vendredi 20 décembre 2019

320 - Adam fut un pauvre homme


L'histoire contenue dans cette chanson n'est pas bien nouvelle. Elle nous ramène aux premiers épisodes de la Genèse. Un homme, une femme, un serpent tentateur et un arbre que nos ancêtres ont défini comme un pommier, probablement parce que cette image était pour eux la plus courante sinon la plus simple. Ce fruit, c'est l'essence même de la connaissance du bien et du mal; ce qui différencie Dieu des simples humains: tout un programme!
Comment un chant qui se rapporte à des événements bien antérieurs à la naissance du Christ peut-il être un “Noël” ? C'est, tout simplement, que ce genre inclut aussi bien des textes relatifs à la nativité que des chansons qui avaient pour seul point commun d'être entonnés à cette période de l'année.
Pour écouter la chanson et lire la suite:


C'est de la “belle bible des Noëls Guérandais”, tome 5 des collectes de Fernand Guériff, que nous avons sorti ce chant de saison. Un ouvrage paru bien avant les tomes 2, 3 et 4 que nous avons édités ces dernières années (1).
Les “Noëls” vont bien au delà de la seule célébration de la crèche de Bethléem. Ils regroupent toute une série de chansons qui vont de l'Avent à l’Épiphanie, ainsi que des sujets où la religion tient une place importante; Tous ces chants avaient en commun le fait d'être chanté dans ces différentes circonstances qui précèdent ou accompagnent le tournant de l'année. En fait, c'était autrefois une période où l'on chantait beaucoup aux veillées, en famille ou entre voisins. Dans cette période de jours courts et de temps sombre, le besoin de reconstituer une atmosphère chaleureuse, se traduisait évidemment par le chant. Ce qui explique la diversité des textes recueillis. Les airs populaires nous présentent souvent la description de métiers, de paroisses, de personnages se rendant symboliquement à la crèche. Les textes de composition savante sont encore plus variés et font parfois référence à des situations hors du contexte de la nativité, tel celle-ci.
Pour l'origine de ce chant, laissons la parole à Fernand Guériff: “Les paroles seraient de Guillaume Colletet (1598 – 1659), l'homme de plume qui collaborait aux œuvres théâtrales de Richelieu.
Le timbre ordinaire est “de la noce à Jeannet” indiqué dans le cahier du capitaine Savoyard en 1665, célèbre chanteur populaire du Pont-Neuf”. Nous n'avons pas eu accès à ce cahier, mais le timbre est présent dans les éditions de Ballard, en 1717 (2), comme support d'une chanson à boire ! Dans le même temps le fameux Louis-Claude Dacquin en fait une adaptation pour orgue, qu'il inclut à ses Noëls.
L'air qui nous est proposé ici est celui recueilli vers 1850, par Charles-Marie Loyer, l'un des premiers guérandais s'étant intéressé aux chansons populaires de ce secteur, sorti de l'oubli grâce aux travaux de Fernand Guériff. Il diffère un peu de l'original, prouvant ainsi que la popularité de ce chant avait abouti à sa folklorisation.
Nous ne nous étendrons pas sur le texte lui-même. Malgré son caractère gentiment misogyne, il récapitule l'essentiel de la morale biblique: fini de coincer la bulle dans les jardins d'Eden. Désormais l'homme est confronté à tous les malheurs: plaintes, peurs, peste, guerre, vieillesse inexorable, réforme des retraites, etc.
Bien avant la publication de ce texte des auteurs de Noëls avaient déjà réglé son compte à notre ancêtre commun. En voici deux répertoriés par Henri Poulaille, le spécialiste du genre, dans sa “belle bible des Noëls anciens”. Dès 1555, à Lyon, Nicolas Martin dénonce:
Adam par sa fragilité
Nous fit mortels par vice...
Michel Coyssard, en 1657, imprime des vers qui débutent par:
Notre premier père Adam
A son dam
La funeste pomme entame...
D'autres Noëls, anonymes, reviennent avec insistance sur les responsabilités du voleur de pomme et de sa moitié.
Il est sans doute un peu tard pour apprendre et chanter cette chanson en ce Noël 2019. Mais si vous faites dès maintenant l'acquisition (pour une somme fort modeste) du recueil de chansons de F. Guériff, il vous restera 52 semaines pour pouvoir les entonner l'hiver prochain.
Sur ce, nous vous souhaitons de très bonne fêtes de fin d'année et vous donnons rendez-vous en 2020.

notes
1 - pour vous le procurer, voyez notre page “nos éditions”. Les tomes 1 et 5 ont été édités par Guériff, de son vivant. Les trois autres ont été publiés depuis par Dastum 44 et le Parc Naturel Régional de Brière
2 – La clef des chansonniers, de J-C Ballard – tome 1, page 162

interprète: Barberine Blaise
source: la belle bible des Noëls Guérandais, tome V des collectes de Fernand Guériff – page 104 – air recueilli vers 1850 par Charles-Marie Loyer.
catalogue C. Laforte: seul le timbre est répertorié: A la noce de Jeanne (vol 6, chanson sur timbres)

1.
Qu'Adam fut un pauvre homme
De nous faire damner
Pour un morceau de pomme
Qu'il ne put avaler,
Sa femme sans cesse
Le flatte, le presse
D'en gouter un petit
Croyant que la sagesse
Que Satan avait dit
Gisait dedans ce fruit.
2.
Mais s’étant aperçue
Que sage n’était pas,
Se voyant toute nue
Après ce beau repas,
Honteuse, tremblante
Piteuse, dolente
Elle court au figuier
Et ramassant les feuilles
Tâche de les plier
Pour faire un tablier

3.
Cependant notre père
Que le morceau pressait
Tout rouge de colère
Sa femme maudissait :
Perfide, cruelle,
Crédule, rebelle
Tu trompes ton époux.
Que dira notre maître ?
Fuyons et cachons-nous,
Je crois trop son courroux. »
4.
A ce bruit déplorable
Dieu descend promptement
Et d'un air tout aimable
Appelle doucement :
Mon Eve ma fille
Epouse gentille,
Adam de moi chéri !
Mais à cette semonce
Ni femme ni mari
Ne dirent : « Me voici ».
5.
L'auteur de la Nature
A qui rien n'est caché
Sous un tas de verdure
Découvre Adam couché
Tout triste, tout pâle,
Qui tremble, tout sale
De s'être ainsi traîné
Et qui dit : « C'est la femme
Que vous m'aviez donnée
Qui m'a presque damné.
6.
La femme, à cette plainte
Contre Adam se défend
Et dit que sa contrainte
Ne vient que du serpent
Que dire, que faire ?
De rire, de braire
Ce n’est plus la saison
Dieu leur ferme la porte
Et comme de raison
Leur défend la maison
7.
Cette triste infortune
Causa tous nos malheurs
La vieillesse importune
Les plaintes et les pleurs
La peste, la guerre
Par toute la terre
Se répandent soudain
Pour punir l’insolence
De notre père Adam
Et de ses descendants.

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