Nous nous sommes quittés en 2024 avec une chanson sans retour. Nous nous retrouvons en ce début d'année avec quelques couplets pleins d'espoir pour un avenir meilleur. Une chanson plus récente que la plupart de celle que nous enregistrons d'habitude puiqu'il y est question de la seconde guerre mondiale. Ce n'est pas pour coller à l'actualité, même si celle-ci nous fait parfois un clin d'oeil : depuis notre précédente publication une martiniquaise prénommée Angélique a été choisie comme miss France ! Mais intéressons nous maintenant à ce retour de guerre, interprété sur un air connu.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Les retours de guerre ont donné à la
chanson traditionnelle quelques unes de ses plus belles romances.
Elles sont si nombreuses que notre maître folkloriste Patrice
Coirault y a consacré une rubrique entière de son répertoire de la
chanson de tradition orale, sans préjuger de celles classées dans
d'autres catégories. Une longue absence justifiait parfois des
surprises tant pour la famille qui croyait le soldat définitivement
disparu que pour celui ci découvrant sa femme remariée ou entourée
d'enfants dont il ne soupçonnait pas l'existence (1).
Ce genre de
chansons n'a pas survécu à la première guerre mondiale. On peut
supposer que ses horreurs et l'ampleur du phénomène des « gueules
cassées » n'incitait pas à une mise en musique. La fin de la
seconde guerre mondiale se caractérise plutôt, coté français, par
le retour de prisonniers, soldats, déportés ou travailleurs forcés.
La chanson populaire, celle qu'on qualifie de chanson de variétés,
n'a pas exploité ce thème. C'est comme si il avait fallu se
dépêcher d'oublier et privilégier la joie de la liberté
retrouvée. S'appesantir sur les malheurs passés n'était sans doute
pas très vendeur. C'est donc la chanson populaire, celle qui n'a
rien à voir avec la variété commerciale, qui s'est chargée de
nous renseigner sur ces touchantes retrouvailles.
A défaut de proposer de nouvelles mélodies, les auteurs anonymes ont toujours su utiliser les timbres existants. Écrire des couplets sur un air connu c'est s'assurer que n'importe qui pourra se les approprier. Comme de bien entendu, le plus populaire de ces timbres depuis le début du vingtième siècle a servi de support à de nombreuses chansons. Celle ci n'échappe pas à la règle. Cet air est donc celui de la Paimpolaise, qui valut le succès à Félix Mayol son interprète, la gloire à Théodore Botrel son auteur, et finalement beaucoup moins de renommée à Eugène Feautrier son compositeur.
Les cinq couplets alternent le patriotisme le plus revanchard avec les sentiments profonds avivés par l'éloignement et la séparation. Cette dualité se retrouve en forme de refrain :
On ne vit pas sans la patrie
Sans sa mère, sa femme et ses fieux (2).
Le texte va jusqu'à mettre Dieu dans la balance ; son « souffle puissant de vengeance » a fait basculer le sort de l'ennemi. Entre « Gott mit uns » et « God on our side » le créateur aurait bien du mal a choisir son camp, mais qu'importe, on ne lui demande pas son avis.
Bref, ce n'est pas pour ses qualités artistiques ou sa veine poétique que nous avons choisi d'interpréter cette allégorie patriotique. Mais parce qu'elle est représentative d'une tradition populaire qui permet à des auteurs de s'exprimer sans se soucier de passer à la postérité. La diffusion de chansons sur des feuilles volantes n'assure qu'une audience limitée, alors que les années quarante voient se développer les ventes de 78 tours (en attendant les microsillons) et les succès de la chanson imprimés sur des « petits formats » disponibles dans le commerce. La période de la guerre et de l'immédiat après-guerre a prolongé la vie de ce mode de diffusion sur feuille volante, à l'instar des tracts et journaux clandestins. Très rapidement ce média disparaît, emporté par le progrès des ondes et de l'édition. Dans la seconde moitié du siècle, il n'y a plus guère que dans les manifestations syndicales qu'on édite encore des chansons revendicatives sur des airs connus.
J-L. A.
Notes
1 – voir par exemple la chanson n°46 de ce blog (03/2014) « Mes bonnes gens » ou la n°167 (09/2016) « Au lever de l'aurore »...
2 – étymologiquement parlant, fieu désigne un fils, fieux, les enfants. Le terme n'est pas très usité dans notre territoire, ce qui pourrait signifier que la chanson n'est pas particulièrement locale.
interprète : Hugo Aribart
Source : archives Dastum 44, fonds Dastum 44 (4212.a-0035)
Timbre : La Paimpolaise (Th. Botrel / E. Feautrier)
1. Quittant les geôles d’Allemagne
Quand le Français revient chez nous
Vers la ville ou vers la campagne
Voici son refrain fier et doux
Et qu’à l’unisson
Nous nous redisons :
« Je reviens, ô France chérie
Plein d’espoir et le cœur joyeux
On ne vit pas sans la patrie
Sans sa mère, sa femme et ses fieux ».
2. A l’heure où la lampe s’allume
Quand la famille est réunie
Dans le stalag plein d’amertume
Sa tristesse était infinie…
Et sans liberté
Dans l’obscurité
Il souffrait, ô France chérie
Loin de toi et de ton ciel bleu
On ne vit pas sans la patrie
Sans sa mère, sa femme et ses fieux.
3. On étouffait son espérance
En lui cachant la vérité
Mais il savait bien que la France
Retrouverait sa liberté
Et en attendant
Ce bienheureux temps
Il t’aimait, ô France chérie
Plein d’espoir et le cœur joyeux
On ne vit pas sans la patrie
Sans sa mère, sa femme et ses fieux.
4. Un souffle puissant de vengeance
Un jour sur l’Allemagne en feu
Passa ruinant son espérance
Ce souffle était celui de Dieu
Prisonnier français
Libre désormais
Reviens vers la France chérie
Plein d’espoir et le cœur joyeux
On ne vit pas sans la patrie
Sans sa mère, sa femme et ses fieux.
5. De retour en terre française
Il a retrouvé ses amours
Entonnons tous « La Marseillaise »
Car pour lui, ah ! quel heureux jour
D’un ton fier et doux
Ce gâs de chez nous
Dit : « j’arrive, ô France chérie
Plein d’espoir et le cœur joyeux,
On ne vit pas sans la patrie
Sans sa mère, sa femme et ses fieux ».
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