mercredi 21 décembre 2022

430 - Guillery

 Les accidents de chasse ont trop souvent leur place dans l'actualité. Ce n'est pas pour dénoncer les Tartarins alcoolisés qui confondent randonneurs et sangliers que nous avons choisi cette chanson. Elle fait partie du répertoire enfantin, mais, comme souvent, ce texte destiné à divertir nos chères têtes blondes a probablement une tout autre origine. Dernier souvenir d'une légende fantastique, évocation d'un personnage historique ou encore couplets à double sens grivois ?

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Les chansons enfantines, jeux et autres rondes sont souvent reléguées au second plan dans les collectes. Au point d'en faire un genre à part. Ce serait oublier un peu vite que bien des textes considérés aujourd'hui du seul domaine de l'enfance ont derrière eux une toute autre histoire. Sans vouloir à tout prix chercher un sens caché dans toute chanson enfantine, il faut bien reconnaître que des formulations qui nous semblent énigmatiques ont probablement signifié autre chose pour les chanteurs d'époques révolues.

L'histoire du chasseur qui tombe de l'arbre a un lien de parenté évident avec une autre chanson folklorique bien connue : « A la volette ». Autrement dit, le fait principal y est aussi la chute d'un arbre; celle, assez improbable, d'un oiseau. Vous pouvez vous reporter à la version que nous avons déjà publiée de cette dernière (Derrière chez mon père, chanson n° 45 de mars 2014). Profitez en pour relire les commentaires, ce qui nous évitera d'insister à nouveau sur le caractère pseudo historique du fameux Guillery.

Une autre source possible réside dans la légende de la chasse Gallery. C'est donc aussi une mésaventure de chasseur, condamné à errer indéfiniment à la poursuite du gibier pour lequel il avait délaissé des obligations religieuses (1). Comme explication, c'est un peu tiré par les cheveux. Guillery n'est pas Gallery et n'a d'ailleurs plus aucun écho dans celle ci.

Reste un autre sens caché qu'il nous faut bien évoquer ne serait-ce qu'en raison de l'intervention des dames de la ville à partir du troisième couplet. Un sens qui échappe complètement au jeune public qui entonne ces paroles. Mais une allusion qui ne doit pas échapper aux adultes pour une chanson qui finit par des embrassades. Est-ce à dire que Guillery pourrait désigner non pas un personnage mais la personnification d'un attribut masculin ?. C'est un pas que nous n'oserions franchir si d'autres ne l'avaient déjà fait pour nous. Voyez par exemple cet extrait d'une œuvre de Gaultier-Garguille, fameux chansonnier du 18è siècle :

Je perdis au soir icy

Le plus joli guillery

Je le mis dans une cage

Qui avait le cul percé

Obligez moi de le rendre

Mesdames, si vous l'avez (2)

Pas besoin de vous faire un dessin. Si ces fines allusions ne vous satisfont pas vous pouvez aussi bien vous contenter du fait qu'en vieux français « guilleri » était une onomatopée pour le chant des moineaux.

N'empêche que les dames de la chanson semblent bien s'occuper du membre (3) de notre chasseur. Radouber n'est plus guère en usage aujourd'hui que dans le langage maritime. Il avait autrefois plusieurs autres emplois avec une signification proche. Dans notre cas c'est « se remettre ou recouvrer la santé ». Une version de Guillery figurant dans le recueil d'Armand Guéraud (4) ajoute un dernier couplet en forme de morale :

N'ont voit que par les femmes

L'homme est trejou guari

Notre version, recueillie par un ecclésiastique » aurait-elle été publiée si le double sens avait paru trop évident ? Finalement, libre à vous d'interpréter cela comme bon vous semble. Ne boudons pas notre plaisir d'une chanson qui a laissé de coté l'habituel refrain en :

Toto Carabo, Titi Carabi

Et si vous parcourez la campagne en cette saison gardez vous bien d'imiter le cri du sanglier. On n'est jamais trop prudent.


notes

1 – voir aussi sur le même thème la « complainte de Saint Hubert » - chanson n° 183, janvier 2017

2 – cité par Martine David et Anne-Marie Delrieu dans leur ouvrage « Aux sources des chansons populaires » (librairie classique Belin – 1984)

3 – on parle bien de la jambe. Qu'allez vous imaginer ?

4 – Chants populaires du comté nantais et du bas Poitou – tome 2 page 392 (FAMDT éditions - 1995)


interprète : Roland Guillou

source : collectes d' Abel Soreau, air 216. Chanté par Augustine Bouvet, à La Chapelle des Marais, en 1897.

catalogue P. Coirault : Guilleri (7809 - enfantines)

catalogue C. Laforte : Le bonhomme tombe de l'arbre (I, I-11)


1-)

Il était un p'tit homme,

Qu'avait nom Guillery (bis)

Il s'en fut à la chasse, à la chasse aux perdrix


Refrain

La la la lonla de rirette, lon la la, lonla derira


2-)

Il montit sur un' branche

Pour voir ses chiens couri' (bis)

La branche étant poé forte, et Guillery chésit


3-)

Il se cassa la jambe,

Et le bras se démit (bis)

Les dames de la ville accoururent au bruit


4-)

L'une apporte un emplâtre,

L'autre de la charpie (bis)

On lui bandit la jambe, le bras lui radoubit


5-)

Pour remercier quio dames,

Guill'ry les embrassit (bis)

Merci, merci, mesdames, Guillery est guéri.

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