Histoire de plomber encore plus une ambiance déjà morose, nous replongeons cette fois-ci dans la complainte. Le terme n'est pas choisi par hasard puisque nous évoquons l'un des plus meurtriers naufrages qu'ait connu la côte Atlantique à l'estuaire de la Loire (1). La date anniversaire étant passée, nous échapperons à l'aspect commémoratif pour nous attarder sur d'autres détails plus en rapport avec ce genre si particulier : la complainte. Plusieurs enregistrements ayant déjà été publiés sur ce sujet, nous en avons choisi un totalement inédit.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Le Saint Philibert était un navire de
32 mètres de long sur 6,50 mètres de large avec un tirant d'eau de
2,20m. Son fond pratiquement plat présentait un handicap par gros
temps. Ce jour là, réservé pour une excursion à Noirmoutier par
plusieurs associations de la bourse du travail, il emmenait quelques
350 personnes pour une mini-croisière familiale. Après une journée
de beau temps la situation se détériora très rapidement au retour.
Très chahuté en doublant la pointe St Gildas, le bateau se retourna
en quelques secondes, bien aidé par le fait que tous les passagers
s'étaient réfugiés du même coté pour échapper aux embruns et
appeler Raoul. Seuls 8 survivants échappèrent au drame (2). Voilà
résumé très (trop) succinctement le fond de l'affaire. Cette
catastrophe eut un retentissement national en raison du nombre de
disparus, parfois des familles entières. La chanson s'est emparée
de ce fait divers.
Le St Philibert (coll. Dastum 44) |
Or donc, l'événement dont il est question eut lieu « Le quatorze juin un dimanche de l'an mil neuf cent trente et un ». C'est ainsi que débute la plus connue des complaintes sur ce naufrage, utilisant l'air de la Paimpolaise, comme une majorité des chansons relatant la catastrophe. Car ce ne sont pas loin de vingt complaintes qui ont été composées dans les jours suivant la catastrophe (3). La plupart gardent un aspect factuel et informatif, comme s'il s'agissait de tenter d'expliquer l'inexplicable. Certes le public est toujours friand de détails croustillants ou sanglants. Mais les journaux de l'époque s'étant largement fait l'écho des circonstances, était-il besoin d'en rajouter ?
Les trois couplets avec refrain que nous vous proposons aujourd'hui ont eu une diffusion plus restreinte. Plus que sur les détails sordides, c'est sur le sort des victimes que s’apitoie l'auteur. Ce qui ne l'empêche pas d'utiliser des images fortes comme les menottes des chérubins cherchant la protection maternelle. Diffusée comme, toutes les autres, sur feuille volante, nous l'avons retrouvée à deux reprises dans des cahiers de chansons.
Les complaintes sur des événements utilisent pratiquement les mêmes timbres que pour les crimes (Fualdès, la Paimpolaise...). Toutefois, la période de l'entre deux guerres a vu se développer l'habitude d'utiliser des airs plus récents. Ceux ci présentent l'avantage de s'adapter à des chansons plus courtes que les traditionnelles complaintes criminelles qui pouvaient aller jusqu'à 48 couplets et étaient dépourvues de refrain. Les auteurs utilisent des rengaines à la mode qui peuvent entraîner une distanciation entre les paroles et la musique, valses ou javas guillerettes servant parfois de support à des récits sordides. Si la majorité des chansons sur ce naufrage se sont servies du tube de MM Botrel et Feautrier, celle ci fait donc appel à un air plus original.
Ce timbre est celui de « Notre nid d'amour » une romance des années 30 qui n'est pas elle même d'une franche gaîté, voguant sur les thèmes de la fidélité, des larmes et de la rupture. Les paroles en sont de Charlys et la musique de Paula Chabran, une artiste qui a signé également des chansons comme : Marie cache tes genoux, Pouët, pouët, Mimosette, Dolorita, Gitana...tout un programme qui nous éloigne un peu des couplets larmoyants.
Vous pouvez retrouver d'autres chansons sur le naufrage du Saint Philibert en particulier sur les CD : Nantes en chansons (Dastum 44 -1998) et chants des marins nantais (Le Chasse marée/Ar Men – 1992).
J-L. A.
Notes
1 – le plus meurtrier restant celui du Lancastria, bombardé en 1940, dont le bilan reste approximatif (plusieurs milliers de morts). Plus d'informations dans l'ouvrage d'Emile Boutin : les grands naufrages de l'estuaire (éd. Rives reines - 1992)
2 – plus quelques personnes bien inspirées qui préférèrent rentrer à Nantes par la voie terrestre.
3 - dont deux en breton, à découvrir ici : https://fv.kan.bzh/
interprète : Jeannette Lebastard, avec Nicole Barbaud, Liliane Berthe et Christine Dufourmantelle
source : Feuille volante sans indication d'imprimeur - Paroles de Edouard Valette
timbre : « Notre nid d'amour » musique de Paula Chabran, paroles de Charlys
La catastrophe du Saint Philibert
cahier de chansons de Mme Pelé (coll. Dastum 44° |
Ils étaient partis, contents, réjouis
En ce beau dimanche de fête
Et des chants joyeux
Montaient jusqu'aux cieux
Chacun riait à qui mieux mieux
Et qui aurait dit
Qu'un destin maudit
Était suspendu sur leurs têtes ?
Et que l'océan,
Ce gouffre effrayant
Se vengerait si lâchement ?
Refrain
Pleurons toutes ces pauvres victimes
Que la mer a pris à tout jamais
Qui dorment tout au fond de l’abîme
Et qu'on ne verra plus désormais !
Que notre âme angoissée leur exprime
Nos regrets, notre immense douleur
En gardant toujours dans nos cœurs
Le souvenir de ce malheur !
Soudain du bateau,
Battu par les flots
Montent des appels de détresse
Et sur l'océan,
Des cris déchirants
S'élèvent à travers l'ouragan
« A moi ! au secours ! »
Hélas !, sans recours,
La mer est cruelle et traîtresse
Car presqu' aussitôt
Tout au fond de l'eau
Disparaît le petit bateau !
Les petits enfants
Appelaient « Maman »
Joignant leurs petites menottes
Les pauvres chérubins
Partis le matin
Si joyeux, quel affreux destin !
Hélas !, c'est fini
O deuil infini
Qui fait que la France sanglote
Car nous vous pleurons
Anges si mignons
Le cœur tout brisé d'émotion.
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