Nous avons déjà évoqué la transformation d'un répertoire de chansons traditionnelles pour adultes vers le répertoire enfantin. Celle-ci illustre tout à fait cette évolution. Le « Petit Jean » qui revient des champs, du bois ou d'ailleurs est surpris par la scène qui l'attend à son retour à domicile. Un grand nombre de chansons racontent plus ou moins la même histoire. Elle se termine toujours par la même interrogation : faut-il réagir ou fermer les yeux ?
Pour écouter la chanson et lire la suite :
Bien avant de finir dans le répertoire pour enfants, cette chanson s'adressait avant tout aux adultes. Le texte que nous chantons ici a laissé tomber l'épisode le plus croustillant de la version originelle. De retour au foyer, notre brave paysan y trouve sa femme couchée avec le curé, un moine ou un avocat. Il n'était évidemment pas question de laisser l'imagination d'un jeune public se représenter la femme entre les bras d'un de ces messieurs.
Cette histoire de mari trompé se moquait à la fois des gens censés faire respecter la loi et la morale ainsi que des benêts ou des lourdauds sans instruction. L'opposition est claire entre des gens savants, toutes professions qui connaissent le latin, par opposition au Jean le sot des contes populaires. Le choix du prénom n'est certainement pas du au hasard. Ce Petit Jean est bien un avatar du Jean le sot qui fait tout de travers, ou du Gros-Jean comme devant, cher à La Fontaine.
Dans notre chanson, le personnage du mari a cédé la place à un enfant tandis que l'épouse est remplacée par la mère de celui-ci. Pourtant, dans certaines versions (1) c'est encore la femme et non la maman qui prépare la soupe :
A qui donn'rai-je du bâton
A ma femme ou à mon chat
Ce qui semble suggérer que la transformation du texte ne s'est pas faite de façon uniforme et sans doute progressivement. On sait que bien des chansons, faute d'être toujours chantées par les adultes, se sont retrouvées dans les ouvrages destinés à la jeunesse. Au cas présent, les deux interprétations ont suivi une carrière parallèle. Dans les recueils et même les collectes les plus récentes, la version enfantine est bien plus rarement notée. Ce qui fait tout l'intérêt de la réinterpréter aujourd'hui.
Quelle que soit la version, adulte ou enfantine, le dénouement reste invariable. Bien que le « Petit Jean » craigne la réaction de sa femme ou de l'amant de celle-ci, il ne peut reporter sa colère sur le chat qui le grifferait. Prise au premier degré, cette attitude est assez invraisemblable. Sauf pour le cocu de circonstance qui estime préférable d'éviter le scandale et de faire comme si de rien n'était.
De l'histoire d'un mari affublé d'une belle paire de cornes à celle du gamin qui se fait voler son dîner, il y a quand même une sacrée différence qui explique sans doute la survivance des deux versions.
Parmi les détails sujets à l'évolution on peut aussi noter que Petit-Jean est souvent surpris au retour de son travail. Soit il travaillait au champ ou fagotait du bois ou bien encore s'occupait de ses vignes. Dans la chanson pour enfants il revient de ville. On peut là aussi flairer une forme d'opposition entre les gens de la ville, citadins évolués, et le monde rural, volontiers traité de bouseux ou de péquenauds. Décidément ce pauvre Jean n'en finit plus de se faire moquer.
Plus surprenant, dans certaine version la ville a trouvé un nom. Petit-Jean y revient de Lille. Dans cette chanson nordiste, semblable en tous points par ailleurs, il ne faut évidement pas s'attendre à le voir revenir des vignes (2) ! Cette adaptation serait due à M. Desrousseaux (celui du petit Quinquin).
Pour finir voici quelques précisions données sur la source de notre version locale :
Juliette Ruaud, née en 1929, était agricultrice à Saint Gildas des Bois . Elle est la sœur de Marie Ruaud et de Joseph Ruaud que l'on peut retrouver sur Dastumedia (respectivement 22 et 47 items). Elle est issue d'une famille de chanteurs. Sa mère Léontine chantait souvent en travaillant dans sa maison et son père, Joseph, était le chef de la clique de Guenrouet.
J-L. A. & J.R.
notes
1 – cf. Eugène Rolland, Recueil de chansons populaires, tome 1, page 73 (Maisoneuve, Paris - 1883)
2 - Quoique ! Avec le réchauffement climatique il faut désormais s'attendre à tout.
interprètes : Jean Ruaud et Jean-Louis Auneau
source : Juliette Ruaud, enregistrée par Jean Ruaud à la ferme de la Maciais en Guenrouët, le 3 juin 2014
catalogue P. Coirault : chanson apparentée au type : Le mari qui revient du bois (5912 – maris trompés)
catalogue C. Laforte : I, E-03, Jean, Petit-Jean
Petit
Jean revient de ville youyouyou tralalala,
Petit Jean revient de
ville avec son panier au bras,
Avec son panier au bras.
La
grande route était longue youyouyou tralalala,
La grande route
était longue et Petit Jean était las,
Et Petit Jean était
las.
De marcher pendant des heures, cela creuse
l'estomac,
Petit Jean voilà ta soupe avec un morceau de
lard,
Pendant qu'il mangeait sa soupe, le chat lui vola son
lard,
A qui faut-il que je m'en prenne à ma mère ou à mon
chat,
Si je m'en prends à ma mère, ma mère me grondera,
Si je m'en prends à ma chatte, elle m’égratignera,
Et
Petit Jean se résigne à manger son pain sans lard,
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