mardi 23 juillet 2024

470 - La catastrophe du Saint Philibert

 Histoire de plomber encore plus une ambiance déjà morose, nous replongeons cette fois-ci dans la complainte. Le terme n'est pas choisi par hasard puisque nous évoquons l'un des plus meurtriers naufrages qu'ait connu la côte Atlantique à l'estuaire de la Loire (1). La date anniversaire étant passée, nous échapperons à l'aspect commémoratif pour nous attarder sur d'autres détails plus en rapport avec ce genre si particulier : la complainte. Plusieurs enregistrements ayant déjà été publiés sur ce sujet, nous en avons choisi un totalement inédit.

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Le Saint Philibert était un navire de 32 mètres de long sur 6,50 mètres de large avec un tirant d'eau de 2,20m. Son fond pratiquement plat présentait un handicap par gros temps. Ce jour là, réservé pour une excursion à Noirmoutier par plusieurs associations de la bourse du travail, il emmenait quelques 350 personnes pour une mini-croisière familiale. Après une journée de beau temps la situation se détériora très rapidement au retour. Très chahuté en doublant la pointe St Gildas, le bateau se retourna en quelques secondes, bien aidé par le fait que tous les passagers s'étaient réfugiés du même coté pour échapper aux embruns et appeler Raoul. Seuls 8 survivants échappèrent au drame (2). Voilà résumé très (trop) succinctement le fond de l'affaire. Cette catastrophe eut un retentissement national en raison du nombre de disparus, parfois des familles entières. La chanson s'est emparée de ce fait divers.

Le St Philibert (coll. Dastum 44)

Or donc, l'événement dont il est question eut lieu « Le quatorze juin un dimanche de l'an mil neuf cent trente et un ». C'est ainsi que débute la plus connue des complaintes sur ce naufrage, utilisant l'air de la Paimpolaise, comme une majorité des chansons relatant la catastrophe. Car ce ne sont pas loin de vingt complaintes qui ont été composées dans les jours suivant la catastrophe (3). La plupart gardent un aspect factuel et informatif, comme s'il s'agissait de tenter d'expliquer l'inexplicable. Certes le public est toujours friand de détails croustillants ou sanglants. Mais les journaux de l'époque s'étant largement fait l'écho des circonstances, était-il besoin d'en rajouter ?

Les trois couplets avec refrain que nous vous proposons aujourd'hui ont eu une diffusion plus restreinte. Plus que sur les détails sordides, c'est sur le sort des victimes que s’apitoie l'auteur. Ce qui ne l'empêche pas d'utiliser des images fortes comme les menottes des chérubins cherchant la protection maternelle. Diffusée comme, toutes les autres, sur feuille volante, nous l'avons retrouvée à deux reprises dans des cahiers de chansons.

Les complaintes sur des événements utilisent pratiquement les mêmes timbres que pour les crimes (Fualdès, la Paimpolaise...). Toutefois, la période de l'entre deux guerres a vu se développer l'habitude d'utiliser des airs plus récents. Ceux ci présentent l'avantage de s'adapter à des chansons plus courtes que les traditionnelles complaintes criminelles qui pouvaient aller jusqu'à 48 couplets et étaient dépourvues de refrain. Les auteurs utilisent des rengaines à la mode qui peuvent entraîner une distanciation entre les paroles et la musique, valses ou javas guillerettes servant parfois de support à des récits sordides. Si la majorité des chansons sur ce naufrage se sont servies du tube de MM Botrel et Feautrier, celle ci fait donc appel à un air plus original.

Ce timbre est celui de « Notre nid d'amour » une romance des années 30 qui n'est pas elle même d'une franche gaîté, voguant sur les thèmes de la fidélité, des larmes et de la rupture. Les paroles en sont de Charlys et la musique de Paula Chabran, une artiste qui a signé également des chansons comme : Marie cache tes genoux, Pouët, pouët, Mimosette, Dolorita, Gitana...tout un programme qui nous éloigne un peu des couplets larmoyants.

Vous pouvez retrouver d'autres chansons sur le naufrage du Saint Philibert en particulier sur les CD : Nantes en chansons (Dastum 44 -1998) et chants des marins nantais (Le Chasse marée/Ar Men – 1992).

J-L. A.


Notes

1 – le plus meurtrier restant celui du Lancastria, bombardé en 1940, dont le bilan reste approximatif (plusieurs milliers de morts). Plus d'informations dans l'ouvrage d'Emile Boutin : les grands naufrages de l'estuaire (éd. Rives reines - 1992)

2 – plus quelques personnes bien inspirées qui préférèrent rentrer à Nantes par la voie terrestre.

3 - dont deux en breton, à découvrir ici : https://fv.kan.bzh/


interprète : Jeannette Lebastard, avec Nicole Barbaud, Liliane Berthe et Christine Dufourmantelle

source : Feuille volante sans indication d'imprimeur - Paroles de Edouard Valette

timbre : « Notre nid d'amour » musique de Paula Chabran, paroles de Charlys


La catastrophe du Saint Philibert

cahier de chansons de Mme Pelé
(coll. Dastum 44°


Ils étaient partis, contents, réjouis

En ce beau dimanche de fête

Et des chants joyeux

Montaient jusqu'aux cieux

Chacun riait à qui mieux mieux

Et qui aurait dit

Qu'un destin maudit

Était suspendu sur leurs têtes ?

Et que l'océan,

Ce gouffre effrayant

Se vengerait si lâchement ?


Refrain

Pleurons toutes ces pauvres victimes

Que la mer a pris à tout jamais

Qui dorment tout au fond de l’abîme

Et qu'on ne verra plus désormais !

Que notre âme angoissée leur exprime
Nos regrets, notre immense douleur

En gardant toujours dans nos cœurs

Le souvenir de ce malheur !


Soudain du bateau,

Battu par les flots

Montent des appels de détresse

Et sur l'océan,

Des cris déchirants

S'élèvent à travers l'ouragan

« A moi ! au secours ! »

Hélas !, sans recours,

La mer est cruelle et traîtresse

Car presqu' aussitôt

Tout au fond de l'eau

Disparaît le petit bateau !


Les petits enfants

Appelaient « Maman »

Joignant leurs petites menottes

Les pauvres chérubins

Partis le matin

Si joyeux, quel affreux destin !

Hélas !, c'est fini

O deuil infini

Qui fait que la France sanglote

Car nous vous pleurons

Anges si mignons

Le cœur tout brisé d'émotion.


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