Une fille qu'on enterre et qui ressuscite grâce à son amant, voilà un thème qui ne vous est certainement pas inconnu. Vous pensez immédiatement à la chanson de la belle « qui fait la morte pour son honneur garder ». Mais pas de rosiers blancs ici, ni de capitaines pour lui faire la cour. Pas d'enlèvement dans une hôtellerie pour y « passer la nuit ». C'est une toute autre histoire qui nous est proposée. Bien moins connue, certes, mais tout aussi intéressante sur le plan de l'amour plus fort que toutes les contraintes ou même que la mort.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
La principale différence entre les deux situations c'est que dans un cas la belle fait la morte pour échapper à un viol. Alors que dans le cas présent l'enterrement est précédé d'une cérémonie officielle : elle « tombe en léthargie » pendant sa messe de mariage. Il s'agit d'un mariage forcé, ce qui, du point de vue de la jeune fille, est probablement l'équivalent.
Autre différence, cette léthargie n'est pas forcément une ruse. Elle peut être provoquée par un grand choc émotionnel. C'est ce que suggère la chanson. L'aventure de personnes qu'on se prépare à enterrer et qui manifestent des signes de vie revient régulièrement dans les informations. Ce n'est plus guère le cas que dans des contrées où la mort réelle n'a pas été vérifiée par un médecin. Situation qu'on retrouve dans la chanson et qui explique que cet événement n'est pas si irréaliste qu'il paraît. Notons que, pour rester dans les détails réalistes, un couplet précise que la belle a mis deux mois à recouvrer la santé ; tout de même !
Le sommeil est une forme de léthargie ; l'hibernation des animaux aussi. Mais chez les humains c'est vraiment très risqué. Par bonheur le garçon est revenu le jour même. Entre temps il avait probablement acheté un billet gagnant du loto. Car il lui aura fallu soudoyer le fossoyeur pour sauver celle qu'il aime. C'est un acte qui n'est pas anodin, une violation de sépulture, cher payé. Pour atténuer ce coté sacrilège la chanson insiste sur la justification « par la vertu du sauveur tout puissant ». On ne plaisante pas avec la religion dans les chansons traditionnelles (1).
La morale de l'histoire est celle qu'on retrouve dans bien des chansons. Dans celles qui finissent bien en tout cas. L'amour est plus fort que tout ; plus fort que la mort, surtout quand elle est simulée. Plus fort que la volonté des parents ou leur cupidité. A cet égard les deux derniers vers :
C'est pour apprendre aux pères dénaturés
D’y marier leurs enfants à leur gré.
résonnent comme une vraie revendication.
Cette chanson n'est pas très fréquente dans les collectes, notamment dans les répertoires de Haute-Bretagne. Sans doute a-t-elle souffert de la comparaison avec « la belle qui fait la morte... », plus ancienne et dont on trouve d'innombrables versions.
Le texte que nous avons utilisé provient d'un montage entre deux versions. Celle collectée par Pierre Guillard chez Mme Pichaud étant incomplète, nous avons puisé à une autre source les éléments permettant une bonne compréhension de l'histoire. C'est dans les collectes réalisées dans les années 1870 par Victor Smith (2) dans le Forez que nous avons trouvé la meilleure suite de cette histoire (3). Les ajouts apparaissent en italique dans le texte de la chanson.
Comme bien souvent dans les chansons populaires, nous avons conservé certaines liaisons qui peuvent paraître fort mal-t-à propos d'un point de vue linguistique, mais qui trouvent toute leur justification pour faire sonner le texte. La musicalité l'emporte sur la grammaire.
notes
1 – On peut s'y moquer assez souvent du clergé ; mais c'est toute autre chose.
2 – Collectes disponibles via le portail Persée (https://www.persee.fr/) de l'université de Lyon.
3 – La mariée à contre-gré, page 78 dans les Vieilles chansons du Velay et du Forez, publiées par V. Smith en 1878.
Interprète : Jean-Louis Auneau
Source : collecte : – Mme Pichaud de Saint Vincent des Landes (44) enregistrée par Pierre Guillard - paroles complétées (en italique) par les collectes de Victor Smith en Forez (1878)
Catalogue Patrice Coirault : La fille en léthargie (Traverses – N° 01420)
Catalogue Conrad Laforte : La fille en léthargie (II, A-28)
Approchez tous pour entendre chanter
Petits et grands, femmes et filles
Une belle histoire qui vient d’arriver
A Paris la grande ville
C’est une fille qu’avait deux amants
L’un était riche et l’autre indigent
Le pauvre c'est un joli garçon,
Bien aimé de la fille
Tandis que l’autre est un vieux barbon
Qui la rend au supplice
Son père lui dit : tu l’épouseras
Ou bien enfermée tu seras
Mais le soir même qu’il l’a t’épousée
Devant Dieu à l’église
En léthargie la belle est tombée
Jugez quelle surprise
Son père a dit faut la faire enterrer
Puisque morte on croit qu’elle était
Mais le jour-même qu’on l’a t’enterrée
Son bel amant arrive
Chargé de perles et de diamants
Portant trois grandes valises
Quand il apprit que sa bien-aimée
Était morte aussi enterrée
Le garçon va chez le fossoyeur :
Monsieur, vous êtes en place,
Vous avez vingt louis d'or à gagner
Pour me faire une grâce,
Me faire voir ma charmante beauté
Celle que mon cœur a tant aimé
Mais il l'attire entre ses deux bras,
L' a retirée de terre
Par la vertu du sauveur tout puissant
Je ne saurais m’en faire
Et au bout de deux mois passés,
Elle fut guérie d'une parfaite santé.
Au bout de deux mois en-après,
Se promenant sur la place,
Elle rencontre ce vieux barbon
Qui en a bien l'air si vil-e. (Qui faisait la grimace)
Si ma femme n'était pas enterrée,
Je vous dirai, Monsieur, qu' vous l'avez.
Oh oui dit-il ! je l'ai-t-assurément,
je l'ai tiré' hors de terre,
Par la vertu du grand Dieu tout puissant
De qui j'en serai maître.
C'est pour apprendre aux pères dénaturés
D’y marier leurs enfants à leur gré.
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