Voici une chanson doublement
énigmatique, tant par ses couplets que son refrain. Ce n'est pas la
description du cotillon trop long par derrière et trop court par
devant qui pose problème. C'est toute la symbolique liée aux gants
qui nous entraîne dans un univers de pouvoir et de séduction
aujourd'hui peu compréhensible. Quand au refrain, présent dans la
majorité des chansons sur ce thème, il pose question sur l'origine
de cette fille d'Allemand.
La première apparition de cette
chanson dans un recueil date du 16ème siècle, avec Jehan
Chardavoine (1). Ce qui signifie que cette histoire est sans doute
bien antérieure. Elle a traversé les siècles jusqu'à nous en
conservant intacts certains détails mais sans qu'ils aient pour nous
une signification évidente. Voyons cela de plus près.
Pour écouter la chanson et lire la suite
Cette chanson est assez répandue,
particulièrement dans tout le quart nord ouest de la France, et a
été recueillie plus fréquemment en Ille et Vilaine et en Mayenne.
Celle ci a été collectée par Pierre Guillard aux confins du pays
Nantais et du pays d''Ancenis ; Et, comme une majorité d'entre
elles, utilise un refrain où il est question de la fille d'un
allemand. D'une version à l'autre on trouve :
- je suis flamande allemande, fille
d'un allemand
- je suis d'Allemagne, je parle
allemand
- je suis née en Allemagne, fille
d'un allemand
- je suis flamande de l'Allemagne...
Ce refrain n'est pas celui de la
chanson publiée par Chardavoine :
Gaudinette, je vous aime tant
Cependant, vu la fréquence avec
laquelle on le retrouve, on peut lui supposer une origine ancienne.
Qu'après trois guerres contre un « ennemi héréditaire »,
des souvenirs douloureux dans une population où les termes de boche,
chleu, fridolin... étaient couramment employés pour le désigner,
on trouve encore tant de chansons qui proclament « je suis
fille d'un allemand » prouve que les traditions ont la peau
dure et la vie longue.
Nous avons cherché dans l'histoire de
France un personnage qui pourrait être à la source de ce refrain.
Sans aucune certitude à ce sujet, cette origine pourrait bien
s'appliquer à la seconde épouse de François 1er, Éléonore
d'Autriche, née à Louvain en Brabant flamand et sœur de Charles
Quint, empereur « germanique ». Le mariage fut quasiment
imposé par l'empereur au roi de France qui accepta l'épouse mais
refusa obstinément de lui faire des enfants. Ceux de son premier
mariage n'y étaient pas favorables pour des questions d'héritage.
De plus, la cour du roi était fort bien garnie en maîtresses !
Bref, ce n'est donc pas là le sujet
d'un cotillon qui raccourcit. Cela n'explique pas non plus pourquoi
on aboutit à en faire une paire de gants. Toute une symbolique
s'attache à cet accessoire vestimentaire, comme dans la chanson :
En passant la rivière, j'ai perdu
mes gants,
le gant étant ici le symbole de la
virginité. Selon les versions de la chanson, la fille fait présent
des gants à son amant. On dérive parfois sur des couplets avec une
formule existant dans une autre chanson type :
vous ne les porterez que trois fois
par an
à Noël, à Pâques et à la Saint
Jean
Ou bien c'est l'amant qui offre des
gants à sa bien aimée. Ou encore les gants sont utilisés comme
défense par la jeune fille :
Recevez un baiser de mes gants
attitude qu'on retrouve dans la version
notée par Guéraud (2), où la fille est convoquée devant un juge :
C'est vous mademoiselle qui frappez
les amants
Et pourquoi pas dit-elle quand ils
sont insolents
Dans notre chanson de la semaine il n'y
a pas eu ce genre d'anicroche et le résultat c'est que le père est
en colère de voir sa fille enceinte. Pourtant il y a promesse de
s'en occuper et de nourrir l'enfant jusqu'à ce qu'il soit grand.
Quand à la morale de l'histoire elle
relativise tous les désagréments
Il fera comme son père...Il
renvers’ra les filles dessous de beaux draps blancs
et contraste énormément avec la fin
notée par Chardavoine :
Si la mère a fait faute, qu'en puis
mais l'enfant
Ce n'est rien du votre ni de votre
argent
C'est du mien ami qui au vert bois
m'attend
Et pour moi endure la pluie et le
vent
Et la grande froidure qui du ciel
descend
Et pour lui j'endure la honte des
gens
Pour finir notons que les versions
québécoises, pour qui la fille de l'allemand n'a que peu de sens,
ont adopté pour refrain :
j'aime mon petit flacon ma mère
quand y'a du rhum dedans, maman
Dastum 44 vous souhaite de bonne fêtes
de fin d'année à toutes et à tous. A bientôt
Notes
1- « Recueil des plus belles et
excellentes chansons en forme de voix de ville » de l'angevin
Jehan Chardavoine, publié à Paris en 1576 - Mon père et ma mère,
chanson n° 27 – recueil consultable sur Gallica, le site de la
BnF.
2 – Guéraud ne dit pas d'où
provient sa version, même s'il précise « cette ronde est
populaire dans le département de l'Ille et vilaine »
interprète : Nolwen Le Dissez
source : Marguerite
Delanoue de Saint-Mars-du-Désert (44) collectée en mai 1988 par
Pierre Guillard
catalogue P. Coirault : Les
gants faits de la rognure du cotillon (Sociales – N° 6219)
catalogue C. Laforte : La
robe trop courte par derrière (1-L-03)
Je suis née en Allemagne
Nous étions trois filles, toutes trois
de vingt ans, l’Allemand
Toutes trois de vingt ans
Nous avions un père qui nous aimait
tant, l’Allemand
Car je suis née en Allemagne, fille
d’un Allemand
Nous avions un père qui nous aimait
tant, l’Allemand
Chacune nous fit faire
Chaque un jupon blanc, l’Allemand
Car je suis née en Allemagne…
Trop long par derrière, trop court par
devant
J’y pris mes cisettes, j’en coupe
un ruban
De ce beau ruban, j’en fis des gants
blancs
Une paire pour moi et l’autre pour
mon amant
Quand mon père ‘vu ça, il m’y
batta tant
Frappez par derrière, épargnez le
devant
Car en-d’sous ce beau ruban j’y
porte un bel enfant
Celui qui l’a fait le nourrira sept
ans
Au bout d’ces sept ans je l’nourrirai
autant
Sept et sept font quatorze et l’enfant
sera grand
Il fera comme son père un beau
sous-lieutenant
Il renvers’ra les filles dessous de
beaux draps blancs.
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