nationaux du canada 1987
3 – référence à : Pierre-Louis Duchartre et René Saulnier, l'imagerie populaire, Paris, librairie de France, 1925

interprète : Jean-Louis Auneau + réponses
sources : 1 - collectage de Patrick Bardoul à Ruffigné en 1981 (chanteur non identifié) – 2 – Mme Marguerite Lemaitre de Saffré en 1984, publié dans le livret du cercle celtique de Nort sur Erdre« chansons du peuple de Haute-Bretagne, région de Nort sur Erdre »
catalogue Coirault : 6416-1 – le diable est sorti de l'enfer
catalogue Laforte : IV, Ha-01 – les corps de métier


Un jour Satan au fond des enfers
Dit : je suis seul et je m'ennuie
Camarades, parcourons l'univers
Pour lui trouver de la compagnie
Il faudra tâcher d'attraper
Tous ceux qui s'appliquent à duper
Et chacun d'eux se fera l'honneur
D'entrer dans la machine à vapeur

Premièrement je vais dire au meunier
Contre toi le peuple murmure
Du bon froment on vient te confier
Et tu lui prends triple mouture
Tu oses encore sans façons
Prendre la farine et rendre le son
Puisque chacun te dit voleur
Monte dans la machine à vapeur

Cabaretier qui met l'eau dans le vin
Examine ta conscience
Combien de gens qui vivaient si bien
Maintenant sont dans l'indigence
Combien d'enfants ont faim et froid
Devant les portes par rapport à toi
De leurs tourments tu es l'auteur
Monte dans la machine à vapeur

Cher tisserand n'allonge plus le bras
pour y faire rouler ta navette
Car avec nous il faut marcher au pas
Dans le wagon ta place est prête
On sait bien que tu as le défaut
De garder pour toi le fil le plus beau
Mais je te le promet de bon cœur
Monte dans la machine à vapeur

Cordonnier pour gagner des écus
Tu sais te servir de mensonges
Tu dis que tu fais des souliers bien cousus
Ils prennent l'eau comme une éponge
Tu dis : longtemps ils dureront
Et en huit jours les coutures s'en vont
Voilà les traits d'un escroqueur
Monte dans la machine à vapeur

Cher maréchal, ta forge il faut quitter
Car avec nous il faut que tu montes
On te confie de beaux aciers
Tu les garde tout pour ton compte
Et dans les champs, on crie souvent
Le maréchal a volé mon argent
Tu as fraudé le laboureur
Monte dans la machine à vapeur

Et toi mon ami le tanneur
A quoi te sert de nous faire attendre
A nos yeux tu ne pourras te cacher
A deux heures il faudra te rendre
De peser le cuir avec l'eau
On sait bien que c'est pas du nouveau
Mais l'eau sera plus rare ailleurs
Monte dans la machine à vapeur

Toi le boucher, tu es rempli de défauts
Il faut que je te les déclare
Sans pitié tu tues les animaux
Oh, que tu as le cœur barbare
Et tous tes clients, sans façon
Tu les arrange avec raison
Tu pèses sans scrupules et sans peur
Monte dans la machine à vapeur


1 commentaire:

  1. Bravo pour votre travail de mémoire. Ma mère (95 ans) cherchait cette chanson dont elle avait retenu un seul couplet. Et voilà que vous faites le nécessaire. Merveilleux ! Bernard, depuis la Savoie.

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