vendredi 4 décembre 2015

130 - Entre Paris et Nantes

Essayons d'y voir clair : Entre Paris et Nantes ne relate pas le dernier FCNA – PSG. C'est une chanson du tour de France ; pas celui des cyclistes survitaminés mais celui des compagnons qui apprenaient l'art de leur profession chez différents maîtres. C'est donc une chanson de métiers ; il y est question de sabotier, mais la chanson s'adapte à bien d'autres occupations.
Son thème principal, invariable d'une version à l'autre, est la reconnaissance de l'ouvrier comme un parfait compagnon digne de succéder au patron ; avec à la clé la proposition d'épouser une de ses filles. Ce mariage arrangé se heurte au refus du compagnon le plus souvent pour cause d'incompatibilité avec l'engagement moral de faire le « Tour de France ». Mais les excuses peuvent aussi servir à refuser poliment une situation embarrassante. De toutes façons, va y'avoir du sport.
Pour lire la suite et écouter la chanson


La version de Haute Bretagne interprétée ici vient du pays de Loudéac. Elle est semblable dans son dénouement aux versions notées en Loire-Atlantique par Armand Guéraud, à Vieillevigne et Charles Loyer, à Pontchateau (1). Si la version costarmoricaine met en scène un sabotier, les deux chansons du pays nantais s'appliquent à la profession de tonnelier. Ailleurs en France on retrouve le même thème associé aux tailleurs de pierre, aux tisserands, papetiers, ébénistes, forgerons, etc.
Mais ce qui varie aussi d'une version à l'autre c'est la raison du refus invoquée par le compagnon. Dans la version la plus connue, notée par Canteloube et enregistrée par la Bamboche (2), le compagnon s'en sort avec un argument honorable, s'adressant directement à la demoiselle :
Je vous remercie demoiselle
De l'honneur que vous me faisez
Mais j'ai mon tour de France à faire
S'il plait à Dieu le finirai
C'est la version politiquement correcte de l'histoire. Elle se justifie par la règle des compagnons qui effectuaient leur tour de France afin de perfectionner leur art avant de s'installer à leur compte. Mais d'autres réponses n'ont pas cette délicatesse et tiennent plus de l'excuse. Le décès du père arrive bien opportunément dans les version bretonnes : le père est décédé, il faut aller « relever la boutique ». Dans les couplets notés à Pontchateau, en plus du décès, c'est un autre engagement qui est rappelé :
J'ai laissé là une fillette
Il faut m'en aller la trouver
Sans qu'on sache précisément si la fillette est une sœur ou une fiancée.
Encore plus franches sont d'autres réponses qui ne s'embarrassent plus d'excuses plausibles. Elles viennent des collectes de Millien, en Nivernais. Cela commence par le besoin de liberté :
Quand ma boursette sera pleine...
je ferai l'amour à mon plaisir
Mais peuvent aussi être interprétées comme un rejet de la fille pas à la convenance du garçon, voire même comme le refus d'endosser la responsabilité d'une paternité  :
A c't heure que vos filles sont grosses,
Vous voudriez bien m'en embarrasser
On est donc bien loin de l'idéal compagnonique du tour de France à effectuer impérativement avant de s'engager dans la vie professionnelle et familiale. La situation résume la confrontation entre deux objectifs :
- d'un coté, trouver à marier ses filles, souci constant des parents dans une société traditionnelle où la dot constituait souvent un obstacle majeur,
- de l'autre, conserver sa liberté en évitant de se faire attacher un fil à la patte que ce soit pour un bon ou un mauvais motif.

Notes
1 – la version de Pontchateau figure à la fois dans les ouvrages d'Armand Guéraud et de Fernand Guériff
2 – recueillie en 1907 par Joseph Canteloube auprès de Marie Sudres, sur un air de bourrée ; publiée dans le recueil de "La Bourrée", Chants et danses populaires du massif central – Enregistré par La Bamboche en 1975 (disque Hexagone 883003) – Une version plus complète a été recueillie en 1908 par Abel Boyer, dit « Périgord-Coeur-Loyal » compagnon maréchal ferrant du devoir auprès d'un ouvrier tailleur de pierre (source : anthologie de la chanson française de Marc Robine).

Interprète : Daniel Lehuédé
Enregistré en 2007 lors d'une veillée à la Paquelais (44), d'après le texte chanté à Roselyne Moisan par Léon Aubry, de la Chèze (22), publié dans le volume 3 des chansons des pays de l'Oust et du Lié de Le Bris et Le Noach (1978)
Cote Coirault : 6421, le compagnon qui fait cent lieues sans travailler


Entre Paris et Nantes
J'ai fait cent lieues sans travailler
Tout en entrant dedans la ville
J'entendis les cousins chanter

C'est une bonjour maître et maîtresse
Tous les cousins de l'atelier
N'auriez vous pas de l'ouvrage maître
pour un jeune garçon sabotier

Mais si, mais si répond le maître
pourvu qu'il sache travailler
Le maître tire de sur sa souche
Le jeune garçon se met à parer

Il en para cinq à six paires
Toutes unies comme du papier
Le maître retourne voir sa maîtresse
J'ons là un très bon ouvrier

J'en ons là une fille grande
Faut parler de les marier
Oh non ninon répond le jeune homme
Je n'y veux pas m'y marier

Je viens d'recevoir une lettre
que mon père il est décédé
La boutique est à la renverse
Et je m'en vais la relever


2 commentaires:

  1. vous avez mis le même n° que la chanson précédente !! : 129

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    Réponses
    1. Merci d'ouvrir l'oeil.
      Il était trop bien ce chiffre: cent vins neufs ! On en avait peut être abusé, justement.
      la semaine prochaine on se mettra sur notre trente et un.

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