jeudi 2 mai 2024

464 - La place Bretagne

 Recueillie parmi d'autres chansons plus anciennes, voici une composition hybride. Ce texte évoque un passé pas si lointain. Ses premiers couplets n'ont pas plus d'un siècle mais pour pallier sa mémoire défaillante, le chanteur à qui nous la devons l'a complétée avec quelques vers de sa composition. Nantes, deuxième ville la plus présente dans les chansons traditionnelles, a aussi été célébrée par quantité d'auteurs, célèbres ou anonymes, dans une période plus récente. Bien avant que ces chansons soient enregistrées, elles ont été, elles aussi, diffusées oralement ou sur des feuilles volantes.

pour écouter la chanson et lire la suite 

Si vous souhaitez mettre un peu d'animation dans vos repas de familles ou à la fête des voisins, on vous suggère de lancer le débat : Nantes est-elle en Bretagne ? Succès garanti quel que soit le public ; ce ne sont pas les arguments qui manquent. Notre propos n'est pas de lancer ici une polémique. Contentons nous de donner quelques éléments : regardez une photo de notre bonne ville et recherchez les bâtiments les plus repérables. Le château des ducs de Bretagne, la tour Bretagne, l'immeuble du sillon de Bretagne (1) et si vous voulez nous rendre visite, l'association Dastum 44 est proche du pont Anne de Bretagne.

Puisque nous évoquons la tour du même nom, voilà qui nous ramène au sujet du jour, la place Bretagne située au pied de la dite tour. Elle était autrefois lieu de foires et de marchés, idéalement placée au débouché de la route de Vannes. A la fin du 18è siècle ces activités furent transférées sur la place Viarme, plus vaste et située en amont. Le premier couplet évoque la présence, dans la seconde moitié du 19è siècle, d'un cirque qui accueillait près de deux mille spectateurs, pendant la foire d'hiver. Il ne reste pour mémoire que le nom de l'autre place, au pied de la tour, la « place du cirque ». Le second couplet présente l'aspect festif de la place qui accueillait baraques foraines et spectacles de toutes sortes. Le troisième parle de deux personnages marquants : le quincailler Delaroux fondateur d'un établissement connu des nantais, et les chanteurs de complaintes. Plus que les sœurs Amadou (2) il s'agit sans doute de « Réséda » une autre figure locale : « petit homme malingre engoncé dans une longue houppelande qui lui bat les mollets, le col relevé pour cacher une absence de cravate (ou peut-être de chemise), un visage brut et mal rasé, et, surmontant le tout, un chapeau de feutre rond bien enfoncé jusqu'aux oreilles (3) ». Les couplets suivants nous entraînent dans une période plus récente.

Après la seconde guerre mondiale, les reconstructions ont considérablement modifié sa physionomie. Les bombardements de septembre 1943 ont eu raison des derniers îlots du mal famé quartier du Marchix. Quartier maudit ? Aux logements insalubres du Marchix a succédé ce symbole de la modernité, devenu lui aussi insalubre pour cause d'amiante. La tour fut l’œuvre et l'obsession d'un ancien maire, André Morice, qui n'a laissé comme autre souvenir pour l'histoire que la construction d'une gigantesque ligne de barbelés à la frontière Algéro-tunisienne, dans les années 50, la « ligne Morice ». Ce sont donc les administrations qui ont profité de ce réaménagement, concentrant la sécu, la poste et le trésor public, ainsi que le notent les 5 et 6èmes couplets. La place accueillait aussi, jusqu'en 1955, un marché aux puces, lui aussi transféré place Viarme où se tient maintenant la brocante hebdomadaire. Il ne reste plus désormais que quelques vieilles photos pour entretenir la mémoire d'une époque révolue. Et ces quelques couplets presqu'aussi délabrés que l'ancien quartier.

D'après les souvenirs de M. Robichon, à la fois auteur et interprète de cette chanson, les couplets qui lui faisaient défaut décrivaient l'aventure d'un loubard du quartier qui, croyant sa fortune faite, avait fini en prison. La nostalgie n'est plus ce qu'elle était et les remords hantant la place Bretagne, le chanteur a donc préféré donner une fin moins navrante à cette évocation. Nous avons eu beau chercher le texte originel de la chanson, nous n'avons pas remis la main sur les couplets manquant. C'est donc avec l'espoir qu'un de nos lecteurs puisse nous dépanner que nous lançons un appel en publiant cette version de la chanson.

La place Bretagne fut aussi le lieu de naissance, en 1862, d'Aristide Briand, homme d'état et prix Nobel de la paix , plusieurs fois ministre des affaires étrangères et onze fois président du conseil sous la 3ème république. Son père tenait un café sur cette place.

Pour en finir avec ce haut lieu nantais, à l'heure où nous écrivons ces lignes la tour de béton amianté est toujours vide d'occupants, dans l'attente de sa réhabilitation.

J-L. A.


Notes

1 – situé sur la commune de Saint-Herblain, dans la métropole nantaise, et dominant le paysage du haut du sillon de Bretagne, dernier contrefort du massif armoricain.

2 – A leur sujet lire et écouter les 448 et 448 bis publiés en septembre 2023 sur ce blog

3 – d'après « Ça et là par les rues de Nantes » – université inter-âges – éd. Reflets du passé (1984)


interprète : Jean-Louis Auneau

source : M. Robichon, à Saint-Mars-de-Coutais (44), le 17 mars 1984 (collecte : Christine Viaud)


Il y eut un moment

Où la ville de Nantes

A pour ses agréments

Des choses étonnantes

Les lions des déserts

L’aigle de la montagne

Le tigre et la panthère

Sur la place Bretagne


En arrivant au coin

L’on mange des patates frites

Allez un peu plus loin

Une dame vous invite

A prendre des billets

Sur lesquels on gagne

Les plus jolis objets

Sur la place Bretagne


Et puis, plus à l’écart

Pour vous, les bricoleurs

On vous offre, avec art

Des p’tits outils d’valeur

Au chant d’une complainte

Sur un vieil air d’Espagne

Répétée sans contrainte

Sur la place Bretagne


Soixante ans ont passé

Sur cette vieille place

Et qu’en est-il resté

De ses anciennes traces

La trésorerie est là

Comme nouveau témoignage

Encaisse à tour de bras

Sur la place Bretagne


Et puis, pour compléter

Ce comptoir national

Vous allez à côté

Sécurité sociale

De guichet en guichet

A tous les coups l’on gagne

Pilules et cachets

Sur la place Bretagne


Et lorsque vous quittez

Tous ces nombreux bureaux

Afin de reclasser

Vos dossiers de ruraux

Vous avez, vous r’gardant

De son mât de cocagne

Le plus haut monument

De Nantes et de Bretagne


Assez désorienté

De ces innovations

Vous allez les quitter

Sans beaucoup d’illusions

Regagnant le pays

De votre humble campagne

Pensant au temps jadis

De cette place Bretagne.


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