samedi 29 janvier 2022

402 - Vive la république

Sur la plus haute branche, le rossignol chantait. Mais, au fait, que chantait cet aimable volatile ? Si c'est pour les dames qui n'ont point de mari c'est qu'il se prend pour quelqu'un d'autre ou qu'il s'est trompé de chanson. Si c'est pour porter un message à l'être aimé, c'est son emploi habituel. Mais si le rossignol se mêle de politique, alors là c'est de l'inédit. Sous un air des plus communs et avec un texte qui paraît d'abord très banal, nous découvrons ici un rossignol républicain.

Pour écouter la chanson et lire la suite :

Ne nous dites pas que les premiers couplets vous sont inconnus ; personne ne vous croira. Après celle des « trois canards », c'est sans doute la chanson traditionnelle la plus entendue, sous ses deux appellations : A la claire fontaine ou En revenant des noces. En revanche, le dernier couplet que nous vous avons fait écouter est plutôt rare. Nous connaissons tous le dénouement habituel et les regrets de la rupture provoquée par le refus d'un bouquet. Ici le thème a simplement servi pour une toute autre utilisation.

Cette chanson a été recueillie durant l'occupation par de jeunes passionnés (Jacqueline Landreau, Bernard de Parades...) à la recherche des traditions de danses du pays nantais. Ces quelques couplets ont donc servi de support musical à un avant-deux (ou avant-quatre) dansé à Legé (44).

Le dernier fait référence à des événements parfaitement identifiés au 19è siècle. Henri V aurait dû régner après l'abdication de son grand-père Charles X en 1830. Comme il n'avait que 9 ans, la régence fut confiée à Louis-Philippe. Une révolution et un second empire plus tard il est question de restaurer la monarchie en 1873. Mais personne, pas même le parti monarchiste, ne souhaite voir régner ce « Duc de Bordeaux » très impopulaire. Il s'obstinait, par exemple, à vouloir remplacer le drapeau tricolore par le drapeau blanc. A force de tergiverser, sa mort mit fin au débat, la république étant désormais solidement installée. Voilà très (trop) brièvement résumée l'origine de ces paroles :

Henri V est foutu, vive la république

Une autre version de ce texte a été notée à St Pierre-Montlimart (49) en 1926, par François Simon (1). Mais les républicains n'ont pas été les seuls à utiliser le(s) timbre(s) de la claire fontaine. Abel Soreau avait recueilli à Saint-Fulgent (85) les paroles d'une chanson où le rossignol a le cœur gai mais :

Le mien n’est pas de même ; il est bien affligé.

Il pleure Charles X, qui vient de s’embarquer.

Il reviendra, j’espère, pour nous reconsoler.

Les vers suivants parlent du roi Henri qui remplacera le drapeau « bigarré » par le drapeau blanc symbole de la royauté. Armand Guéraud avait, lui aussi, noté du coté de Blain (44) une « contre-danse » proclamant :

Vive le roi, le comte d'Artois...

...Tout le monde il est réjoui

D'avoir la cocarde blanche

L'histoire s'est donc chargée de mettre tout le monde d'accord en mettant un terme définitif aux prétentions des descendants des Bourbons.

Henri V, comte d'Artois, duc de Bordeaux est surtout resté célèbre dans la chanson traditionnelle par le biais du répertoire des paillardes. Il nous faut donc citer :

Le duc de Bordeaux ressemble à son frère

Son frère à son père et son père à mon cul

De la je conclus qu'le duc de Bordeaux ressemble à mon cul

Comme deux gouttes d'eau

Taïaut taïaut taïaut! Ferm' ta gueule, répondit l'écho.

Dans cette même chanson, qui ne propose que des couplets sans vraie suite logique, on trouve aussi :

J'emmerde le roy et le comt' d'Artois,

Le duc de Berry et la duchesse aussi;

Le duc de Nemours, j' l'emmerde à son tour

Le duc d'Orléans, je l'emmerde en mêm' temps!

Tiens donc ! Voilà qui nous rappelle aussi que la tentative de soulèvement orchestré par la Duchesse de Berry a fait beaucoup parler et chanter dans notre région, avec son arrestation mouvementée dans une demeure nantaise.

Bien entendu, il serait dommage de se limiter à cette version très opportuniste pour illustrer toute la place que tient cette Claire Fontaine dans la tradition. Ce ne sont pas les versions qui manquent ; Alors, promis, on y reviendra.

Dernière précision : toute ressemblance avec un personnage politique utilisant abusivement le terme « j'emmerde » serait purement fortuite.


Notes

1 – Chansons populaires de l'Anjou, recueillies par François Simon (éd. F. Bruel, Angers – 1929) – page 444

J'emmerde le roi, le comte d'Artois et le duc d'Angoulême

Le duc de Berry sa femme et son fils et toute la clique entière

Henri V est dans l'siau, vive la république

Henri V est flambé, vive la liberté


interprètes : Jean-Louis Auneau, Roland Guillou et Yannick Elain

source : air collecté par Jacqueline Landreau - paroles notées par Bernard de Parades en 1942

catalogue P. Coirault : En revenant des noces (3415 – abandonnées)

catalogue C. Laforte : A la claire fontaine (I, G-10)


M'en revenant des noces, lon la,

M'en revenant des noces

J'étais bien fatigué, vive la république

J'étais bien fatigué, vive la liberté


Au bord d'une fontaine, lon la

Au bord d'une fontaine,

Je me suis reposé, vive la république

Je me suis reposé, vive la liberté


Et l'eau était si claire, lon la

Et l'eau était si claire

Que je m'y suis baigné, vive la république

Que je m'y suis baigné, vive la liberté


A la feuille d'un chêne, lon la,

A la feuille d'un chêne

Je me suis fait sécher, vive la république

Je me suis fait sécher, vive la liberté


Sur la plus haute branche, lon la,

Sur la plus haute branche,

Le rossignol chantait, vive la république

Le rossignol chantait, vive la liberté


J'emmerde le roi, le comte d'Artois,

La duchesse d'Angoulème,

Le duc Henri, sa femme et son fils,

Et toute la clientèle

Henri V est foutu, vive la république

Henri V est baisé, vive la liberté


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