Des écrits religieux rigoristes et des prédicateurs virulents ont cherché à diaboliser la danse. Dans la littérature populaire elle même, on ne compte plus le nombre d'anecdotes où le malin se déguise en musicien pour entraîner les danseurs en enfer. Eh bien, cette fois, c'est au paradis qu'on danse. Des saintes et des saints réputés cherchent à y divertir un Saint Joseph qui n'est pas du tout motivé. Seule Sainte Cécile parviendra à dérider le bonhomme, justifiant son rôle de patronne des musiciens.
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Saint Joseph se fête le 19 mars ; nous sommes donc un peu en avance avec cette chanson. Pourtant, quand on y regarde de plus près, les protagonistes de cet étrange épisode ont bien des points communs, à commencer par leur saisonnalité. Les voici donc dans l'ordre : Sainte Cécile le 22 novembre, Sainte Catherine le 25 novembre, Saint Eloi le 1er décembre et Saint Nicolas le
6 décembre. Le calendrier a rassemblé tous ces personnages en moins de deux semaines. Voilà qui est bizarre, surtout quand on connaît l'importance de ces repères calendaires dans les us et coutumes de nos ancêtres. D'autant que certaines versions y ajoutent Sainte Barbe, dont la fête tombe...le 4 décembre. Pas de doute : c'est un complot !
Saint Joseph a rarement la vedette dans les récits religieux comme dans les traditions populaires. Il reste dans l'ombre des cultes voués à Jésus et à Marie. Peut-être est ce l'origine de sa bouderie dans les premiers couplets. Lui qui a du endosser une paternité à laquelle il est un peu étranger utilise cet argument dans un couplet que nous n'avons malheureusement pu enregistrer faute d'en connaître la totalité :
- Souvenez-vous que vous êtes mon mari
- C’était tout comme si je n’l’étais pas
Ni la bande des quatre, ni même l'intervention de Dieu le père n'arrivent à le décider. Danser c'est bon pour Catherine et Nicolas qui, en cette période de l'année jouent chacun son tour les bons offices pour mettre un terme au célibat des jeunes filles, pour l'une, des jeunes gens, pour l'autre. Si la fête des catherinettes à perduré jusqu'à notre époque, le rôle de St Nicolas s'est un peu estompé, du moins dans nos régions.
C'est donc à Sainte Cécile que revient l'honneur d'avoir redonné le goût de la fête au père du Christ. Elle sait être convaincante. Elle a de l’entraînement puisque, d'après sa légende, elle aurait persuadé son époux de respecter sa virginité. Après une vie passée à convertir ses concitoyen(ne)s, elle chantait en attendant les coups du bourreau qui devait la martyriser. Voilà donc l'origine de son attachement à la musique et aux musiciens. Dans la chanson on la suppose violoneuse, avec un joli coup d'archet. Voilà qui nous change des violoneux aux pieds fourchus et à l'odeur de souffre qui font danser les villageois jusqu'à épuisement dans les contes traditionnels.
Cette chanson, recueillie tout près de Nantes, n'est pas si fréquente dans les collectes, même si on en trouve des exemples dans des régions très variées. Une version recueillie outre-Atlantique et publiée par Conrad Laforte nous offre une variante du refrain :
Pour moi je ne danserai pas, car je suis trop gras
Comme quoi les problèmes d'obésité en Amérique du nord ne datent pas d'hier ! Et puisque nous faisons une incursion dans le monde anglo-saxon, comment ne pas faire la comparaison avec une chanson certes plus récente mais sur un air traditionnel. « Lord of the dance » composée par Sidney Carter, sur la base d'un hymne des shakers, dédiabolise complètement la danse :
Dance, dance wherever you may be
I am the Lord of the dance said he...
allant même jusqu'à utiliser la métaphore de la danse comme symbole de la résurrection.
Alors, ne faites pas les Joseph ; dansez.
interprète : Janick Péniguel
source : Clémence Huet, enregistrée à Saint-Léger-les-Vignes (Loire-Atlantique) le 28 avril 1983, par Christine Viaud
catalogue C. Laforte : La danse au paradis (IV, Ma-32)
Les couplets en italique n'ont pas été enregistrés
De saint Joseph c’était la fête
Tout l’paradis se mit en train d’danser
Joseph dit : moi, j’suis pas si bête
J’ai bien d’autre chose à penser
Bon pour Catherine et pour Nicolas
Moi je n’danserai pas car je suis trop las
refrain
Danse Nicolas, puisque c’est ton envie
Danse Nicolas, pour moi je n’danserai pas
Saint Eloi, le marteau sur l’épaule
Faisait un fracas à tout retentir
Joseph dit : qui m’a fichu ce drôle
Qui veut faire la loi dans le paradis
Mon petit Eloi t’auras beau l’ver l’bras
Moi je n’danserai pas car je suis trop las
Le bon dieu tout en colère
Dit à Joseph, craignez mon bras
Vous savez que j’suis votre père
Et le père aussi de tout potentat
Quand même vous me jetteriez en bas
Non je n’danserai pas car je suis trop las
Saint Vierge […]
Souvenez-vous que vous êtes mon mari
C’était tout comme si je n’l’étais pas
Moi je n’danserai pas car je suis trop las
On s’en fut donc trouver Cécile
Qui dans un p’tit coin pleurait tout son chagrin
Ah, vous qui êtes si gentille
Jouez-lui un refrain ça va le mettre en train
Elle aura beau faire tous ses embarras
Non je n’danserai pas car je suis trop las
Elle se mit donc à jouer une danse
Son premier coup d’archet fit un si bel effet
Que Joseph tout en cadence
Se mit à danser sur son tabouret
Ma petite Cécile a je ne sais quoi
Qui me met, ma foi, ah, tout hors de moi
A partir de ce jour, ce sera Cécile
Qui fera la loi dans le paradis
...
[Sainte Barbe priait sa moustache
Près d’elle un saint vint poser son canon
Dansez, Joseph, ou j’me fâche
Et nous allons voir un drôle de carillon
Elle aura beau faire tous ses embarras
Non je n’danserai pas car je suis trop las]
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