dimanche 19 décembre 2021

398 - Qui veut entendre un plaisant tour 

 Le titre l'annonce franchement, cette chanson est à classer dans la catégorie des bonnes blagues. Celles qu'on raconte pour se moquer des travers de son prochain. Mais est-ce bien uniquement ainsi qu'il faut l'entendre ? Car il y a plusieurs façons d'aborder cette petite aventure plaisante, selon qu'on la considère au premier degré ou qu'on y décèle une autre signification ; une satire de personnages ou de comportements qu'il serait peut-être difficile de dénoncer trop ouvertement.

Pour écouter la chanson et lire la suite :

De qui se moque-t-on dans cette fable chantée ? Car en écoutant la chanson il ne vous aura pas échappé certaine similitude de situation avec les grands classiques de M. Jean de la Fontaine. Nos deux villageois ressemblent comme deux frères à ces deux pèlerins qui « sur le sable rencontrent une huître que le flot y venait d'apporter ». Le monde animal se prête fort bien à ce genre de débat, à priori insignifiant. Une huître, un coucou, pas vraiment de raisons d'en faire toute une procédure. Certes, il est toujours possible de prendre cette chanson au premier degré et de la considérer comme une moquerie de citadins pour des ruraux un peu lourdauds. On aura volontiers le rire facile au détriment de ces bouseux qui se font berner par plus savant qu'eux. Mais, encore une fois, derrière cette raillerie des deux ploucs, c'est probablement au second degré qu'il faut apprécier l'histoire.

Puisqu'il n'était guère facile de brocarder ouvertement les puissants qu'ils soient gens de cours, de prétoires ou d'église, la chanson utilisait ses ressources pour dénoncer leurs défauts. C'est ce qui nous vaut tant de couplets où des « messieurs » se font rembarrer par de simples bergères, où des prélats se retrouvent dans des situations ridicules. Ici, la chanson prend le même parti que le célèbre fabuliste. On utilise les animaux pour faire passer un message. Sachez, messieurs et dames qu'il n'y a aucun intérêt à porter vos chicaneries devant un tribunal. Seuls juges et procureurs sont gagnants dans l'affaire.

Dans l’huître et les plaideurs

Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.

Perrin fort gravement ouvre l'Huître, et la gruge...

Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille

Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.

Pour les deux villageois, le procureur n'hésite pas plus longtemps : il empoche prestement les frais d'audience et rassure les deux nigauds.

Comme aussi bien Raminagrobis qui

Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.

Cette chanson a fait le tour du répertoire populaire puisqu'on la retrouve sans trop de différences dans à peu près toutes les régions. Si ce n'est que dans la plupart des versions le dialogue entre les deux villageois est bien plus explicite sur la signification du chant de l'oiseau :

Ma femme est bien trop sage

Pour me faire infidélité

Tandis que la tienne est volage

C'est bien pour toi qu'il a chanté

Il est vrai que la présence du coucou dans les chansons traditionnelles ne fait mystère pour personne. Il n'est pas forcément indispensable de spécifier les raisons de son intervention pour que chacun la comprenne.

Là ou notre procureur ramasse l'argent d'une main alerte, bien des couplets prennent le soin de commenter :

Le procureur fut très honnête...

Quand on vous dit qu'il ne faut pas prendre ces textes au premier degré !


Interprète : Jean-Louis Auneau

source : chanté le 18 août 1897 à Moisdon la rivière (44) par Alfred Chauvel, musicien au 65è régiment d'infanterie – fonds Abel Soreau, chanson n° 218

Catalogue P. Coirault : Le coucou et les deux villageois (sociales - 06216)

Catalogue C. Laforte : Le coucou a chanté pour qui ? (II, O-82)


1. Qui veut entendre un plaisant tour ?

Chacun en rira plus d'un jour.

C'est deux paysans du mêm' village

Qui sont allés se promener.

En passant par un p'tit bocage

Ont entendu l'coucou chanter


2. L'un deux a dit : tiens, par ma foi !

L'coucou, il a chanté pour moi.

Mais l'autre a dit : j'crois qu'tu te trompes !

Les voilà donc à discuter.

Y a pas besoin que j'te l'démontre,

C'est sûr pour moi qu'il a chanté.


3. Les deux paysans s'en sont allés

Chez un procureur l'raconter :

Monsieur, c'est un oiseau sauvage,

Qu'on appell ' coucou, en ces lieux.

Il a chanté par son langage ;

Nous v'nons savoir pour quel des deux


4. L'procureur oyant ces débuts,

Leur dit : comptez-moi dix écus.

Après ça, d'une main alerte,

Ces dix écus a ramassés.

N'ayez plus de mal à la tête,

Car c'est pour moi qu'il a chanté.


5. Les deux paysans s'sont pris la main :

Allons, allons, boir' du bon vin !

Puisque nous sommes prudents et sages

Et remplis de joie dans le cœur.

Qui aurait cru qu'un oiseau sauvage

Eut chanté pour un procureur ?

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