mardi 6 août 2024

471 - La marâtre

 Dès les premières notes de la mélodie, vous aurez reconnu le timbre qui tout au long du 19è siècle et encore jusqu'à la seconde guerre mondiale, a servi de support à près d'un tiers des complaintes criminelles. Il n'est même pas besoin d'ajouter que « c'est un récit lamentable... » la musique suffit à nous l'annoncer. Ce récit a été collecté à deux reprises sur notre territoire. Pourtant rien n'indique que le drame ait eu lieu en pays nantais. Le doute s'insinue sur sa localisation et même sur la réalité des faits rapportés.

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Ce n'est pas la première complainte que nous publions sur l'air de Fualdès. Nous vous avons déjà tout dit, ou presque, à son sujet. D'ailleurs, plusieurs complaintes sur feuilles volantes ne prennent même pas la peine de le mentionner, se contentant de « sur un air connu » ou sur «  l'air des causes célèbres » ou encore sur « l'air de toutes les complaintes ». Comme il est de règle pour ce genre si particulier la chanson de la marâtre encore intitulée : Une mère féroce – complainte à ce sujet (air de Fualdès) a elle aussi été diffusée sur feuille volante. La Bibliothèque Nationale en conserve une copie.

Mais le site Criminocorpus (1) référence cette complainte particulière dans les « affaires douteuses ». En effet, contrairement à l'immense majorité des chansons de ce type, celle ci ne donne aucune précision sur le lieu et les protagonistes de l'affaire. De nos jours on se réfugie derrière la présomption d'innocence tant que l'affaire n'est pas jugée. A l'époque où les complaintes tenaient le rôle de média judiciaire on ne s’embarrassait pas de scrupules. Chaque texte non seulement s'adressait précisément aux habitants du lieu concerné, mais donnait force détails sur les victimes et encore plus sur l'auteur des méfaits. L'appel au châtiment exemplaire était la règle dans le dernier couplet. Il y a bien ici un avertissement sur le sort probable de la marâtre. Mais l'anonymat ne permet pas de définir à quelle affaire judiciaire il se rattache. Est-ce un oubli ou bien ce récit n'est-il qu'une fiction ? Les documents détenus par la BnF parlent de « Mauvais traitements à enfant par la femme Justin, à Paris ». Cependant aucun élément supplémentaire ne permet de localiser les faits.

C'est dans le pays de Chateaubriant que Patrick Bardoul a récolté cette chanson diffusée sur feuille volante et sans doute recopiée dans un cahier. Une autre version, incomplète, a été recueillie par Pierre Guillard, sur les bords de la Loire dans la commune du Cellier.
A la complainte chantée par Mme Joséphine Trapu manquaient toutefois les deux derniers couplets. Nous nous sommes fait un plaisir de les ajouter, histoire de boire le calice jusqu'à la lie. En période de canicule, quoi de mieux qu'un bon vieux crime sordide pour rafraîchir l'atmosphère.

J-L. A.


note

1 – incontournable en matière de complainte criminelles. Nous ne pouvons que vous inciter à le visiter.


interprète : Liliane Berthe

source : Joséphine Trapu, enregistrée à Chateaubriant en octobre 1992 par Patrick Bardoul

timbre : air de Fualdès



C'est un récit lamentable

Que je vais conter, hélas

Bien sur qu'on ne verra pas

Souvent une misérable

Martyriser une enfant

Par les plus affreux tourments


Pauvre petite martyre

Toi dont le regard si doux

Pouvait calmer le courroux

Hélas ton navrant sourire

Disait bien que sans secours

Tu devrais souffrir toujours


La marâtre une coquette

Que gênait la pauvre enfant

La frappait cruellement

De peur qu'elle ne répète

Combien d'amants elle avait

Et comment elle s'amusait


La petite par la ville

Faisait toutes les commissions

Avec beaucoup d'attentions

Elle allait d'un pas fébrile

Les yeux tout gonflés de pleurs

Qui faisaient serrer les cœurs


Un jour chez une fruitière

Qui avait le cœur sur la main

L'enfant demanda du pain

Oh, bien grande est ma misère

De faim je me sens mourir

Daignez donc me secourir


Si vous le vouliez madame

Me coucher auprès de vous

Je n'aurais donc plus de coups

Ma mère est méchante femme

Mon corps de coups est tout noir

Couchez moi vous pourrez voir


Chez monsieur le commissaire

On alla se plaindre enfin

Que cette enfant à la fin

Ne pouvait, avec la mère

Plus longtemps y demeurer

Qu'elle finirait par la tuer


En effet la misérable

Ayant appris par hasard

Qu'on connaissait ses écarts

Voulut, chose épouvantable

Faire disparaître l'enfant

Hélas, on va voir comment


Ce triste récit nous navre

Tous les soirs avec un fouet

Les chairs elle déchirait

Puis la jetait dans la cave

Bien fort, à grands coups de pied

Elle voulait l'estropier


Alors cette affreuse femme

Après l'avoir bien liée

Lui a brûlé les deux pieds
Et puis cette mère infâme

Lui met le corps en lambeaux

Avec son énorme couteau


couplets non interprétés par Mme Trapu


On arrêta cette mère

Des perquisitions on fit

Sous la trappe on découvrit

La pauvre enfant sur la terre

Étendue sans mouvement

Semblant au dernier moment


A l'hospice on la transporte

La secourant sans retard

Hélas ! Il était trop tard

Le lendemain elle était morte.

La mère ira, il le faut

Mourir sur un échafaud.


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