Survivre aux horreurs de la guerre pour se faire tuer au retour par les siens : quel sort funeste. Cette chanson, qui n'est pas la seule de ce thème, a-t-elle pour origine un fait divers réel ou bien est-elle entièrement romancée ? La littérature populaire est friande de ces situations qui nous paraissent assez invraisemblables mais qui ont dû faire frémir à la veillée, dans les chaumières. Une mère, aveuglée par sa cupidité, incapable de reconnaître son enfant, en voilà un beau sujet.
pour écouter la chanson et lire la suite :
Plusieurs chansons évoquent ces péripéties liées à un retour de guerre et une longue absence. Voyez, par exemple, la chanson n°167 « au lever de l'aurore » (septembre 2016) qui raconte plus ou moins le même drame avec d'autres détails. Le sort réservé aux voyageurs de passage et sans lien de parenté, est scellé de la même manière dans la chanson n°301 « trois garçons venant de Nantes « (juin 2019). Dans ce dernier cas le jeune homme bénéficie au moins de la bienveillance d'une servante alors que, cette fois, elle reste complice de son employeur.
Si nous revenons sur ce thème c'est qu'il est assez répandu, et ce depuis fort longtemps. Des faits divers notés au 17ème siècle pourraient en être l'origine. Mais le thème est bien plus ancien et présent dans la littérature populaire de nombreux pays : contes, chansons, légendes urbaines. Il s'est répandu jusque dans la littérature classique. C'est, en particulier, la trame d'une pièce de théâtre d'Albert Camus : le malentendu.
Avec cette chanson nous nous retrouvons confrontés à la symbolique des chiffres trois et sept, omniprésents dans la tradition et dont la signification nous échappe maintenant. Ce sont ici trois enfants, tout comme il y a trois voyageurs dans l'affaire de l'auberge rouge que nous venons d'évoquer. Ce chiffre n'apporte rien à la compréhension de l'histoire puisque, dans un cas comme dans l'autre, un seul personnage est concerné. Celui ci est aussi marqué par le chiffre sept, signifiant une longue période d'absence, même si l'engagement pour sept ans a pu être une réalité de la vie militaire. Au demeurant, la plupart des versions de cette chanson mentionnent une absence de quatorze ans (deux fois sept, au cas ou vous ne l'auriez pas remarqué). Dans la notre, on peut aussi bien comprendre qu'il s'est engagé dès l'âge de quatorze ans.
Pas étonnant, dans ces conditions, que la mère ne reconnaisse pas son enfant. Ce qui n'est pourtant pas le cas de la tante. La différence vient sans doute de cette cupidité qui pousse la mère à détrousser un inconnu dont, pense-t-elle, personne ne se souciera. Quelle idée aussi de se faire passer pour un riche marchand. Dans certaines versions, le fils déclare tout simplement :
...voici ma valise,
Elle est
pleine d'or et d'argent
De riches bagues et de diamants (1)
D'où l'aveuglement maternel :
Égorgeons ce marchand,
Nous
aurons son or son argent (2)
On revient rarement de guerre avec des trésors ; tout au plus avec des blessures. Ou alors c'est qu'on fait partie des officiers, ce qui n'est évidemment pas le cas des maréchaux. Le terme ne désigne pas un commandant en chef, mais bien un sous-officier chargé de l'entretien du parc à une période où le cheval était essentiel pour le déplacement des troupes. Le terme maréchal est l'équivalent de sergent, dans la cavalerie.
A toute complainte à caractère criminel il faut une morale. Du moins, une fin qui conforte l'opinion que tout crime mérite un châtiment. Est-ce un repentir sincère qui s'exprime ici ou simplement la manifestation d'un ressentiment populaire ? Bien qu'il soit rarement question de suicide dans les chansons traditionnelles, nous avons trouvé une fin de ce genre dans une version d'outre-Atlantique (3) :
Raison veut que je meure
A
dégainé son grand couteau
Se l'est passé dans les boyaux
Pas de ça dans les versions plus proche de nous. Celle ci a été tirée par Fernand Gueriff des fonds collectés entre 1850 et 1880 par Gustave Clétiez, artiste et folkloriste guérandais qui n'avait pas réussi a publier lui-même les quelques 200 chansons qu'il avait recueillies.
J-L. A.
notes
1 - une formule qu'on retrouve dans la chanson « la fille en léthargie » (n°396 – déc. 2021) où l'amant de la belle revient, fortune faite : Chargé de perles et de diamants, Portant trois grandes valises.
2 – Jérôme Bujeaud – chants et chansons populaires des provinces de l'ouest, tome 2 page 242
3 – Marius Barbeau – le Rossignol y
chante, page 413 - musées nationaux du Canada (édition de 1979)
interprète : Janig Juteau
source : Fonds Gustave Clétiez ; Publié par Fernand Gueriff dans « le Trésor des chansons populaires folkloriques recueillies au pays de Guérande » (1983), tome 1, page 56
catalogue P. Coirault : Le fils soldat assassiné par ses parents 1 (Crimes divers – N° 09611)
catalogue C. Laforte : Le fils assassiné (II, I-01)
C’était trois garçons maréchaux à quatorze ans portant les armes (bis)
Et le plus jeune est revenu
Sa très chère mère ne le reconnaît plus
Au premier jour qu’il arriva il s’en va tout droit chez sa tante (bis)
Oh ma tante, ne dites rien
Voir si ma mère, me reconnaîtra bien
Bonsoir l’hôtesse de céans n’avez-vous pas du vin à vendre (bis)
Oh oui, monsieur, nous en avons
Belle qualité, j’vous en vendrons
Bonsoir l’hôtesse de céans n’auriez-vous pas du gras à vendre (bis)
Oh oui, monsieur, nous en avons
Belle qualité, j’vous en vendrons
Bonsoir l’hôtesse de céans, logez-vous moi et ma valise (bis)
Oh oui, monsieur, vous vous log’rons
Sur l’pied du lit, nous la mettrons
Mais quand ce fut vers les minuit v’là l’hôtesse qu’appelle sa servante (bis)
Oh lève-toi, ma Jeanneton
Que je tuons ce riche marchand
Mais quand ce fut le matin jour v’là la tante qui vient pour le voir (bis)
Où est-il donc ce riche marchand
Qui était hier au soir céans
Et la servante lui répond, d’une air sereine et prudente (bis)
Il doit être maintenant bien loin
S’il a continué son chemin
La tante n’a pas cru cela, dedans la chambre elle est montée (bis)
A retiré les blancs linceuls
A vu le sang de son neveu
Tu l’as tué, ton cher enfant
Qu’était hier au soir céans
Si j’ai tué mon enfant, ici de suite qu’on me tue (bis)
Si j’ai tué mon cher enfant
Que l’on pende promptement.
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