Loin de nous l'idée de publier des
chansons en feuilleton. Celle ci serait pourtant un second épisode
idéal pour l'aventure entamée la semaine dernière : le
compagnon se décide à partir. Quel métier fait-il ? Maçon ou
charpentier, ouvrier du bâtiment que les intempéries hivernales ont
mis plusieurs fois au repos forcé. Maintenant que l'alouette chante,
ce n'est pas le travail mais la route qu'il reprend.
Résumé du chapitre précédent :
nous nous étions quitté avec une interrogation sur les motifs du
départ. Cette fois le doute n'est plus permis. Le texte est
explicite : « tu m'y laisses en larmes, un enfant sur les
bras ». Encore une fois, derrière des considérations
professionnelles qui pourraient la faire passer pour une chanson de
métiers, l'intrigue se dédouble avec une affaire sentimentale.
pour écouter la chanson et lire la suite
Un grand nombre de chansons relatives
au compagnonnage reprennent la formule « chers compagnons
honnêtes ». Comme d'habitude nous essayons de retrouver
ailleurs des textes similaires à celui ci, noté par Fernand Guériff
en pays nantais, dans la commune du Cellier. Située sur les bords de
Loire entre Nantes et Ancenis, où il était instituteur dans les
années quarante, elle sort du champ habituel de ses recherches, la
presqu'ile guérandaise. Dans le tome trois de ses collectes, où
elle a été publiée (1), il la compare à d'autres sources, du
Morvan, des Alpes ou de Franche Comté. Des similitudes existent
entre ces chansons, malgré des constructions différentes (2).
L'idée générale est que le bon moment pour partir est arrivé ;
que l'alouette chante ; que l'ouvrage manque ici et qu'on va en
trouver ailleurs...Certaines versions s'appliquent plus à la
conscription qu'au compagnonnage. Y aurait-il une bonne saison pour
partir en guerre ? D'ailleurs notre premier couplet est assez
équivoque puisqu'il y est question de batailler.
L'idée qu'il faut voyager pour
apprendre son métier est le fondement même des Tours de France
imposés par le statut des compagnons. Le folklore associé à cette
itinérance a donc logiquement donné quantité de chansons sur le
thème du départ. Une majorité d'entre elles sont des œuvres
signées du surnom du compagnon qui en est l'auteur. Assez peu sont
passées dans le fonds commun des chansons populaires.
Ce qui fait l'originalité la notre
tient essentiellement dans le dialogue entre le compagnon et celle
qu'il abandonne. La version la plus proche est celle recueillie par
Julien Tiersot dans le Morvan vers 1900, qui fut reprise par le
groupe Malicorne (3). Une tradition y est associée : la
conduite. Dans le compagnonnage, la conduite est la cérémonie par
laquelle le partant d'une cité et d'une entreprise où il a
travaillé est accompagné en cortège, par les autres sociétaires,
sur la voie publique jusqu'au lieu du départ, avec divers rites où
les chants sont de rigueur. Ces traditions ont été popularisées
par des ouvrages comme celui d'Agricol Perdiguier, dit Avignonais la
vertu. A son époque les sociétés de compagnons étaient divisées
par les questions religieuses avec un féroce antagonisme entre
catholique et protestants. Perdiguier avoue lui même que :
« les chansons de compagnons sont une des principales causes de
désordres dans le Compagnonnage, ce sont elles qui aigrissent les
esprits, nourrissent la haine et provoquent tant de batailles ».
On n'en est, certes, pas là avec notre
histoire de séparation. Le départ ne donne pas beaucoup de regrets
à l'amant qui tente de consoler la fille en lui promettant qu'elle
trouvera bien un autre compagnon pour s'occuper de la mère et de
l'enfant. Belle mentalité ! Si les premiers couplets peuvent
laisser un doute sur l'origine de la chanson – conscrit ou
compagnon - la fin du texte nous renvoie aux traditions (la mère,
le bâton...) et aux revendications exprimées dans un cadre qui
préfigurait le syndicalisme.
notes
1 - dont nous vous rappelons qu'il a
été édité par Dastum 44 avec le Parc naturel régional de Brière.
Une autre bonne idée pour un cadeau de Noël
2 - la plupart de ces chansons sont
constituées de strophes de vers de huit pieds avec une alternance de rimes
masculines et féminines organisée : 8 MFMM, alors que
celle collectée par Guériff est bâtie sur un schéma de vers de six pieds alternés 6 MFMF
3 - L'extraordinaire tour de France
d'Adélard Rousseau dit Nivernais la clef des cœurs, compagnon
charpentier du devoir – Malicorne – disque Ballon noir BAL 13006
(1978) – réédité en CD en 2005
Interprète : Bruno Nourry
source : chanté à Fernand
Gueriff par Francis Savary, à la Grande Funnerie du Cellier (44) en
1943
catalogue Coirault : 2904,
Partons chers compagnons
Chers compagnons honnêtes
Il nous faut voyager
Et chérir nos maîtresses
Il nous faut batailler
Entends-tu l'alouette
Là-bas dans ces vallons
Qui nous bat la retraite
Partons chers compagnons
Aurais-tu le courage
Amant, mon cher amant
Toi qui as mon cœur en gage
De partir à l'instant ?
Toi qui as goûté mes charmes
De mes plus doux appâts
Tu m'y laisses en larmes
Un enfant sur les bras
Console toi Marie
Ma mie console toi
Tu en verras bien d'autres
Compagnons comme moi
Qui t'y cont'ront fleurette
Marie, prend garde à toi
Tu es bien mignonnette,
Un vrai morceau de roi
Compagnons, chez la Mère
Mettons nous en chemin
Le chapeau sur l'oreille,
Le bâton à la main
En disant : « bonne Mère,
Avez vous compassi-on
D'un bon père de famille
Donnez lui les leçons »
Dans l'hiver, quand il gèle
T'en souviens-tu patron ?
Tu m'y donnais mon compte
Plusieurs fois la saison
je m'y disais bourrique
Le beau temps reviendra
Dans ta maudit' boutique
Travaill'ra qui voudra !
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