Ce ne sont pas les corons que nous allons chanter ici, mais les loisirs des régatiers nantais, à une époque où cette activité ne s'était pas encore démocratisée. Le développement de la plaisance, à la fin du 19è siècle, a profité de conditions favorables sur l'Erdre, rivière suffisamment large et navigable pour faire de la commune de Nort-sur-Erdre un but des plaisanciers nantais. Plusieurs chansons composées par ces marins d'eau douce ont intégré le répertoire traditionnel. Nous dirons donc encore une fois, paraphrasant Maitre Folace (1) « C'est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases».
pour écouter la chanson et lire la suite :
Vers les années 1880 un petit « Recueil des chansons de régates nantaises », réédité sous le titre « le livre d'or du bord » proposait un florilège de textes. Leur teneur montre un usage réservé aux initiés, c'est à dire à la partie de la population qui a les moyens de naviguer pour ses loisirs. Hélas, est-ce pour cette raison que ce recueil ne comporte aucune partition. Certains de ces airs ont pu être retrouvés grâce aux collectes plus récentes. C'est le cas pour le fameux « Gueule de Serpent » (cf chanson n° 80 de novembre 2014 dans ce blog) plusieurs fois enregistré depuis par des groupes de chants de marins. Pour d'autres, faute de témoignages, il nous a fallu adapter les paroles à des airs existants ou composés récemment. Voyez ainsi la chanson « la Gaité » (n°381 – août 2021).
Pour la chanson présente, le choix s'est porté sur un air adapté à l'avant-deux de travers ; ce qui se justifie pour une danse notée à quelques kilomètres de là, mais ne garantit aucunement que ce texte ait pu être composé dans l'intention de faire danser l'avant-deux.
Le texte de la chanson comporte un grand nombre d'allusions qui ne peuvent être comprises que par ce cercle d'initiés dont nous parlons. Voilà pourquoi nous n'avons pas enregistré tous les couplets, en particulier ceux qui se réfèrent à des anecdotes vécues ou à des événements oubliés. Ces couplets figurent en italique dans le texte intégral de la chanson. On y retrouve une liste des embarcations qui fréquentaient la rivière et un aperçu des difficultés de navigation dans le secteur le plus proche de Nort-sur-Erdre
Cette charmante cité, de part sa situation de carrefour a une existence qui, sans remonter aux allusions bibliques du texte, est prouvée aux temps des mérovingiens, si ce n'est des romains. Si Noé n'y a pas trouvé de Bois-tortu (2) c'est que la culture de la vigne s'est arrêtée aux coteaux de la Loire, sauf exception.
La mer Barbinique dont il est question dans le refrain est un terme qui désigne la rivière Erdre. La retenue d'eau de la chaussée de Barbin, à Nantes, eut pour effet de maintenir la navigation possible entre Nantes et Nort. Le creusement du canal de Nantes à Brest, au 19è siècle, en a fait un axe commercial stratégique. Bien que décidé sous Napoléon (le premier) le canal ne fut pas opérationnel avant 1836 pour cette partie. Il débouche dans l'Erdre à Quiheix, soit en aval de Nort. Mais tout au long du 19è une activité industrielle nortaise a nécessité la remontée de bateaux de commerce : tanneries, faïencerie ainsi que les gisements de houille de Languin, jusqu'à leur fermeture. Mais ce sont surtout les plaisanciers qui ont trouvé un intérêt à cette « mer Barbinique ». Si la profondeur moyenne de la rivière est limitée à 1,80 m, elle s'étend par endroits en de vastes plans d'eau (Gachet, Mazzerolles) propices à l'installation d'activités nautiques.
Remarquons au passage que la pratique sportive de la plaisance n'empêche pas la gastronomie de tenir une place prépondérante. C'est un véritable guide touristique que nous propose la chanson en citant les meilleures tables du lieu. D'autres chansons du même recueil confirment cette tendance. Ecoutez par exemple la chanson des canotiers de Loire et l'oraison funèbre d'un brochet au beurre blanc, sur notre CD « Plaisirs de la table » (3).
J-L A.
notes
1 – pour les non cinéphiles, cette réplique est due au personnage interprété par Francis Blanche dans les Tontons Flingueurs.
2 – Beau vin : chanson n° 442 de juin 2023
3 – CD chants des plaisirs de la table – collection « en Loire-Atlantique » n° 3 (Dastum 44 – 2015) – une autre chanson de ce recueil « la régate des cinq mètres au Pellerin » est sur le CD « chants des marins nantais » (Le chasse-marée / ArMen - 1991)
interprètes : Yvette Peaudecerf, réponses de Agnès Pihuit et Françoise Bourse
Sources : texte : Le livre d’or du bord – recueil de chansons de la plaisance nantaise – texte signé : La Banche. musique : air pour danser l'avant-deux de travers – communiqué par Raphaël Garcia
Dans la ville de Nort (les couplets en italique n'ont pas été enregistrés)
1 - Allant à Brest par le canal
N'ayant pas pris son fanal,
Au déluge papa Noé,
Avec l'arche à Nort s'est échoué.
Refrain
Dans la belle ville de Nort,
Chef-lieu de la mer Barbinique,
La société nauti-ique
Revient tous les ans bord sur bord.
2 - Il y chercha le Bois Tortu
Ne l'ayant pas aperçu,
Il y but pas mal de poiré
Après quoi il a tout montré
3 – Saint-Pierre en filant ses encrocs
Y but chopines et brocs :
C'était du cidre au lieu du vin
Il relâcha jusqu'au matin
4 – Dans l'Africaine, Nélusko,
Cet estimable moricaud,
En leur parlant d'Adamastor,
Dit aux marins « tournez à Nort » !
5 - Nort c'est au nord c'est convenu ;
De Colomb c'était connu,
Car ce beau port, n'en doutez pas,
C'est le vrai nord du compas.
6 - Plus d'un fameux navigateur
Qui n'avait pas vu l’Équateur,
S'est engagé dans ce détroit,
Plus dangereux qu'on ne le croit.
7 – On y a vu le vieux Griffon,
Qui si souvent allait au fond,
Le Grand Hurleur, en abordant,
Avait deux nids dans son guindant
8 – La Bécassine et le Furet
Ont, sur ce rivage discret,
Soupiré de tendres amours,
Comme on n'en voit plus de nos jours.
9 – Favorite, pour son début,
Choisissant sa rade pour but,
Abattit avec son beaupré,
Un arbre sur le bord du pré
10 – Jadis l'invincible Houpard
Y faisait la chasse au canard
Même le gothique Chactas
Y déploya tous ses appas.
11 - On y voit comme un monument,
Chez monsieur Gueule de serpent,
Un antique réveil-matin,
Fut béni par Saint Potin.
12 – Comment donc n'être pas heureux,
D'aller au café amoureux
Et le moyen d'être rageur,
En passant devant chez Jugeur !
13 - A la carte certains gourmands
S'empiffrent dans les restaurants,
Mais les canotiers, sans danger,
A la Pancarte s'en vont manger.
14 – On n'avait rien vu d'aussi beau
Que notre retraite au flambeau ;
Mais nous, en gens de précautions,
Nous voulons la faire à tâtons.
15 – Nous devons à l'autorité
Un éloge bien mérité
Elle sait paternellement
Causer gendarmement parlant
16 - A Nort le sexe est si charmant,
Qu'on deviendrait fou vraiment,
Si l'on ne partait sans retard
Naviguer sur le Nénuphar.
17 - En hissant tous nos pavillons
A regret nous appareillons ;
A bientôt et en bonne santé,
A Pâques, à la Trinité.
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