dimanche 6 février 2022

403 – Pour que les filles dansent

 Pourquoi un moulin pour faire danser les filles ? S'agit-il de la reconversion d'un ancien bâtiment à usage de discothèque ? D'une enseigne présente dans trois grandes villes, Bordeaux, Rouen et Nantes sous forme de franchise ? D'une annonce pour le bal du moulin rouge ? Laissons de coté ces suppositions hors du temps pour nous pencher un peu sur le sens du mot « danser ». Ce n'est peut être pas sous sa signification habituelle qu'il faut l'entendre. Le moulin et son propriétaire nous ont habitués à un tout autre genre de plaisirs.

Pour écouter la chanson et lire la suite

Le meunier est une star de la chanson traditionnelle. Mais il y tient rarement le beau rôle. Parmi tous les reproches qui lui sont adressés, le premier c'est d'être trop habile en affaires, pour ne pas dire un tantinet voleur. Le second c'est de s'intéresser un peu trop aux femmes et aux jeunes filles qui viennent faire moudre leur grain. Ces deux critiques apparaissent en filigrane dans notre chanson. Et ce, sans parler d'autres traits de caractère qui le dévalorisent encore, comme dans le célèbre « meunier tu dors » (1).

Pauvre meunier, si l'on peut dire, car celui-ci ne manque guère de moyens. Nous avons déjà évoqué la symbolique du chiffre trois. Quand il est question d'aisance financière, le fait de posséder trois châteaux, trois vaisseaux sur la mer jolie, trois bateaux sur la Loire ou, comme ici, trois moulins moulant est un signe extérieur de richesse indéniable. Dans une histoire de France ponctuée de disettes et de famines, le commerce des grains a souvent été montré du doigt. Le langage populaire en a, lui aussi, conservé une trace dans l'expression « avoir du blé ». Une céréale qui se trouve élevée au rang de valeur monétaire, voilà qui est significatif.

Remarquons au passage que cette chaîne de moulins est établie dans trois des villes les plus présentes dans les chansons traditionnelles : Rouen, Bordeaux et surtout Nantes. Trois villes qui ont en commun leur situation de port et de premier franchissement des estuaires de nos trois principaux fleuves. Des lieux d'échanges commerciaux mais aussi culturels, ce qui explique en partie cette prégnance dans les chansons.

La méfiance du bon peuple envers les meuniers n'est donc pas seulement due à leur supposée roublardise. Autant que la crainte de voir revenir les sacs de farine moins pleins qu'il ne devraient, c'est le risque qu'au retour du moulin pour la jeune fille « son petit sac était plein ». Les aventures galantes qui impliquent meuniers, meunières et leurs client(e)s sont trop nombreuses pour qu'on les énumère ici. Pendant que le moulin fait le travail cela laisse du temps pour se livrer à d'autres passe-temps. La danse est certainement un loisir apprécié des jeunes filles. Son usage dans un lieu qui ne lui est pas destiné est bien moins anodin. A tel point que ce que nous raconte cette chanson ressemble plus au passage d'une activité qui s'exerce sur un plan vertical à une autre occupation qui utilise plus volontiers un plan horizontal. N'allez pas dire que nous avons l'esprit mal tourné ; les paroles sont assez explicites. Le meunier « contente » les filles de vingt ans. Le dernier vers attribué à la sœur cadette ne laisse d'ailleurs aucune incertitude.

Une autre chanson, recueillie dans un département voisin (2), confirme nos suppositions. Il y est aussi question de trois moulins :

Un qui moud la farine

Et l'autre le poivre fin

L' troisième réveille les filles

Au tic tac du moulin

Les moulins ont aujourd'hui disparu du paysage urbain. Les quelques survivants ont été transformés en habitations, pas faciles à meubler en raison de leur rotondité et souvent bien cachés parmi le développement urbain (3). Seule la toponymie nous rappelle leur souvenir : rue du moulin, quartier des trois moulins, rue du moulin à l'huile, entre autres.


notes

1 - le meunier qui dort est victime des événements dans les chansons n° 42 (février 2014) et 259 (juillet 2018)

2 - François Simon – chansons populaires de l'Anjou (1926), page 456

3 - connaissant votre esprit facétieux nous avons hésité à parler du développement de l'habitat urbain !


interprètes : Francis Boissard (réponse : Jean-Louis Auneau, Jean-Noël Griffisch),

source : d’après la version recueillie par Janig Juteau à Campbon (44), auprès de Pierre et Marie Orain, le 25 janvier 2004


Vous pouvez aussi retrouver cette chanson, avec d'autres commentaires, sur le site « Nantes Patrimonia » consacré à l'histoire de la ville de Nantes et de ses quartiers.



Mon père a trois moulins moulant (bis)

Au beau pays de France, danse

Au beau pays de France, pour que les filles dansent

Dansent, dansent, dansent, lon la, pour que les filles dansent


L’un à Bordeaux, l’autre à Rouen (bis)

Et le troisième à Nantes, danse

Et le troisième à Nantes, pour que les filles dansent

Dansent, dansent, dansent, lon la, pour que les filles dansent


Et le meunier qui vit dedans, la nuit, le jour, il chante

On dit qu’il fait passer le temps aux dames et aux servantes

On dit que les filles de vingt ans, c’est lui qui les contente

Ma sœur, elle va le voir souvent, la nuit où l’air y vente

Et moi qui n’ai que quatorze ans, l’amour, il me tourmente.

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