Dès les premières notes de la mélodie, vous aurez reconnu le timbre qui tout au long du 19è siècle et encore jusqu'à la seconde guerre mondiale, a servi de support à près d'un tiers des complaintes criminelles. Il n'est même pas besoin d'ajouter que « c'est un récit lamentable... » la musique suffit à nous l'annoncer. Ce récit a été collecté à deux reprises sur notre territoire. Pourtant rien n'indique que le drame ait eu lieu en pays nantais. Le doute s'insinue sur sa localisation et même sur la réalité des faits rapportés.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Ce n'est pas la première complainte que nous publions sur l'air de Fualdès. Nous vous avons déjà tout dit, ou presque, à son sujet. D'ailleurs, plusieurs complaintes sur feuilles volantes ne prennent même pas la peine de le mentionner, se contentant de « sur un air connu » ou sur « l'air des causes célèbres » ou encore sur « l'air de toutes les complaintes ». Comme il est de règle pour ce genre si particulier la chanson de la marâtre encore intitulée : Une mère féroce – complainte à ce sujet (air de Fualdès) a elle aussi été diffusée sur feuille volante. La Bibliothèque Nationale en conserve une copie.
Mais le site Criminocorpus (1) référence cette complainte particulière dans les « affaires douteuses ». En effet, contrairement à l'immense majorité des chansons de ce type, celle ci ne donne aucune précision sur le lieu et les protagonistes de l'affaire. De nos jours on se réfugie derrière la présomption d'innocence tant que l'affaire n'est pas jugée. A l'époque où les complaintes tenaient le rôle de média judiciaire on ne s’embarrassait pas de scrupules. Chaque texte non seulement s'adressait précisément aux habitants du lieu concerné, mais donnait force détails sur les victimes et encore plus sur l'auteur des méfaits. L'appel au châtiment exemplaire était la règle dans le dernier couplet. Il y a bien ici un avertissement sur le sort probable de la marâtre. Mais l'anonymat ne permet pas de définir à quelle affaire judiciaire il se rattache. Est-ce un oubli ou bien ce récit n'est-il qu'une fiction ? Les documents détenus par la BnF parlent de « Mauvais traitements à enfant par la femme Justin, à Paris ». Cependant aucun élément supplémentaire ne permet de localiser les faits.
C'est dans le pays de Chateaubriant que
Patrick Bardoul a récolté cette chanson diffusée sur feuille
volante et sans doute recopiée dans un cahier. Une autre version,
incomplète, a été recueillie par Pierre Guillard, sur les bords de
la Loire dans la commune du Cellier.
A la complainte chantée par
Mme Joséphine Trapu manquaient toutefois les deux derniers couplets.
Nous nous sommes fait un plaisir de les ajouter, histoire de boire le
calice jusqu'à la lie. En période de canicule, quoi de mieux qu'un
bon vieux crime sordide pour rafraîchir l'atmosphère.
J-L. A.
note
1 – incontournable en matière de complainte criminelles. Nous ne pouvons que vous inciter à le visiter.
interprète : Liliane Berthe
source : Joséphine Trapu, enregistrée à Chateaubriant en octobre 1992 par Patrick Bardoul
timbre : air de Fualdès
C'est un récit lamentable
Que je vais conter, hélas
Bien sur qu'on ne verra pas
Souvent une misérable
Martyriser une enfant
Par les plus affreux tourments
Pauvre petite martyre
Toi dont le regard si doux
Pouvait calmer le courroux
Hélas ton navrant sourire
Disait bien que sans secours
Tu devrais souffrir toujours
La marâtre une coquette
Que gênait la pauvre enfant
La frappait cruellement
De peur qu'elle ne répète
Combien d'amants elle avait
Et comment elle s'amusait
La petite par la ville
Faisait toutes les commissions
Avec beaucoup d'attentions
Elle allait d'un pas fébrile
Les yeux tout gonflés de pleurs
Qui faisaient serrer les cœurs
Un jour chez une fruitière
Qui avait le cœur sur la main
L'enfant demanda du pain
Oh, bien grande est ma misère
De faim je me sens mourir
Daignez donc me secourir
Si vous le vouliez madame
Me coucher auprès de vous
Je n'aurais donc plus de coups
Ma mère est méchante femme
Mon corps de coups est tout noir
Couchez moi vous pourrez voir
Chez monsieur le commissaire
On alla se plaindre enfin
Que cette enfant à la fin
Ne pouvait, avec la mère
Plus longtemps y demeurer
Qu'elle finirait par la tuer
En effet la misérable
Ayant appris par hasard
Qu'on connaissait ses écarts
Voulut, chose épouvantable
Faire disparaître l'enfant
Hélas, on va voir comment
Ce triste récit nous navre
Tous les soirs avec un fouet
Les chairs elle déchirait
Puis la jetait dans la cave
Bien fort, à grands coups de pied
Elle voulait l'estropier
Alors cette affreuse femme
Après l'avoir bien liée
Lui a brûlé les deux pieds
Et puis
cette mère infâme
Lui met le corps en lambeaux
Avec son énorme couteau
couplets non interprétés par Mme Trapu
On arrêta cette mère
Des perquisitions on fit
Sous la trappe on découvrit
La pauvre enfant sur la terre
Étendue sans mouvement
Semblant au dernier moment
A l'hospice on la transporte
La secourant sans retard
Hélas ! Il était trop tard
Le lendemain elle était morte.
La mère ira, il le faut
Mourir sur un échafaud.
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