Contrairement à ce que ce titre pourrait suggérer, ce n'est pas une énième version des « marins qui s'échouent vers leur belle » (1) que nous vous proposons aujourd'hui. D'abord parce que de ces « tri martolod » un seul va retenir notre attention. Ensuite parce que le seul voyage qu'il effectue le mène du logis de sa petite amie à l'auberge du village. Enfin pour en finir avec les comparaisons, il n'y aura pas présentement de happy end. Le grand nigaud finit la chanson avec pour seul avantage le temps de méditer sur les raisons de son échec.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Il est probable que les deux premiers vers soient le fruit d'une contamination entre cette chanson et une autre. On sait généralement comment cela se passe : deux mélodies assez proches et une versification (coupe et assonances) semblable. Pour compléter la recette ajoutez les possibles trous de mémoire d'un chanteur ou d'une chanteuse. Pour preuve de ce que nous avançons, il suffit d'écouter une autre version de la chanson avec le même texte et la même musique :
Les garçons de Nivilla'
Mon dieu qu'ils sont donc drôles
Vous la trouverez sur le CD « Coureurs de nuit » enregistré en 1996 par Hervé Dréan, celui-là même à qui nous devons le collectage de celle-ci. Dans ce secteur, Hervé Dréan ainsi qu'Albert Poulain en ont aussi trouvé qui débutaient par : les garçons de Saint-Dolay, ou les garçons de Saint-Cry (2). Un peu plus loin, à Mesquer,on se contente de désigner les garçons de chez nous (3). Voilà donc pourquoi ces trois marins n'ont finalement que peu d'influence sur le déroulé de l'histoire. Ils nous rappellent juste, au passage, que la ville de Nantes a su se faire une place prépondérante dans les chansons traditionnelles.
Bref, si le sort de la marine nous indiffère, le chiffre trois est une constante dans la grande majorité des versions de cette chanson : trois garçons, trois galants, trois amoureux...Nous avons déjà eu l'occasion de montrer l'importance symbolique de ce chiffre et son utilisation dans les poésies populaires. Au cas présent, il ne faut sans doute pas s'arrêter à ce décompte. Ce qui est important c'est que l'amoureux va se vanter d'avoir fait son affaire auprès de ses camarades. Pour que ce soit significatif, il faut au moins qu'ils soient deux si ce n'est plus. La quantité du public importe peu. Le principal c'est que sa vantardise revient aux oreilles de la fille qui va lui en faire subir les conséquences.
Assez souvent la réplique de la jeune fille est encore plus explicite qu'ici :
Tu t'es vanté que j'étais une fille faite à tes volontés
Moralité : on envoie le garçon baigner (dans un lac, dans la mer..) et surtout, on lui donne
Le chemin du bois pour t'y aller cacher
Car la morale de l'histoire est parfois complétée par un dernier couplet où le galant exprime ses regrets tardifs :
j'ai perdu ma mie c'est d'avoir trop parlé
Méfiez vous donc jeunes filles de ces « coureurs de filles » qui sont souvent des « coureurs de nuit ». Les chansons de ce type hésitent entre les « de bon matin me suis levé » et les virées nocturnes où le garçon utilise un argument sans effet : il se les gèle au dehors quand sa bien aimée est tranquillement au chaud. La belle utilise une maneuvre dilatoire pour retarder la rencontre. Le rendez vous discret à l'heure où les parents seront endormis est un thème commun à bien d'autres chansons.
Voici donc comment une simple brouille entre amoureux vient ternir la réputation des garçons de Nivillac et des marins de Nantes.
J-L. A.
notes
1 – voyez pour cela la chanson n°126 « c'étaient trois jeunes marins » de novembre 2015
2 – Nivillac, Saint Dolay et Saint Cry sont trois communes voisines du Morbihan, mais du coté sud de l'estuaire de la Vilaine.
3 – chanté par Mme Tatevin, de Mesquer et rapporté par Fernand Guériff dans Le Folklore du mariage, tome 2 du trésor des chants populaires folkloriques du pays de Guérande, page 39 (Dastum 44/ Parc naturel régional de Brière – 2005) -
interprètes: Janick Péniguel (chant) / Dominique Garino (guitare) / Yvon Gouriou (contrebasse)
source : Marie Malnoë, de Saint-Dolay (Morbihan) enregistrée le 29 mai 2011 par Hervé Dréan et Pierre-Louis Troffigué
catalogue P. Coirault : Le galant qui a trop parlé (Dissensions II - N° 02608)
catalogue C. Laforte : L’indiscret à la porte de la belle (II, C-17)
C’était trois jeunes marins
Tous trois natifs de Nantes (bis)
S’en vont bien tard après souper
Faire un p’tit tour en ville
Pour voir leurs bien-aimées (bis)
Le plus jeune des trois
S’en alla voir la sienne (bis)
Ouvrez la belle si vous m’aimez
Vous êtes à la chaleur
Je suis à la rosée (bis)
Je n’ouvre pas ma porte
A cette heure de la nuit-e (bis)
Venez vers les onze heures, minuit
Papa sera dormi-e
Et maman aussi (bis)
Le jeune galant retourne
Trouver ses camarades (bis)
Chers camarades, j’attends l’heure de minuit
Le cœur de celle que j’aime
Ce soir me l’a promis (bis)
La belle de sa fenêtre
Entendit ce discours (bis)
Vierge Marie, préservez-moi cette nuit
Les p’tits marins de Nantes
Cherchent (qu’) à tromper les filles (bis)
Vers les onze heures, minuit
Le jeune galant retourne (bis)
Ouvrez, la belle si vous m’aimez
Je crois qu’il est bien l’heure
Que vous m’avez donnée (bis)
Je n’ouvre pas ma porte
A ces coureurs de filles (bis)
J’t’y donnerai la mer pour t’y baigner
Et le chemin du bois
Galant retire-toi.
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