samedi 7 novembre 2015

126 - C'étaient trois jeunes marins

Cette semaine encore nous essayons de coller à l'actualité. Comment ? En vous proposant une chanson de naufrage qui tombe à pic pour illustrer la transat du marchand de café et ses trimarans adeptes du retournement de situation.
Les marins qui s'échouent et en profitent pou retrouver leurs belles est un classique de la chanson maritime. Cependant, le thème, difficultés de la navigation mises à part, n'a rien du chant de marins. Il est centré sur une relation amoureuse, plus ou moins développée selon les versions. La majorité d'entre elles ont été recueillies dans des pays proches de la mer : Haute Bretagne ou Vendée. A de rares exceptions près, les trois marins viennent du port de Nantes, une ville très présente dans les chansons (1). Leur destination est plus variable puisque selon les versions ils atteignent les côtes d'Angleterre, de Hollande ou d'Espagne. Cette version briéronne (2) les envoie jusqu'en Irlande.
Pour écouter la chanson et lire la suite :


L'histoire de ces trois marins se déroule de façon identique quelles que soient les sources consultées pour cette chanson. Bien sur, quelques variantes apparaissent d'une version à l'autre. En dehors de détails omis ou oubliés par l'interprète, c'est la façon dont les deux amants construisent leur avenir qui marque les différences.
Une fois arrivés à terre, la rencontre avec les jeunes filles nous ramène vers un déroulement présent dans une autre chanson type : les marches du palais.
La belle si tu voulais nous coucherions ensemble. Voilà un façon très directe d'envisager un avenir radieux. Ici, le chanteur nous fait grâce de l'épisode des bagues qui entame habituellement la discussion entre les deux amants :
bague d'argent doré parlant de mariage, comme dans la version recueillie non loin de là par Fernand Guériff, où le jeune marin retrouve, en Espagne, une connaissance nantaise.
A propos de bagues, on évite aussi la discussion vécue dans la chanson de l'amant trop violent publiée dans ce blog il y a une quinzaine :
elles sont encore à mes doigts les voulez vous reprendre (3)
En plus du décor à base de toile blanche et de pommes d'orange, le rossignol intervient parfois pour chanter à sa manière les relations amoureuses :
au milieu du lit le rossignol y chante
chantez rossignolet à la réjouissance
de voir de jeunes amants passer la nuit ensemble (4)
D'autres versions vont encore plus loin en envisageant déjà le mariage :
marions nous tous deux allons tenir ménage (5)
et même plus loin encore avec les enfants nés de cette union :
quand ils seront grands nous les marierons sages ou à des hommes sages (6)
Reste une énigme à laquelle des érudits ont tenté d'apporter des explications qui ne nous convainquent pas forcément : pourquoi la rivière est elle courante en dessous du lit ? Si vous avez une explication plausible à sa présence et à sa symbolique n'hésitez pas à nous en faire part. Nous ne pouvons nous contenter de voir dans cet épisode un simple dégât des eaux.
Et que viennent faire là les chevaux du roi ? Pour une fois la noyade du plus beau ne nous menace pas de la pendaison - si le roi le savait il nous ferait tous pendre - mais de la perte du joli bénéfice escompté de sa vente à la foire la plus proche. Après les métaphores inexplicables, le paysan briéron ne peut s'empêcher de revenir les pieds sur terre et de penser à l'avenir matériel des jeunes tourtereaux !


Notes
1 – c'est pas qu'on soit chauvins...mais on en reparlera.
2 – pour les étrangers à notre belle région : la Grande Brière est un secteur de marais situé au nord de l'estuaire de la Loire, tout près de Saint Nazaire.
3 – trouvé en Ille et Vilaine par Adolphe Orain – pour la discussion sur les bagues voir la chanson N° 122
4 – recueilli dans les Cotes d'Armor pour Armand Guéraud
5 – dans l'ouvrage consacré à Marie Drouart, publié par Dastum en 2014
6 – encore noté en Ille et Vilaine, cette fois par Lucien Decombe

source : d'après une version notée en Brière par Yves Maurice
interprètes : Martine Lehuédé et Janig Juteau
cote Coirault : 1726 – les marins qui s'échouent vers leurs belles

C'étaient trois jeunes marins

C'étaient trois jeunes marins, c'étaient trois jeunes marins
Tous trois natifs de Nantes, lon la, tous trois natifs de Nantes
Ils se sont embarqués...
Sur les côtes d'Angleterre...

Le vent leur était bon
La mer était contraire

Elle les a rejetés
Sur les côtes d'Irlande

Au pied d'un vieux moulin
Moulin qui moud la lande

Et dans ce vieux moulin
Y'avait trois filles galantes

La plus jeune des trois
Était la plus charmante

La belle si tu voulais
Nous coucherions ensemble

Dans un grand lit carré
Couvert de toile blanche

Aux quatre coins du lit
Quatre belles pommes d'orange

Et dans le dessous du lit
La rivière est courante

Tous les chevaux du roi
Viennent y boire en bande

Le noir il s'est noyé
Le plus beau de la bande

Toi qui voulait le vendre
A la foire de Guérande

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