A l'approche des fêtes de fin d'année, dindes, oies et chapons deviennent méfiants. L'intérêt que leurs portent les humains a de quoi leur sembler louche, à juste raison. Si on prend à la lettre cette chanson à danser, l'aspect culinaire peut trouver un écho à ces inquiétudes. A y regarder de plus près, l'aventure de cette oie blanche n'a probablement pas grand chose à voir avec le réveillon. Si elle parvient à retrouver sa liberté, elle y laisse des plumes ; Une façon gentille de voir la situation.
Pour écouter la chanson et lire la suite:
Cette version de « l'oie échappée » est à associée à la survivance d'une ancienne ronde du Pays de Retz. Elle fait partie des « Bretonnes de Pornic », terme qui désigne plusieurs danses notées par Bernard de Parades, puis Jacqueline et Henri Landreau, d'après les indications d'un M. Gauthier, professeur de gymnastique, qui les aurait enseignées au jeunes filles du groupe folklorique local pour leurs prestations avant la guerre. Ces danses tombées en désuétude ont été heureusement remises au goût du jour. L'une est une variante de ronde à trois pas. L'autre (la Oie) comporte une partie dansée par couples sur le cercle. Pour le détail de ces danses nous vous renvoyons à l'ouvrage de Marc Clérivet (1) ou à la fiche éditée par le Cercle Breton de Nantes (2).
La chanson elle même a été recueillie essentiellement dans un secteur qui va de la Vendée aux Côtes d'Armor, dont plusieurs fois en Loire-Atlantique. La version pornicaise vient du recueil de M. Poiraud, soit dans les années 1850 / 1860. La copie de ce manuscrit réalisée par Michel Gauthier en 1942 porte la mention : La Oie est une chanson vendéenne, mais elle se chantait beaucoup en ronde au Pays de Retz. C'est la seule chanson du recueil pour laquelle on trouve ce genre de précision.
Pas besoin de vous faire un dessin sur ce qu'est une oie « nère ». Une oie « gare » c'est un animal de plusieurs couleurs (3). Ce terme ancien n'est plus employé, mais se retrouve dans « bigarré ». En fait la couleur du plumage importe peu pour la compréhension de l'histoire.
On peut tout à fait se contenter d'entendre cette fantaisie au premier degré. Pour rebondir sur notre présentation initiale, voici donc un animal qui au moment de passer à la casserole trouve le courage de s'échapper. D'autres versions recueillies dans les mêmes temps que celle-ci (4) donnent plus de précisions :
Dans mon pot je l'ai boutaie
Mon oie a senti la fumaie...
et
Elle n'était pas à demi chauffée
La pauvre bête s'est envolée
Ce qui est déjà un exploit pour un oiseau déplumé ! De fait, la fin de l'histoire ne l’entraîne pas très loin. On la retrouve dans les marais auprès de son jars le bien aimé. Elle lui explique :
Je viens des noces, j'ai tant dansaie
Que tote ma piume s'en envolaie
Ce qui est plus étonnant c'est d'apprendre, dans une version recueillie à Legé par Abel Soreau :
J'ai pris la gare et je l'ai tuée...
elle a bouilli là sept années
et pis au bout de ces sept années
Ma oie gare a pris sa volée...
Là ça tient franchement du miracle ; Ou alors, ça cache quelque chose.Une autre façon d'écouter la chanson consiste donc à prendre avec tous leurs sous entendus les expressions « passer à la casserole » et « oie blanche ». Il semble bien qu'on ait à faire ici à une sorte de mariage arrangé, sinon forcé. D'ailleurs, la chanson débute le plus souvent par Mon père veut me marier. Cette explication est peut-être un peu tirée par les plumes...pardon, par les cheveux. Mais avouez qu'elle a du sens. De la fantaisie à la satire il n'y a qu'un pas et il est plus facile d'utiliser une fable animalière que de dénoncer brutalement des pratiques peu conformes aux sentiments des jeunes gens et jeunes filles.
Encore une fois, n'essayons pas de juger les chansons du passé avec nos critères d'aujourd'hui. Et puisque celle ci se danse bien, profitons en.
J-L.A.
notes
1 - danse traditionnelle de Haute-Bretagne, Marc Clérivet, pages 277 et 249 (Dastum, Presses universitaires de Rennes – 2013) – A écouter : podcast de l'émission sur Radio Grand-Lieu : interview de Marc Clérivet dans la deuxième partie de l'émission
2 - Quadrilles et autres danses en pays Nantais - Cercle Breton de Nantes 1984
3 - gares, garelles : au poil de diverses couleurs (Le vieux langage du Pays de Retz, Eloi Guitteny – éd. Plaisance, Paimboeuf, 1961)
4 - chants populaires du comté nantais et du bas Poitou, Armand Guéraud, t.2, P. 399 (FAMDT, 1999)
interprètes : Josiane Brétéché et Jean Auffray
source : Quatre vingt chansons du Pays de Retz, cahier du violoneux Poiraud, transcrit par M. Michel Gauthier
catalogue P. Coirault : L'oie échappée (202 – fantaisistes)
Et quand mon père m'a mariée
Et quand mon père m'a mariée
En mariage il m'a donné
Et feurtillez et vé vé vé
Ah ! J'ai d'l'amour pour té
Et vé vé vé j't'aime bin vé cré mé
En mariage il m'a donné
Une oie gare et l'autre nère
J'ai pris la gare je l'ai plumée
Dedans mon pot je l'ai brussée
Au bout de sept ans je l'ai tirée
Ma oie alle a pris sa volée
Elle est partie à l'assemblée
Trouver son jars accoutumé
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