Si l'amour est le sujet des deux-tiers des chansons traditionnelles, la guerre et ses vicissitudes figurent en bonne position dans le reste du répertoire. Ce qui n'exclut pas qu'il y soit aussi question d'amour. L'éloignement de l'être aimé, l'espoir du retour ou la crainte de la mort sont des sujets inépuisables. Voilà pourquoi, d'une chanson à l'autre on peut trouver des similitudes, des couplets avec un air de déjà entendu, voire des clichés propres à ce genre de poésie populaire. Cette chanson qui semble bien datée (dans tous les sens du terme) n'échappe pas à la règle.
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Le texte fait référence à des événements dont nous avons tous pris connaissance en cours d'histoire : la campagne d'Egypte. Rien ne prouve, cependant, qu'elle ait été composée par un soldat de l'expédition française. Si c'était le cas, un indice situe cette écriture postérieurement aux combats.
Il n'est plus question avec cette aventure militaire de défense de la patrie en danger justifiant la levée en masse révolutionnaire. Nous sommes cette fois là dans un conflit d'intérêt avec nos amis anglais. L'objectif est clairement de maîtriser la route des Indes, aussi bien pour des motifs stratégiques que commerciaux. Avec un peu d'avance sur la chronologie, le corps expéditionnaire est accompagné de scientifiques dont la perspective d'ouvrir ce qui sera plus tard le canal de Suez n'est pas la moindre justification. Pour amuser les écoliers on ne retiendra de cette époque que l'histoire de Champollion. Enfin, pour certains historiens, les gouvernants du Directoire ayant senti venir les ambitions démesurées du fameux Bonaparte, auraient trouvé opportun de l'envoyer plus loin exercer ses talents.
Bref, entre gloire militaire pour le futur Napoléon et découvertes archéologiques, le sort des trente mille soldats français ne fut pas des plus enviables. L'affaire s'est plutôt mal terminée pour la France finalement défaite et surtout pour les hommes dont un tiers ne sont pas revenus. Voilà qui justifie amplement les inquiétudes du soldat de la chanson. Laquelle a probablement été composée après coup. Elle fait, par exemple, référence à l'octroi de la croix d'honneur (légion d'honneur). Celle ci a été instituée bien après la campagne d'Egypte (terminée en 1801) et décernée par le premier consul seulement à partir de fin 1803.
Pour le reste, l'embarquement à Toulon, le Caire et les bédouins situent bien l'action au tournant du 19è siècle. L'architecture même de la chanson fait preuve d'une certaine modernité par rapport à d'autres complaintes sur les mêmes thèmes dans lesquelles il est peu courant de voir un refrain s'intercaler entre chaque couplet. La particularité de celui ci est qu'il reprend à l'identique la mélodie des couplets.
Parmi les clichés que nous évoquions précédemment, deux reviennent avec insistance dans ces complaintes de soldats. Le premier c'est donc celui de la décoration, qui permet au soldat de rentrer chez lui la tête haute. Il pourra bomber le torse devant ses camarades, ses parents et sa bien aimée. Cette distinction revient avec insistance dans les chansons qui accompagneront les expéditions militaires, pas toujours faciles à justifier, tout au long du siècle et jusqu'à la grande guerre. L'autre sujet récurent c'est la crainte d'être enseveli en terre étrangère et de ne pas pouvoir donner motif à fleurir une tombe et rester dans le souvenir des proches.
Interprète : Jean-Louis Auneau
source : chanté le 27 novembre 1894 par Pierre Trument, Le Pin (44) – fonds Abel Soreau, chanson n° 240
Non référencé dans les catalogues Laforte et Coirault
Ref : Mon cœur est en tristesse,
Et la nuit et le jour.
Je répète sans cesse :
quand sera le retour ?
1. Adieu, bonne Julie ;
Il me faut vous quitter !
Pour servir la patrie,
Demain j'vais m'embarquer
2. Oui, demain faut qu'je parte,
Avec mon régiment,
Pour suivre Bonaparte
Dans les pays d'Orient.
3. C'est en Egypte, au Caire
Contre Arab' et bédouins
Qu'on va faire la guerre ;
D'ici que c'est don' loin !
4. Craignez pas qu'j'vous oublie
Au milieu des combats.
Non, ma douce Julie
Je n'vous oublierai pas.
5. Pour trouver du courage
Dans le danger pressant,
Je r'verrai vot' visage,
Et vos yeux souriants.
6. Vaillamment, pour la France,
Je braverai la mort ;
Et plein de confiance,
A Dieu remets mon sort.
7. Quelle surprise extrême,
Quell' joie et quel bonheur,
Si celui qui vous aime
Rapport' la croix d'honneur !
8. Mais si, là-bas, j'succombe
Pour moi quel déplaisir
De penser que ma tombe
Vous n'la pourrez fleurir !
9. Un' seul' chos' je réclame,
Si je n'dois pas r'venir :
Ma Julie, en votre âme,
Gardez mon souvenir !
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