Voilà bien longtemps que nous n'avons pas alimenté la chronique judiciaire avec une de ces complaintes criminelles qui ont fait les délices des chanteurs de rues. Ce ne sont pas les affaires qui manquent dans notre région. Celle ci relate un événement de la fin du dix-neuvième siècle sur la commune de Saint Nazaire. Comme toutes les complaintes du même style elle utilise le procédé « crime et châtiment », s'attardant sur les détails sordides avant de réclamer vengeance. Pourtant, malgré son caractère sombre, elle ne peut s'empêcher d'ajouter une touche d'un humour douteux.
Pour écouter la chanson et lire la suite :
C'est une affaire somme toute assez banale qui se déroule en mars 1891. Trois mauvais garçons décident de faire un coup en s'introduisant chez Mme Péault qui habite une maison isolée, pour lui voler ses économies. Par malheur, ce soir là, elle héberge sa sœur, Mme Malenfant. Ce sont donc deux vieilles femmes qui sont massacrées pour une somme dérisoire. L'auteur des faits, Émile David est condamné à mort. L'un de ses complices prend perpète tandis que le troisième, en fuite, est condamné à mort par contumace.
Traitée sur l'air de Fualdès (1) cette complainte a été diffusée sur feuille volante. Elle est aussi passée dans la tradition orale puisqu'une version a été collectée chez Mme Marie-Françoise Chauvin à Avessac (2). Une autre complainte sur cette même affaire a été composée par un certain Victor Martin sur l'air de « Béranger à l'académie »(3). Elle est connue sous le titre d'affaire de « la tour du commerce » en raison de la proximité avec le phare qui porte ce nom, près de la plage de Bonne Anse.
On retrouve dans ces sept couplets tous les composants habituels du genre. Après avoir localisé la scène de crime, l'auteur – dont le nom nous est inconnu – reconstitue l'action dans toute son horreur. S'ensuit l'enquête qui amène à l'arrestation des meurtriers avant que les derniers couplets rassurent le bon peuple sur le châtiment destiné aux coupables.
Même si quelques auteurs connus se sont risqués dans ce genre littéraire, ces complaintes criminelles sont le plus souvent l’œuvre de rimailleurs besogneux. Prenant parfois des libertés avec la versification, ils se soucient plus d'édifier leurs auditeurs que de produire un texte de qualité. Ce qui nous donne parfois des approximations ou des jeux de mots dont on se demande toujours s'il relèvent de la facétie ou de l'humour involontaire.
Cette complainte en particulier nous offre un :
Quiconque se sert du couteau
On lui coupera le cou, tôt
qui figure parmi les plus beaux exemples stylistiques.
Nous laisserons la conclusion à un autre auteur anonyme, qui, à la même époque et toujours sur l'air de Fualdès, ironise en préambule de sa complainte :
Chacun sait que les complaintes
Ont toujours force couplets
Qui sont plus ou moins bien faits
Or, pour éviter les plaintes
Il faut par la quantité
Racheter la qualité
...
Le lecteur pour dix centimes
Veut avoir un long récit
Il lui faut beaucoup d'écrit
Donc au sujet des victimes
Je veux lecteur exigeant
T'en donner pour ton argent
Tout est dit ! La plupart des complaintes utilisant le timbre de Fualdès ont en moyenne 18 / 20 couplets. Certaines dépassent allègrement les quarante. L'auteur de celle ci a eu le bon goût de ne nous en infliger que sept.
D'une chanson enjouée la semaine passée nous avons cette fois versé dans le sanguinolent. Que nous réserve la prochaine semaine ? Suspense.
notes :
1 - pour toutes explications sur les timbres et celui de Fualdès en particulier : se reporter aux précédentes complaintes publiées.
2 - enregistrée par Robert Bouthillier, Mathieu Hamon et Charles Quimbert – consultable sur Dastumedia
3 – plus de détails sur le site criminocorpus
interprète : Jean-Louis Auneau
source : feuille volante conservée à la BnF (Gallica), via le site criminocorpus - l'illustration ci-dessous provient de cette feuille volante
Près de Saint Nazaire en Bretagne
Trois voyous, trois garnements
Tous assassins en naissant
Connaissaient dans la campagne
Un coup qui d'vait rapporter
Mais il fallait suriner
Qu'importe à ces trois canailles
Ils partirent nuitamment
Assassiner en riant
Escaladant les murailles
Deux vieilles femmes, deux sœurs
Malgré leurs cris et leurs pleurs
Ils croyaient sur le bas de laine
Mettre la main sûrement
Ils se trompèrent pourtant
Ne trouvant pour toute aubaine
Que trois francs et quinze sous
Cela ne valait pas le coup
Il arriva qu'un complice
En état d'arrestation
Fit un jour déclaration,
De ce crime à la justice
Qui mit la main sur le grappin
A cette bande de Mandrin
Les voilà tous les infâmes
Sur les bancs du tribunal
Il n'y aurait pas grand mal
De voir ces tueurs de femmes
Mettre leurs têtes dans le panier
Deibler pourrait les aider
Mais l'jury dans sa clémence
En a jugé autrement
C'est David qui seulement
Subit l'affreuse sentence
Quiconque se sert du couteau
On lui coupera le cou, tôt
A Saint Nazaire sur la place
On viendra voir ériger
La machine qui doit venger
La société sans grâce
David se lèvera matin
Pour passer le goût du pain
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